Abderrahim Cherké
La systémique pyramidale, marché de concurrence pure et imparfaite
Ma fille, je viens te conter l’histoire d’un soir. Ce n’est pas les mille et une nuits, pourtant, ça y ressemble. Ce n’est pas le Petit Prince, mais ça y ressemble. Ce n’est pas Alice au pays des merveilles, mais ça y ressemble. Ce n’est pas Sindibad le marin, mais ça y ressemble. Car vois-tu ma fille, rien n’a changé sous le soleil, l’être humain est resté pareil à lui-même.
Il était une fois dans un pays où la foi ne faisait pas loi. La laïcité laissait embrasser religion comme libre choix. La Constitution garantit l’égalité des voix. Ce pays imaginaire existe bel et bien ou peut-être pas. A toi de juger et de te faire ton opinion.
Les femmes et les hommes naissent libres et égaux en droits. Certains nés le cul dans le beurre le sont davantage plus que d’autres. Ils manient savamment l’art de jongler avec les âmes de leurs contemporains pour arriver à leurs fins. Ils sont malins. Ils ont une longueur d’avance. Ils ont tissé savamment leur toile au fil des décennies. Ils occupent comme il se doit les devants de la scène et se réservent les positions stratégiques. Là, comme tout groupe humain, des profils dominants, suiveurs ou soumis y sont légion. La base de la base, pays d’en bas ou inférieur échelon regarde le sommet de la pyramide, pays d’en haut, avec envie, délectation, mépris ou jalousie. Se lécher les babines. Le loup sait se reconnaître.
Au bas de l’échelle, les personnes lambdas ignorent beaucoup d’usages, des us et des coutumes du pays d’en haut. Il faut être membre de la garde rapprochée pour bénéficier de protection, de goûter au charme de la maison et tenter meilleure situation. Courtisans se bousculent et se fréquentent en concurrents, en alliés de circonstance ou en chiens de faïence en périodes de carence. Très peu d’amis, beaucoup d’ennemis, l’art de la politique est celui de savoir éjecter avec élégance. Le danger ne vient pas toujours extra-muros, il est surtout à l’intérieur des murs d’enceinte. Que Dieu préserve les semblables de leurs amis en ces milieux-là.
L’ami.e pousse-toi de là que je m’y mette. Un petit coup par ci, une bassesse par-là, un dénigrement bien saucé, une rumeur bien calibrée … causent bien des dégâts pour médiocrité régnante. Paraphraseurs, semi-intellectuels théoriciens, connaisseurs de tout et de rien, baratineurs et lèche-bottes se disputent les miettes laissées par les maîtres des cimes. Ceux qui réunissent et déciment. La valeur de leurs gens se mesure par leur loyauté à écraser leurs semblables. De surcroît l’hypocrisie et les dents acérées cachent de noirs desseins. Courtois devant, poignardeurs derrière. On ne s’y fait pas. On ne se décrète pas appartenir à la race des arrivistes calculateurs, on le devient par opportunisme, avidité, lâcheté ou fourberie. Il faut savoir attendre son heure. La Cour des Miracles continue d’embaumer les accros des privilèges où se côtoient passants, saltimbanques, artistes et poètes. Bref des personnes animées par nobles intentions.
Ceux qui occupent la place depuis des lustres, amis de la première heure, lobbyistes filiaux savent reconnaître les leurs. Ils manient comme il se doit l’art du camouflage. Ils installent pour de bon leurs proches et les assidus des premières loges acquis à leur cause. Héritage temporel ne saurait démentir place au soleil. Ainsi, ils ont tout le loisir de continuer au balcon à contempler les transhumances. Que c’est amusant ces quémandeurs à qui on fait croire donner de l’importance durant la mousson. Les butineurs vont chercher les pitances. Ils mettent du coeur à l’ouvrage. Si tu les voyais, ils font le maximum pour attirer les hirondelles du printemps, prix à payer pour recevoir congratulations.
La Reine attend de croquer le fruit glané un à un par ses petits soldats sincères se voyant officiers. Dès réception de la récolte grappillée, elle s’empresse de la servir d’abord à son entourage, aux fidèles bien placés près d’elle. Charité bien ordonnée commence par soi-même. Butine petite abeille et apporte ton miel à mon sérail. Tu continueras à alimenter indéfiniment ma nomenklatura.
La moralité de l’histoire c’est que, la modestie, la droiture, la compétence, la probité ne paient pas spécialement dans ce monde-là. Les complices qui savent et se taisent, les opportunistes qui attendent leur heure commettent les actes les plus abjectes, ceux du silence approbateur qui conduit à terme la Cité à sa perte. Depuis le temps que ces agissements sont monnaie courante, pourquoi alors ne pas faire continuer durer les manoeuvres qui ont fait leurs preuves ? A moins peut-être ma fille de changer un jour de système ! Le véritable renouvellement attend !
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