« La scission a toujours été une exigence wallonne »
Son heure de gloire remonte à 1968, l’année de son fait d’armes : le « Walen buiten » de Louvain qui fut fatal au gouvernement VDB. A 99 ans, l’ex-député CVP Jan Verroken plaide non-coupable. Et parie prudemment sur une Belgique en mode confédéral. Entretien : Pierre Havaux
Nom : Verroken. Prénom : Jan. Age : 99 ans depuis le 30 janvier dernier. Parcours professionnel : député CVP, chef de groupe à la Chambre, parlementaire européen, bourgmestre d’Audenarde. Première participation à un scrutin en 1949, première élection à la Chambre en 1950. Retiré de la vie politique active en 2000, avec la remise de son mandat de conseiller communal.
Signe distinctif : surnommé dans les milieux politico-médiatiques « le tombeur de Louvain » ou encore l’homme du « Walen buiten », pour son rôle de premier plan dans la chute, en avril 1968, du gouvernement Paul Vanden Boeynants (PSC) sur la sulfureuse question de la scission de l’université de Louvain. Précision utile : l’homme n’est que très partiellement en aveux sur cette affaire et avoue même avoir toujours eu un faible pour VDB.
Situation actuelle : coule des jours paisibles dans un chalet en bois à Oostduinkerke, où il vit avec Germaine, 96 ans, épousée il y a 72 ans. Particularité ce « papy flingueur », curieux de tout et à la mémoire encore alerte, s’éclate sur Twitter (@verroken), « sa fenêtre ouverte sur le monde extérieur » qu’un voisin lui a fait découvrir.
Rencontre avec un phénomène de longévité qui tient de la légende vivante.
Le Vif/L’Express : Votre réputation est faite : vous resterez dans l’histoire du pays comme « le tombeur de Louvain », l’homme du « Walen buiten » de 1968.
Jan Verroken : Je n’ai pas été un « tombeur », les choses ne se sont pas passées ainsi. Il se fait que dans le cadre d’une réforme institutionnelle, l’enseignement devait être transféré aux Régions. Par conséquent, un enseignement donné dans une autre langue que le néerlandais n’avait plus sa place en Flandre et devenait inconstitutionnel. Avec des collègues issus des deux groupes linguistiques, j’avais déposé une proposition de loi relative à la scission de l’université de Louvain et portant sur le déménagement de sa partie francophone, le tout assorti de mesures transitoires. En coulisses, il existait donc un accord sur cette question. Au CVP, on ne voulait pas tuer l’université de Louvain.
N’êtes-vous pas trop modeste ? C’est vous qui avez eu la peau du gouvernement Vanden Boeynants en le mettant au pied du mur, non ?
Non, non ! Ma grande crainte était justement que ce gouvernement (NDLR : une coalition PSC-CVP – PLP-PVV de mars 1966 à avril 1968) ne tombe, puisque l’assemblée était constituante. En cas de chute, tout le processus de révision constitutionnelle était par terre et nous étions alors les grands perdants. En décidant d’interpeller le Premier ministre Paul Vanden Boeynants à la Chambre, je réclamais seulement qu’il fasse la clarté sur l’avenir de l’université de Louvain. Mais VDB n’a pas voulu répondre, et son gouvernement a implosé. C’était une catastrophe que je n’ai pas voulue et que le CVP ne voulait pas non plus.
Ce « Walen buiten », ce fut le vrai début de la fin du pays ? La première grande étape du divorce entre Flamands et francophones ?
« L’affaire de Louvain » a été une étape importante de l’évolution institutionnelle du pays. Mais vous savez, toute cette histoire est bien plus ancienne. Elle s’est surtout écrite à la demande des Wallons. Toute la philosophie de la scission n’a jamais été qu’une exigence wallonne. Cela a toujours été ainsi. Y-a-t-il jamais eu en Flandre un projet de former un gouvernement séparatiste, comme cela a été le cas en Wallonie durant la Question royale ? (NDLR : la période insurrectionnelle liée au retour du roi Léopold III, en 1950) « La Belgique sera latine ou ne sera pas » : voilà le slogan qui a dominé toute l’histoire de Belgique !
