Quentin Michel
La politique n’est pas une profession
Il est indispensable et urgent de réfléchir à la réconciliation du citoyen à la politique et cela implique une réforme en profondeur du système et non quelques ajustements.
Par l’élection de ses représentants, le citoyen délègue aux hommes et aux femmes politiques le pouvoir de gérer les affaires de la cité la durée de leur mandat. La création des assemblées législatives composées d’un nombre relativement important d’élus a pour ambition de représenter la diversité de la société. L’introduction du suffrage universel pour les hommes en 1919, pour les femmes en 1948, l’abaissement en 1981 de la majorité électoral de 21 à 18 ans et finalement les débats sur un abaissement possible à 16 ans concourent à parfaire cette représentativité.
Sans tomber dans une logique de représentation corporative, le mandataire politique est élu par ceux qui le perçoivent comme partageant leur quotidien et leurs idéaux. Il connaît la réalité tantôt du chômeur, de l’employeur, de l’indépendant, du travailleur, de l’étudiant, de l’investisseur ou plus simplement d’une catégorie de citoyens.
La professionnalisation du politique a eu pour conséquence de l’éloigner du citoyen qu’il représente. La politique est devenue – pour autant qu’elle ne l’était pas déjà – un métier dans lequel on s’engage parfois jusqu’à la retraite. A l’instar de certaines professions, pour lesquelles la clientèle se transmet parfois de générations en générations, sont nées de nouvelles dynasties d’hommes politiques avec quelques rares exceptions féminines. Or s’il est concevable que l’entrepreneur transmette à ses descendants son patrimoine, que le médecin, le notaire, le chauffagiste, l’ébéniste voient leur clientèle reprise par leurs enfants qui souhaitent exercer la même profession que leurs parents, peut-il en être de même pour les décideurs politiques ?
Admettre cette possibilité va à l’encontre de la logique du système dans le mesure où elle accorde au mandataire et à ses descendants un droit naturel sur la gestion de la cité à l’instar des rois de l’ancien régime. Elle l’éloigne progressivement de la réalité de ses citoyens et le piège dans la nécessité pour conserver son emploi – qui est le seul qu’il exerce – d’obtenir sa réélection. Ainsi obtenir une place en ordre utile sur la liste électorale devient pour lui une question de survie. Il lui importe donc de construire un réseau de relations efficaces au sein de l’appareil politique. De même, à l’instar de l’investisseur qui diversifie son portefeuille pour limiter les risques de pertes financières, il importe au décideur politique de cumuler les mandats, outre pour augmenter ses revenus, mais aussi pour garantir sa survie professionnelle en cas de non réélection dans l’un de ceux-ci.
Dans cette logique il n’est donc pas surprenant de voir certains mandataires tenir des propos surprenants sur la réalité de leurs (cons)citoyens dans la mesure où ils n’ont pour certains d’entre eux jamais connus cette réalité. Les exemples sont multiples mais on peut rappeler les propos de Louis Michel en février 2017 sur la limitation potentielle des salaires des parlementaires à 4800 euros net/mois qui aurait pour conséquence que l’on obtiendrait un Parlement coupé de la réalité, peuplé de fonctionnaires et d’enseignants mais déserté par le monde de l’entreprise et les avocats. Une telle affirmation reflète une méconnaissance précisément de la réalité professionnelle dans la mesure ou une très large majorité de la population active, avocats et entrepreneurs compris se situe bien en dessous de ce montant.
Comment ne pas être surpris d’entendre Mme Olga Zrihen repondre au journaliste en février 2017 que les 3600 euros bruts par réunion qu’elle a perçu en tant que présidente du Conseil d’administration de la Caisse des retraites des sénateurs entre 2010 et janvier 2016 sont sont justes, même si je n’ai pas vraiment vérifié, vous me le dites maintenant cela doit être aux environs de cela alors qu’un tel montant représente même en brut plus d’un mois de salaire pour la majorité des travailleurs.
Depuis quelques mois l’ensemble des partis politiques ont ouvert le débat pour introduire une meilleure gouvernance, pour limiter en nombre mais pas en temporalité le cumul des mandats, mais il me semble n’avoir pas entendu grand chose sur le lien entre le politique et le citoyen.
J’aimerais espérer un monde où il ne serait possible d’exercer dans le temps qu’un ou deux mandats. Que pendant la durée de ceux-ci, la société offrirait à celui qui les exerce la possibilité de mettre ses activités professionnelles entre parenthèses en pourvoyant à un remplacement pour assumer ses activités. Ainsi, n’aurions-nous pas au sein de nos assemblées une meilleure représentativité de nos sociétés et de leur diversité ?
Aujourd’hui le citoyen ne se reconnaît plus dans le monde politique qui le représente mais ne se désengage pas forcement du politique, il suffit pour s’en convaincre de surfer sur les commentaires en lignes des médias et des réseaux sociaux. Au-delà des propos extrêmes, des idées émergent sur des nouvelles formes de représentativité et de décision politique mais le monde politique semble y rester sourd.
Il est indispensable et urgent de réfléchir à la réconciliation du citoyen à la politique et cela implique une réforme en profondeur du système et non quelques ajustements.
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