Nicolas Baygert
La métapolitique de Bart De Wever
Discours royal, affaire du T-shirt arc-en-ciel, « censure » à la Foire du Livre, char « SS-VA » au carnaval d’Alost – à chaque fois, Bart De Wever semble en mesure de capitaliser sur l’événement et de marquer sensiblement l’agenda médiatique.
Les opposants à Bart De Wever sont irrités. Ils dénoncent tour à tour la stratégie du « coup d’éclat permanent » pratiquée par le nouveau bourgmestre d’Anvers. Lui-même évoque aujourd’hui le destin tragique de Pim Fortuyn (leader populiste néerlandais assassiné en 2002) pour dénoncer les dangers d’une « criminalisation » rampante et d' »une nouvelle sorte de cordon sanitaire », fustigeant au passage la « Twittocratie » grégaire (pour lui, les présidents de partis n’ont d’ailleurs rien à faire sur Twitter).
Or, le paysage politico-médiatique francophone semblerait avoir enfin intégré le fait que le binôme diabolisation-victimisation constitue le moteur du martyrologue télégénique du leader de la N-VA, à la base de son positionnement antisystème. Superlatifs dénigrants, tweets outrés et « Bart-bashing » généralisé ne font ici qu’alimenter le processus. Dont acte.
Il paraît également clair qu’en tant que « bon client » plus que bankable, De Wever soit dorénavant en mesure de définir les contours de sa propre médiatisation, lui permettant çà et là d’offrir une exégèse (orientée) de sa propre com’. Mais la rhétorique dewéverienne, parfaitement adaptée au prélèvement médiatique de « petites phrases » qui font mouche, n’est pas pour autant dénuée de fond. Et là où l’opinion francophone ne connaît que les sorties « chocs » dans le registre du temps court, pour l’opinion flamande De Wever est un rhéteur du temps long, (re-)connu depuis une dizaine d’années déjà pour ses chroniques du Morgen et du Standaard et autres causeries télévisées.
Un décalage symptomatique. On ne compta ainsi pas moins de 450 000 spectateurs (audience record) scotchés devant l’émission Reyers laat du 6 février sur Canvas. Celle-ci opposait Bart De Wever au philosophe Etienne Vermeersch, les deux protagonistes s’affrontant à coups de locutions latines et de name-dropping sans fin. Loin d’être soporifique (les chiffres montrent que le téléspectateur ne zappa presque pas), le débat offrit une lucarne sur les ressorts idéologiques de l’individu.
Opposant le scepticisme de Nietzsche et de Tocqueville à l’anti-autoritarisme naïf de Rousseau ou de Mill, De Wever s’inscrit de façon structurée, comme « intellectuel organique », dans une métapolitique – concept développé par le théoricien marxiste Antonio Gramsci d’après lequel la conquête du pouvoir politique passe d’abord par la conquête du champ idéologique et culturel. Une volonté de reconfigurer la société par l’instauration d’un nouveau système de représentations socialement partagé que l’on retrouvait aussi chez l’ancien chroniqueur de l’hebdomadaire Elsevier, Pim Fortuyn.
Objectif : distiller sa vision du monde pour que cette dernière acquière peu à peu une portée historique. Les indices de cette métapolitique chez De Wever se retrouvent autant dans sa critique répétée du secteur culturel flamand que dans son récent positionnement au sein du débat sur la neutralité des fonctionnaires anversois. Anvers comme laboratoire sociétal avant 2014 ?
Reste que sous l’angle de cette dynamique métapolitique, on entraperçoit des médias flamands sous perfusion et une classe politique francophone cherchant jusqu’ici, en vain, le remède dans l’indignation.
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