François Remy
« La lenteur politique tue plus que le virus de l’hépatite C »
L’état actuel de la médecine permettrait de guérir les 70.000 Belges souffrant d’hépatite C. Mais par leur culte du compromis, nos dirigeants alimentent l’inertie des campagnes de dépistage et bloquent même l’accès aux médicaments, en particulier chez les enfants. Pour qu’au final, dans la nébuleuse des compétences réparties entre fédéral et régional, les motivations budgétaires dictent la politique de santé.
Très peu de domaines de la médecine ont connu des avancées thérapeutiques aussi considérables que les traitements de l’hépatite C. En vingt-cinq ans, les taux de guérison ont bondi de 10 à 95%. Les toutes dernières molécules portent même à 100% ces chances de vaincre le virus, en à peine 12 semaines de soins. C’est bien simple, la science permet désormais de rayer cette maladie de la carte belge. « Nous pouvons éradiquer le virus en dix ans », a affirmé lors du forum de l’asbl Chac (Carrefour Hépatites – aide et contact) le Pr Peter Starkel. Cet hépatologue des Cliniques universitaires Saint-Luc a eu le privilège d’accéder à un modèle de projection mathématique validé aux États-Unis et dans plusieurs pays européens. Selon ce fameux modèle, il « suffirait » effectivement de traiter 7.000 de nos patients chaque année pour supprimer totalement l’hépatite C à l’horizon 2025. Cette heureuse perspective manifestement accessible se heurte alors à deux obstacles de taille: l’insuffisance du dépistage et la rigueur budgétaire.
Malades ignorants, patients ignorés
L’hépatite C aiguë touche près d’1% de la population belge. Pourtant, une personne contaminée sur deux s’ignore et risque ainsi de sévères complications (cirrhose, hépatocarcinome, etc.). « C’est une maladie asymptomatique pendant très longtemps, jusqu’à un stade terminal. Les patients se sentent globalement bien jusqu’au moment où c’est trop tard », explique le Pr Christophe Moreno, hépatologue à l’hôpital Erasme.
Ensuite, la population méconnaît les modes de transmission. Dans le monde politique mais aussi médical et paramédical. Dès lors, le dépistage n’est pas assuré correctement. « On voit régulièrement en consultation des patients qui ont des facteurs de risque évidents et qui n’en sont pas du tout au courant », regrette le Pr Moreno.
Pour augmenter le dépistage, il existe différentes pistes. Pour le faire rapidement, il conviendrait de cibler les personnes les plus exposées, en dépistant par exemple les patients âgés de 35 à 64 ans. « Ils représentent 70% des patients hépatite C positifs. On pourrait réaliser chez eux une sérologie en préopératoire, les médecins traitants dépisteraient en fonction d’états de fatigue ou autres », propose l’hépatologue d’Erasme.
Traduction pour nos décideurs obsédés par le budget : quand on dépiste une population plus à risque, on doit mener moins de tests et donc dépenser moins d’argent pour poser un diagnostic. « L’ambition du politique va souvent se manifester en fonction des moyens financiers », concèdera d’ailleurs en fin de forum la présidente de la Commission Santé, Muriel Gerkens (Ecolo).
Le fric, ce hic
Les nouveaux traitements ne comportent quasiment plus d’effets secondaires. Les patients poursuivent leur vie normalement, vont travailler, sont actifs. Cependant, ces molécules affichent un prix extrêmement élevés et représentent donc un coût imposant pour la sécurité sociale. Voilà pourquoi en Belgique l’accès à ces médicaments reste limité à des patients en stade avancé de la maladie. Pour maîtriser le budget des soins de santé, les autorités ont décidé de réserver le traitement à entre 900 et 1.000 patients par an.
Or, en se basant sur le modèle prospectif évoqué auparavant par le Pr Starkel, pour éradiquer en dix ans le virus de l’hépatite C en Belgique, il faudrait donc augmenter de 6.000 unités le nombre de personnes traitées chaque année. Cela pourrait représenter entre 200 et 500 millions d’euros de dépenses supplémentaires par an, à raison d’un coût pour l’Inami de dizaines de milliers d’euros le traitement, contre 70 à 80 euros pour le patient.
