« La police belge a un recours excessif à la force »
L’organisation de défense des droits de l’Homme Human Rights Watch (HRW) a émis des craintes quant à plusieurs réponses de la Belgique aux attaques terroristes perpétrées à Paris et à Bruxelles, qui pourraient avoir des répercussions négatives sur les droits humains. pour Koen Geens, « La politique antiterroriste actuelle est une bonne solution intermédiaire »
L’ONG pointe la mise à l’isolement prolongée des détenus accusés ou reconnus coupables d’actes en lien avec des activités terroristes, le déploiement prolongé de militaires dans les rues, les nouvelles lois de lutte contre le terrorisme parfois trop floues et des opérations policières avec un recours excessif à la force durant ces derniers mois.
HRW souligne d’abord que « les gouvernements ont le devoir de protéger leurs citoyens contre des atrocités telles que les attaques à Paris et à Bruxelles. Mais les mesures prises par la Belgique soulèvent de graves inquiétudes en termes de droits humains », indique la chercheuse en antiterrorisme à HRW et auteure du rapport, Letta Tayler.
L’ONG a ainsi fait état de 26 incidents dans le cadre desquels les polices fédérale ou locale ont semblé faire preuve d’un comportement abusif ou discriminant lors d’opérations de lutte antiterroriste. Les personnes concernées ou leur avocat ont affirmé que les forces de l’ordre avaient utilisé des insultes comme « sale Arabe » et, dans dix des cas, avaient eu recours à une force excessive. A l’exception d’un suspect, tous étaient musulmans et tous, sauf deux, étaient d’origine nord-africaine.
HRW estime qu’au moins six des lois et règlementations adoptées récemment par le gouvernement menacent les droits fondamentaux. Parmi celles-ci, la loi permettant de déchoir des binationaux de la nationalité belge pourrait laisser penser qu’il existe une couche de citoyens de « seconde zone » en lien avec leur origine ethnique ou leur religion. HRW juge aussi que la loi sur la conservation des données, qui oblige les sociétés de télécoms à fournir au gouvernement, à sa demande, des informations sur leurs clients, soulève de graves problèmes de protection de la vie privée.
Dans son rapport, HRW dénonce la politique qui place à l’isolement pendant une longue période tous les prisonniers accusés ou reconnus coupables d’infractions liées au terrorisme. Ils auraient été au nombre de 35 au moment de la rédaction du rapport. L’ONG pointe « un traitement cruel, inhumain et dégradant et pourrait s’apparenter à de la torture ».
Enfin, l’organisation indique que le déploiement de l’armée de manière prolongée dans un contexte de maintien de l’ordre civil n’est pas souhaitable. « Le rôle des soldats en temps de conflit est de neutraliser l’ennemi par le biais de moyens tels que la force meurtrière. Le rôle de la police, en revanche, consiste à limiter l’usage de la force au minimum nécessaire pour le maintien de l’ordre et à tuer uniquement en dernier ressort », estime Mme Tayler. La chercheuse craint aussi, au vu du déploiement prolongé des militaires dans les rues, que des mesures d’urgence deviennent permanentes.
HRW recommande au gouvernement d’examiner les mesures antiterroristes prises ces derniers mois afin de supprimer toutes les formulations trop vagues et de garantir un contrôle judiciaire adéquat. Parmi les autres recommandations, elle appelle la Belgique à se doter d’une institution nationale des droits de l’Homme, à prendre des mesures afin de garantir l’indépendance du Comité P, à publier les résultats du rapport du gouvernement sur le profilage ethnique par la police et à mettre immédiatement fin à la politique de mise à l’isolement de longue durée et automatique des prisonniers détenus dans des affaires de terrorisme.
L’enquête de l’organisation a été lancée après les attaques terroristes perpétrées à Paris. « Nous avons observé de près les réactions qui ont fait suite aux attaques de Paris, en France, comme en Belgique. Nous avons donc commencé nos recherches avant les attentats à Bruxelles », explique Mme Tayler.
Au cours de trois missions menées en Belgique, HRW a interrogé 23 personnes alléguant des abus physiques et violences verbales, ainsi que 10 proches ou avocats des personnes ayant rapporté des abus de la part de la police, des militaires en patrouille ou des autorités pénitentiaires. L’ONG a également parlé avec plus de 30 activistes oeuvrant pour la défense des droits humains, représentants du gouvernement et législateurs, experts sur la sécurité basés en Belgique, agents de police et journalistes. HRW a également examiné 30 lois et réglementations, nouvelles ou proposées.
« La politique antiterroriste actuelle est une bonne solution intermédiaire » (Geens)
La politique antiterroriste actuellement mise en oeuvre par le gouvernement fédéral est une « bonne solution intermédiaire » entre la nécessité d’intervenir et le respect des droits de l’Homme, a commenté vendredi le ministre de la Justice Koen Geens (CD&V), réagissant à un rapport critique de l’organisation Human Rights Watch (HRW). Le ministre Koen Geens a affirmé vendredi qu’il était ouvert pour améliorer la législation actuelle, tout en soulignant que celle-ci avait été élaborée en prenant en compte le respect de la vie privée des citoyens et la protection des droits humains.
Il a par ailleurs rappelé que certaines voix s’étaient élevées ces derniers mois pour réclamer un approfondissement de la politique antiterroriste. « D’après HRW, nous allons déjà trop loin. Cela démontre que nous avons atteint une bonne solution intermédiaire », a-t-il jugé. En ce qui concerne la mise à l’isolement de certains détenus, M. Geens souligne que cette mesure n’est prise qu’à l’encontre des personnes qui représentent un danger pour la sécurité intérieure ou extérieure. Il réfute par ailleurs que les mesures belges soient en conflit avec les droits de l’Homme et ajoute que les détenus placés à l’isolement bénéficient des droits prévus pour les personnes incarcérées. Ils ont toujours droit à une promenade par jour, trois visites pas semaines, deux heures de sport, d’éducation, de visite à la bibliothèque. « Un programme spécifique pour l’isolement n’existe pas. Les détenus placés sous un régime de sécurité individuel ont un programme adapté sur mesure », a précisé l’administration de la Justice. Koen Geens met enfin en exergue un point positif mentionné par HRW dans son rapport, à savoir que l’Etat d’urgence n’a pas été instauré en Belgique.