Céline Nieuwenhuys
La pauvreté doit être pensée. Pas compensée (carte blanche)
A l’occasion de la journée mondiale de lutte contre la pauvreté, ce 17 octobre, le front Rendre Visible l’Invisible et de Céline Nieuwenhuys, secrétaire générale de la Fédération des Services Sociaux, rappellent à quel point les risques d’appauvrissement de la population belge sont grands. Et à quel point les pouvoirs publics agissent insuffisamment.
Voici que revient le 17 octobre. Cette date est celle qui a été choisie par les Nations-Unies pour mettre chaque année la pauvreté à l’agenda du monde. Cette journée mondiale de lutte contre la pauvreté, qu’on appelle aussi journée du refus de la misère, est ainsi devenue, au fil des années, le témoin fidèle d’une promesse non tenue : celle de l’éradication de ces appauvrissements et de la régression des inégalités qui les accompagnent.
Disons-le tout net : ce ne sera pas encore cette année que l’on célébrera la fin des pauvretés et le retour aux égalités. Il est au contraire beaucoup plus probable que, dans les mois à venir, un nombre de plus en plus grand de personnes s’appauvrissent sur la planète et que les conditions de vie de celles et ceux qui supportent déjà quotidiennement la diminution de leurs droits et de leurs moyens d’existence continuent à se dégrader.
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L’an dernier, nous appelions à ce que les minima sociaux soient supérieurs au taux de pauvreté ; que le salaire minimum et le montant des pensions augmentent ; que la sécurité sociale soit préservée et son financement élargi ; que les services publics soient renforcés au bénéfice de toutes et de tous au lieu d’être sans arrêt définancés et que les droits sociaux soient une fois pour toutes individualisés. Nous estimions que ces mesures étaient non seulement nécessaires mais aussi prioritaires si l’on voulait éviter que les changements climatiques et les atteintes à la biodiversité et aux écosystèmes ne pénalisent les personnes les plus directement atteintes mais aussi les moins responsables, au Sud comme un Nord, de la carbonation de l’atmosphère ou de la prédation des ressources naturelles. Un socle, disions-nous, devait être constitué et solidifié. Un socle duquel personne ne pourrait plus tomber.
Les personnes précaires, premières victimes des catastrophes naturelles
Les mois qui viennent de passer et ceux que nous vivons nous montrent à quel point ce socle est effectivement essentiel. Sur le plan climatique, nous avons vécu des inondations jamais vues et des mégafeux de forêts partout. D’ici, nous avons eu l’impression d’un été qui ressemblait à l’automne et pourtant il aura été le plus chaud jamais enregistré en Europe. Imaginez-vous ça : tandis que les inondations de juillet ravageaient une bonne partie de la Wallonie – 41 personnes décédées, 40.000 tonnes de terres polluées et 40.000 bâtiments touchés dont plus de 5.000 totalement ou partiellement détruits, parmi lesquels un bon nombre de logements sociaux ou de logements de personnes précaires qui sont les premières victimes de ce déluge – d’autres parties du continent vivaient sous une insupportable canicule : il a fait 47,4 ° à Cordoue, en Espagne.
Sur le plan économique, nous avons affaire à des pénuries et au retour de l’inflation. Pénuries de papier, de pâtes, de café, de puces électroniques, mais aussi pénurie de soignants et pénurie d’enseignants. Inflation de l’électricité, du gaz, de l’eau, du diesel, des matériaux de construction, du bois… Cela commence à se voir très fort que des limites sont atteintes. Et que les plus pauvres sont les plus touchés par le dépassement de ces limites. La note sera salée. Elle sera surtout impayable.
Sur le plan social, on a pu s’apercevoir que le Covid n’arrêtait pas le profit. Les déjà riches se sont considérablement enrichis durant la pandémie – à titre d’exemple, Bernard Arnault et sa société LVMH ont gagné 62 milliards d’euros depuis le mois de mars 2020. Et les récentes révélations sur les Pandora Papers ont montré à quel point les riches savaient échapper au bien commun et à la chose publique : le socle de la pauvreté et la réponse aux pénuries, aux inflations et à la question environnementale sont entièrement contenus dans ces 11 300 milliards de dollars non payés.
Alors, lorsque l’on nous dit que les mesures de transition écologique ou de sortie de la crise du Covid demanderont à être compensées pour les plus pauvres, nous répondons une nouvelle fois non. La pauvreté demande à être pensée, pas compensée. C’est-à-dire que les situations de pauvreté et de ce qui les permet doivent être prises en compte prioritairement dans la construction de mesures politiques et non pas en bout de course comme c’est le cas. La question climatique comme la question sanitaire doivent être abordées à partir du social, pas le contraire.
Mobilisation ce 17 octobre
Le 17 octobre, nous rappellerons cela. Nous rappellerons que la situation socio-sanitaire a montré à quel point le recours au numérique pour traiter des situations administratives du public et notamment des personnes appauvries était une illusion. Nous rappellerons que la question du logement doit se mesurer non pas au mètre carré spéculatif mais à sa capacité à répondre aux enjeux socio-climatiques. Nous appellerons aussi à imaginer une sécurité sociale de l’alimentation qui pourrait constituer désormais un droit humain à part entière.
Nous rappellerons tout cela et bien d’autres choses – comme l’ineptie du statut de co-habitant – car s’il faut inlassablement rappeler aux élus quelles responsabilités ils ont acceptées en se présentant au suffrage populaire, il faut aussi être en capacité de nous emparer dès maintenant de ce que le monde politique néglige ou dédaigne. C’est comme si désormais les tâches étaient réparties ainsi : au monde politique la réparation, à la société civile la préparation.
Le 17 octobre, nous nous préparerons.
Rendre Visible l’Invisible est un collectif d’associations, sans affiliation à un parti politique, mobilisées autour du 17 octobre, Journée mondiale de lutte contre la pauvreté. Depuis 2017, il organise à cette date un événement à Bruxelles pour donner la parole à ceux qui vivent la misère et mettre en lumière leur situation. Depuis 2019, le front est également actif durant l’année sous la forme d’un groupe de réflexion et d’action se réunissant chaque 17 du mois. Membres 2021 ArtiCule, Agroecology in Action, Association 21, ATD Quart Monde, Centre d’Appui SocialEnergie, Concertation Aide alimentaire, Convivence, Equipes populaires, Espace Social Télé-Service, Fédération des Services Sociaux, FIAN, Front Commun des SDF, Greenpeace, Habitant.e.s des Images, La Rue, Nourrir Bruxelles, Oxfam, le Pivot, Promo Jeunes, Rencontre des Continents, Réseau BITUME, Réseaux Solidaires, Transit, Une Maison En Plus Plus d’infos sur RVI et la journée mondiale de lutte contre la pauvreté à Bruxelles
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