Gérald Papy
La responsabilité de Nicolas Sarkozy
Les anciens présidents français de droite ont le don de collectionner les « premières » judiciaires. Jacques Chirac avait été appelé à comparaître en 2011 au procès dit des emplois fictifs de la mairie de Paris au terme duquel il fut condamné à deux ans de prison avec sursis pour détournement de fonds et abus de confiance. Son successeur Nicolas Sarkozy a inauguré cette semaine la garde à vue d’un ex-chef d’Etat. Pour spectaculaire qu’elle soit, cette mesure de privation temporaire de liberté ne préjuge pas des suites qui auront pu être données au dossier et, à vrai dire, ne surprend pas, tant le nom de l’ancien chef d’Etat est cité dans une multitude d’affaires.
Le pitch de sa garde à vue est, à lui seul, le scénario d’un roman noir à tiroirs. Nicolas Sarkozy est soupçonné d’avoir, par l’entremise de son avocat, soudoyé un magistrat de la Cour de cassation afin d’obtenir, en échange d’éventuel service, des informations sur une décision de cette juridiction. Elle concernait la légalité de la saisie, dans le cadre de l’affaire Bettencourt (abus de faiblesse, pour lequel Sarkozy a été innocenté), des agendas privés et officiels du président. Ces documents étaient susceptibles de dévoiler les arcanes de l’arbitrage controversé Bernard Tapie-Crédit Lyonnais (préventions d’usage abusif de pouvoirs sociaux et d’escroquerie en bande organisée). Le soupçon de trafic d’influence ayant, lui-même, été mis au jour à la suite du placement sous surveillance téléphonique de Nicolas Sarkozy et de son conseil dans l’enquête Kadhafi (corruption présumée lors de la récolte de fonds pour la campagne présidentielle de 2007)… Et encore n’a-t-on pas évoqué là le dossier Karachi (financement supposé illégal de la campagne d’Edouard Balladur en 1995, dont Nicolas Sarkozy était le trésorier) et l’enquête sur les sondages de l’Elysée (favoritisme et détournement de fonds publics)…
Ce énième rebondissement des démêlés judiciaires de Nicolas Sarkozy survient, qui plus est, alors que son parti, l’UMP, est en pleine « tempête Bygmalion », un dossier présumé de fausses factures lors de la campagne présidentielle de 2012 qui a déjà emporté son président, Jean- François Copé. Or, l’ancien chef de l’Etat n’a pas renoncé, loin de là, à briguer la direction de la principale formation de droite et la candidature de celle-ci à la présidentielle de 2017… Nicolas Sarkozy pouvait apparaître comme un recours lorsqu’aucun ténor ne se profilait au sein de l’UMP pour lui succéder. Il pouvait faire figure de sauveur quand Copé et Fillon s’écharpaient pour son leadership. Mais il risque d’en être le fossoyeur s’il persiste à vouloir y jouer un rôle tant qu’il n’est pas lavé de tout soupçon.
L’enjeu est pourtant crucial pour la droite. Elle rate une occasion d’endosser le leadership idéologique en France face à une gauche critiquée pour son inefficacité, tiraillée entre ses courants et déconsidérée par l’attitude de son président. Elle fait le jeu d’un Front national qui, s’il optait pour une évolution du type de celle de l’Alliance nationale en Italie – ce qui est loin d’être le cas -, s’imposerait comme la première force de droite de l’Hexagone. A l’aune de ces défis pour la démocratie française, Nicolas Sarkozy porte une énorme responsabilité. Celle de ne pas renoncer, fût-ce temporairement, à toute ambition politique et de le faire savoir pour permettre une reconstruction de la droite républicaine française dans la sérénité.
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