La semaine de quatre jours sans perte de salaire est-elle réaliste?
Une semaine de travail plus courte et sans perte de salaire? Plusieurs gouvernements et entreprises privées à l’étranger testent le système et espèrent des effets favorables pour l’employé et l’employeur. L’économiste du travail Stijn Baert (Université de Gand) ne cache pas son scepticisme: « Une réduction drastique du temps de travail peut être désastreuse pour un pays ».
Dimanche, à l’occasion de la fête du Travail, le mouvement syndical a commémoré la lutte pour la journée de travail de huit heures. Il y a cent ans, le temps de travail général a été réduit pour la première fois. L’évolution rapide de la technologie a supplanté de plus en plus de travail humain. Il y a cinquante ans, la semaine de travail de six jours a été ramenée à cinq jours. Pendant ce temps, la technologie continue de progresser à une vitesse fulgurante et la productivité continue d’augmenter. En même temps, le nombre de burn-out atteint des sommets. La semaine de travail peut-elle être encore plus courte ? Pouvons-nous tous travailler moins pour le même salaire ?
En Belgique, le gouvernement fédéral a décidé en février d’introduire la semaine de quatre jours pour ceux qui le souhaitent. Toutefois, les employés devraient toujours travailler le même nombre total d’heures par semaine. Ce qui n’est pas nécessairement meilleur pour la santé mentale du travailleur. Selon Stijn Baert (Université de Gand), économiste du travail, « les personnes qui ont de plus longuess journées de travail souffrent davantage de troubles mentaux et d’épuisement professionnel ».
Intérêt croissant
En mars 2021, le gouvernement espagnol a annoncé une expérience, où 2 000 à 3 000 travailleurs passeront à une semaine de travail de quatre jours et 32 heures. Le projet devrait coûter 50 millions d’euros et inclure 200 entreprises. Íñigo Errejón, le président du parti de gauche Más País, a lancé cette proposition avant même la pandémie. Le coronavirus s’est avéré être une bonne incitation pour le gouvernement : le projet démarrera cette année.
Au Royaume-Uni aussi, plus de 3 000 travailleurs pourront participer à une phase d’essai de sept mois de la semaine de travail de quatre jours à partir du mois de juin. Le projet est géré par les universités d’Oxford et de Cambridge.
Le Premier ministre portugais António Costa, quant à lui, a placé la réduction de la semaine de travail en tête de ses priorités lorsqu’il s’est présenté à sa réélection en 2019.
En mai 2020, Jacinda Ardern, Première ministre de la Nouvelle-Zélande, a également appelé à une semaine de travail de quatre jours après le Covid-19. Cela permettrait non seulement d’améliorer la productivité et l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, mais aussi de stimuler le tourisme intérieur.
Projets tests
Plusieurs entreprises testent déjà le nouveau modèle de leur propre initiative : les sociétés de logiciels Delsol et CIB Group en Espagne et la société alimentaire Unilever en Nouvelle-Zélande, par exemple. En Islande, plus de 2 500 fonctionnaires ont participé à un projet pilote entre 2015 et 2019 où ils sont passés de 40 à 35 ou 36 heures de travail sans perte de salaire. Après avoir obtenu gain de cause, le gouvernement islandais a appliqué la réduction du temps de travail à tous les fonctionnaires.
L’économiste du travail Stijn Baert nuance les résultats favorables de l’Islande. L’étude se limitait au gouvernement, ce qui rend difficile la transposition des résultats aux entreprises du marché libre. Il y a aussi des études qui ne trouvent guère d’effet favorable. Il faut donc poursuivre les recherches sur les effets de la réduction du temps de travail : l’étude actuelle se situe entre « aucun effet » et « effet favorable ».
L’experte du travail Sonja Teughels, de l’organisation patronale Voka, estime également qu’il est difficile de transposer ces succès à l’ensemble de l’économie. « Avec autant d’incertitude économique qu’aujourd’hui, je ne trouve pas normal d’introduire la semaine de quatre jours. Il y a déjà une pénurie sur le marché du travail, et les coûts de la main-d’œuvre monteraient encore plus en flèche. Les entreprises craindront une perte de compétitivité.”
Effets bénéfiques
Les études révèlent que l’impact sur les employés est positif. Ils sont moins stressés et moins enclins au burn-out. Ils se sentent mieux dans leur peau et l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée est bon. La réduction de la semaine de travail est également bénéfique pour l’employeur : les employés sont plus productifs et moins souvent absents. Pendant les heures de travail, ils travaillent plus efficacement pour éviter les pertes de temps : les heures de réunions et les pauses de midi sont réduites. « En théorie, nous pouvons certainement travailler un jour de moins, mais il faut alors une augmentation de l’efficacité de 20% », déclare Teughels. « Je ne vois pas la technologie pour y parvenir. En outre, il faudra supprimer toutes les pauses-café et les discussions avec les collègues, car chaque minute doit être rentable ». Les enquêtes du Voka montrent que le bien-être sur le lieu de travail et la combinaison avec la vie de famille sont bons, mais que la pression du travail augmente. « Le temps de travail a diminué, mais les niveaux de stress augmentent. Si l’on raccourcit encore plus la semaine de travail, je crains que ce stress ne fasse qu’augmenter. »
Au cours de la première année du projet pilote de la société de logiciels Delsol, les ventes ont augmenté de 20 % et le nombre d’absences a diminué de 20 %. Dans l’expérience islandaise, l’effet était moins prononcé. La productivité n’augmentait pas assez vite. « Ils ont dû employer plus de travailleurs et les coûts salariaux de l’entreprise ont augmenté », explique Baert.
En théorie, une semaine de travail plus courte rend également les emplois plus attrayants pour les candidats. L’entreprise de logiciels CIB Group a immédiatement vu les demandes affluer. Mais d’après les recherches scientifiques, c’est généralement l’inverse qui est vrai. Stijn Baert : « Le travail crée le travail. Si plus de personnes travaillent plus d’heures, le gouvernement doit prélever moins d’impôts par heure travaillée. Et cela se traduit par plus de consommation, plus d’esprit d’entreprise, plus de prospérité et plus d’emplois. »
Coûts salariaux
La plupart des experts s’accordent à dire qu’une réduction du temps de travail rémunéré entraîne automatiquement une hausse des coûts salariaux, ce qui rend moins attrayant l’emploi de personnes en Belgique. « Les employeurs auront tendance à automatiser les processus de travail ou à déplacer la production à l’étranger », prévient Baert. « Une réduction drastique du temps de travail dans une petite économie ouverte comme la Belgique est une recette pour le désastre. Je ne crois qu’en une ‘réduction très progressive et globale du temps de travail’ ».
Nel Lauwerier
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