La prison, à user avec modération ? « Elle ne devrait être que l’ultime recours»
Pour le magistrat Christian De Valkeneer, président du tribunal de première instance de Namur et codirecteur du Groupe d’études sur les politiques de sécurité (GEPS – UCLouvain), il faut mobiliser au maximum les peines alternatives à la prison avant d’envisager un emprisonnement » très désocialisant et non productif « .
Avec cet emprisonnement obligé pour les condamnés à des peines de deux à trois ans, force va enfin rester à la loi?
L’effectivité de toute sanction est un principe général et essentiel si on veut qu’elle engendre un effet dissuasif et évite la récidive, en escomptant que celui qui subit cette sanction comprenne et retienne la leçon. Prononcer des sanctions qui ne sont pas exécutées, c’est toujours un coup dans l’eau qui revient à décrédibiliser la justice. Quel est le sens de jugements qui ne sont pas suivis d’application? Eviter la prison est une préoccupation importante chez beaucoup de juges mais une certaine forme de découragement s’installe lorsque la peine prononcée n’est pas suivie d’effet. Le danger d’une non- exécution de courtes peines de prison est alors d’accroître la lourdeur de la peine infligée afin de s’assurer qu’elle sera exécutée. En ce sens, la mesure en vigueur depuis le 1er septembre est bonne mais il faut que ce genre de signal s’applique à toutes les sanctions, pas seulement aux peines d’emprisonnement mais aussi aux amendes ou aux confiscations de montants souvent importants ordonnées dans le cadre de la lutte contre la criminalité financière organisée. Mais là, je me place dans un monde idéal.
Si faillite il y a, c’est moins dans l’exécution des peines que dans ce que la prison peut offrir aux détenus.
Et dans un monde très éloigné de la dure réalité de l’univers carcéral? Le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open VLD), veut croire à un effet positif, à long terme, sur la surpopulation carcérale…
Je suppose qu’il veut dire par là qu’une exécution plus systématique de l’ensemble des peines augmentera l’effet dissuasif et, à terme, réduira la délinquance. En l’occurrence, je ne suis pas convaincu que le système pénitentiaire sera en mesure d’absorber cette nouvelle catégorie de condamnés à des peines de deux ou trois ans, alors que la population pénitentiaire est très importante et ne décroît pas.
Faut-il voir dans la mesure prise une forme de reconnaissance des vertus de l’emprisonnement dans la panoplie des sanctions possibles?
Cette mesure ne peut en tout cas pas éviter la question de la réponse pénale à apporter et qui doit être de réduire au maximum le recours à l’emprisonnement, très désocialisant et non productif. La prison produit un taux de réincarcération de 50% à 60%, ce qui n’en fait pas l’outil le plus efficace dans la lutte contre la récidive. Elle ne devrait être que l’ultime recours, ne fût-ce que par son coût, entre 150 et 200 euros par jour et par détenu. Il faut mobiliser au maximum l’éventail des peines alternatives: le sursis probatoire, la peine autonome de travail, le bracelet électronique. Encore faut-il s’assurer de la rapidité de leur exécution et de la possibilité de les révoquer en cas de non-respect. Ce qui exige un système de justice pénale aux rouages très bien synchronisés, alors qu’il manque d’huile. Ce dont nous aurions besoin, ce sont des états généraux sur la question des peines, au lieu d’aborder les problématiques de manière fragmentée.
Le système d’exécution des peines serait-il en faillite en Belgique, comme le prétendent certains mais que réfute le ministre de la Justice?
Je n’irais pas jusque-là, mais le bon fonctionnement de la justice pénale souffre d’un système très éclaté sur le plan institutionnel, générateur de priorités ou de visions différentes, ce qui ne facilite pas les choses et rend parfois impuissant. Si faillite il y a, c’est moins dans l’exécution des peines que dans ce que la prison peut offrir aux détenus: un encadrement psychologique ou social, insuffisant faute de moyens, qui devrait permettre de dépasser la simple fonction de gardiennage. La prison devient un lieu où l’on parque des gens, non un lieu de réinsertion sociale, sans vouloir en faire pour autant un hôtel trois étoiles. Il faudrait pouvoir être plus créatif et obtenir les moyens de mettre des choses en place pour la population carcérale. Ce manque de moyens est un vrai problème. Un exemple: à Gand, Anvers et Charleroi, on a ouvert des chambres de traitement de la toxicomanie, qui fonctionnent bien. On voudrait les multiplier, mais les maisons de justice ne sont pas en mesure de fournir les assistants de justice nécessaires. Le système pénal est sous tension, il est devenu le dernier maillon de la société, on y recueille tous les dysfonctionnements sociaux d’une population en grande difficulté, de toute une catégorie de gens à la marge comme ceux en séjour illégal coupables d’infractions qui sont rapidement mis sous mandat d’arrêt pour prévenir un risque de fuite et se retrouvent en prison. Sur un plan politique, le système carcéral est-il le domaine dans lequel l’envie d’investir est la plus forte?
Vincent Van Quickenborne déplore aussi une Belgique bien trop répressive qui fait en cette matière trop de législation au lance-flammes. Il impute notamment l’inflation du nombre de peines d’emprisonnement aux nouvelles incriminations que fixent les entités fédérées. A juste titre?
Peu de lois sont encore adoptées sans dispositions pénales. Cette inflation de sanctions repose sur la conviction qu’il suffit d’accroître la sévérité des peines pour avoir un effet dissuasif alors que, pour citer Beccaria (NDLR: philosophe et juriste italien du XVIIIe siècle, auteur de Des délits et des peines, l’un des pères du droit pénal moderne), «ce n’est point par la rigueur des supplices qu’on prévient le plus sûrement les crimes, c’est par la certitude de la punition.»
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