Thierry Denoël
La Suédoise, échec et mat. Et maintenant ?
Un gouvernement qui casse sur la question migratoire, mais un gouvernement qui reste au pouvoir malgré tout, même démembré. La Belgique vit une nouvelle crise politique inédite. Pour le pire ou le meilleur ? Analyse.
Samedi, l’IRM (Institut Royal de météorologie) annonçait une alerte jaune sur tout le pays, à cause des vents forts qui soufflaient. Cette alerte jaune concernait aussi le gouvernement Michel qui n’est finalement pas parvenu à s’accorder sur la nécessité d’aller à Marrakech ce lundi pour avaliser le pacte migratoire de l’ONU. Le jaune (celui de la N-VA) a donc abandonné la Suédoise qui n’est plus une Suédoise : il ne reste que l’orange (CD&V) et le bleu (MR et Open-VLD). Le psychodrame, attendu, prévisible, s’est joué lors d’un conseil des ministres exceptionnel et tempétueux, samedi soir.
Aujourd’hui, chacun y va de son discours pour rejeter la faute sur l’autre. Fin stratège, conscient des conséquences électorales désastreuses que risque le parti qui retire la prise gouvernemental (voir l’Open-VLD qui a condamné Leterme II, en 2010), Bart De Wever fait déjà tout pour expliquer que la N-VA n’a pas démissionné mais s’est fait exclure de l’exécutif. Le mot « démission » est temporairement tabou chez les nationalistes flamands qui préfèrent se poser en victime. Quant à Charles Michel, il répète et répétera encore que la N-VA a quitté délibérément le navire et a donc bien rendu son tablier. La guerre de la com’ a commencé.
C’est aussi pour préserver leur image que les partis restant dans la majorité ont décidé de maintenir à tout prix le gouvernement en vie, même si celui-ci peut être déclaré en état de mort cérébrale. Cet acharnement thérapeutique permet aussi de ne pas devoir organiser des élections anticipées, alors que le scrutin fédéral, régional et européen est prévu dans moins de six mois, le 26 mai 2019. Personne dans la majorité n’y a vraiment intérêt, semble-t-il. Même pas la N-VA. Jan Jambon a d’ailleurs indiqué, et ce n’est pas anodin, que son parti continuerait à soutenir Charles Michel sur le volet socio-économique de son programme.
Le gouvernement désormais Orange-Bleu est donc minoritaire. Les ministres N-VA sortant (Finances, Défense et Intérieur) seront remplacés par des secrétaires d’Etat. Est-ce viable? Oui, si le Parlement ne vote pas la méfiance. L’opposition ne devrait pas prendre ce risque. D’abord, ce serait faire le jeu de la N-VA. Surtout, l’opinion verrait d’un mauvaise oeil qu’on avance le scrutin, ce qui aurait un coût inévitable: c’est quasi impensable côté francophone, alors que les Gilets jaunes bloquent les ronds-points pour protester contre le prix de diesel.
De toute façon, on a déjà tout vu en Belgique, même un gouvernement en affaires courantes pendant 589 jours. Le pays s’en était d’ailleurs fort bien porté. Reste à voir comment les uns et les autres vont se conduire dans les semaines à venir. Car la campagne électorale des législatives a bel et bien été lancée ce week-end. En évoquant d’ores et déjà la « coalition Marrakech », la N-VA a donné le ton de ses prochains slogans. Le parti nationaliste flamand va essayer d’imposer une campagne basée sur les questions migratoires. Les partis de l’Orange-Bleu, qui y trouveront moins leur intérêt, devront développer des trésors de communication pour centrer les débats sur d’autres thèmes.
En attendant, bon voyage, Monsieur Michel, à Marrakech…
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