Je suis pour une Belgique confédérale. Flamands et Wallons peuvent encore faire des choses ensemble »
Il y a vingt ans, dans une interview, vous déclariez : « la Belgique n’est plus un royaume mais un pays composé de deux républiques indépendantes ». Cette Belgique a-t-elle encore un avenir à vos yeux ?
J’ai déclaré ça, moi ? Ah bon… Je suis pour une confédération dans un cadre belge. Quoi qu’il arrive, Flandre et Wallonie resteront toujours au même endroit sur cette planète. Je crois qu’il est encore possible de faire des choses ensemble. Mais pour cela, il faut trouver des formules acceptables de « vivre ensemble » entre Flamands et francophones. Et de grâce, arriver à une atmosphère constructive ! Mais quand j’entends le socialiste de Charleroi qui s’en prend régulièrement aux Flamands et à Bart De Wever. Allez, je ne reviens plus sur son nom…
Paul Magnette ?
Oui c’est ça, le bourgmestre de Charleroi ! Personne ne l’écoute en Flandre, il ne passe pas dans l’opinion flamande. Parce que cette opinion flamande est tout à fait différente de l’opinion publique wallonne : la Flandre ne veut qu’une chose, c’est vivre en paix, dans le calme. Elle ne veut pas de tous ces bruits de rue, de ces grèves politiques. Alors que, du côté francophone, quelle provocation ! D’ailleurs, pourquoi les francophones veulent-ils s’appeler Fédération Wallonie-Bruxelles ? Et si les Flamands se baptisaient « la Fédération flamande », que dirait-on ?
« België barst ! » après « Walen buiten ! » : n’est-ce pas dans une logique flamande des choses ?
C’est du raffut de rue, une réaction sentimentale. Moi, je n’ai jamais lutté pour une Flandre indépendante.
C’est le rêve de la N-VA…
Oui mais la N-VA, à la différence du Vlaams Belang, est un parti antirévolutionnaire. Elle ne fait que spéculer sur l’évolution du pays, sans être un parti qui manie l’insulte. La N-VA correspond aux aspirations de l’opinion flamande qui veut la paix et ne veut pas d’un parti trop agressif comme le Vlaams Belang. Bart De Wever a compris que la Flandre était antirévolutionnaire, hostile à la violence.
Il est l’homme providentiel de la Flandre ?
C’est un gars doué, qui prouve qu’il sait gérer.
Vous auriez-pu siéger comme député sous les couleurs de la N-VA ?
La N-VA est un parti un peu trop libéral, trop asocial à mon goût. Je suis et reste un CVP par nature et par choix, pas un CD&V. Vous savez, j’ai participé à la fondation du CVP : c’était un parti populaire du centre qui avait vocation à résoudre les problèmes de toutes les fractions de la population, alors que le CD&V est né sous le contrôle et le patronage de l’ACW (NDLR : le mouvement ouvrier chrétien flamand). En 1979, lorsqu’on a liquidé Tindemans, on a jeté à la rue un homme qui pesait un million de voix ! Depuis la fin des années 1970, le CVP est devenu un parti top-down : la direction décide, le reste de l’organisation doit filer droit. Et le Parlement a perdu son pouvoir législatif et de contrôle au profit du gouvernement, il n’obéit plus qu’au mot d’ordre : « il faut laisser pisser le mouton ». J’ai la nostalgie de ce CVP qui n’existe plus. C’était un si grand parti…
Mais vous étiez partisan du cartel CD&V-NVA ?
Ah oui ! Le CD&V a beaucoup perdu avec ce divorce.
Au fait, quel est l’homme politique que vous avez admiré le plus au cours de votre longue carrière ?
J’en ai beaucoup apprécié, mais de là à en admirer… (il réfléchit) j’aimais bien VDB ! On s’entendait bien.
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