Mais nos gouvernants se réjouiront certainement d’apprendre que ce courage budgétaire pourrait générer en contrepartie des économies substantielles. Le scénario le plus efficace d’éradication permet en effet de diminuer les coûts pour l’assurance maladie de l’ordre de 50%. « Et ce scénario s’étend non plus sur 10 mais 15 ans. Cela demande donc moins d’efforts de dépistage, moins d’efforts budgétaires. Il faut évidemment prendre ces mesures avec beaucoup de prudence, cela n’inclut pas le surcoût que nous aurons pour le traitement et l’écart indirect sur le plan productivité, mais c’est un gain réel », souligne l’hépatologue des Cliniques St-Luc.
Néanmoins, dans les deux cas, qu’il s’agisse de l’éradication en 10 ou 15 ans, les politiques devraient décider d’élargir progressivement les indications dès 2016 pour parvenir à traiter tout le monde dès 2020. « Et toutes les autres options possibles, c’est-à-dire traiter moins de patients, garder les restrictions d’accès aux stades de fibroses, tous ces scénarios nous empêcheront d’éliminer le virus en Belgique. Quelle que soit l’alternative, on diminuera le taux de mortalité de manière très significative, on aura moins de cirrhose et moins de cancers du foie mais on n’atteindra pas l’éradication », insiste Peter Starkel.
Des médicaments « périmés » pour les enfants
Autre constat interpellant : en Belgique, les enfants n’ont pas officiellement accès aux traitements. Pour des raisons là encore politiques, les plus jeunes patients atteints d’hépatite C n’ont accès qu’à des médicaments qu’on ne propose plus depuis longtemps à leurs aînés. En Belgique, contrairement à la plupart des pays européens où il y a une extension automatique chez l’enfant, la société pharmaceutique doit renégocier avec les autorités.
« Notre système va faire que cette extension sera perçue par les politiques comme une obligation de renégocier le prix du médicament à la baisse. C’est véritablement un frein, aucun traitement n’a ainsi été remboursé chez l’enfant malgré l’autorisation européenne de mise sur le marché », regrette le Pr Étienne Sokal, hépatologue pédiatrique aux Cliniques St-Luc.
Le comble, certains des enfants contaminés présentent de graves fibroses qui pourraient rentrer dans les critères de remboursement chez l’adulte. Les médecins doivent dès lors recourir à la débrouille pour offrir le traitement. « Via des études cliniques ou en allant quémander un usage compassionnelle auprès de la firme. Nous devons avoir des autorisations spéciales de notre comité d’éthique et une responsabilité médicale supplémentaire pour traiter hors indication ou hors remboursement », soupire-t-il.
« Bienvenue à Blablaland »
Connue pour sa communication franche et ses expressions fleuries, Muriel Colinet, la présidente de l’asbl Chac, résume le problème au fait que « nos politiques blablatent beaucoup avant de prendre une décision. Comme on a 7 ministres de la Santé et des divisions de compétences infernales, j’ai d’autant le sentiment qu’il y a un gaspillage, et ce temps perdu, les politiques ne se rendent pas compte, ça coûte des vies ». L’association souhaiterait assister à la mise en oeuvre du Plan Hépatite C, dont la résolution a été adoptée par la Chambre en 2012. Elle milite aussi en faveur de cette loi d’indemnisation pour les victimes contaminées par transfusion fin des années ’80, comme il y a eu une loi pour les sidéens. « Qui ose choisir? Qui ose Dire ‘oui vous pouvez être traité’ ou ‘non, pas vous’ ? », s’interroge de façon rhétorique Muriel Colinet.
Entourée de ses confrères libéraux, socialistes et humanistes, la députée Muriel Gerkens confesse alors que « le politique doit assumer que son temps de travail ou d’action est lent, long, par rapport à ce que traversent les patients. Il y a toujours des accords à trouver, des raisons budgétaires. Mais une politique efficace, doit se situer dans un projet de santé publique, global et intégré. Et il faut insister sur la dimension de prévention et la promotion de la santé. C’est un des points faibles dans notre pays. Ce sont toujours les budgets les plus faibles et les plus difficilement concrétisables car on doit arriver à toucher les gens là où ils sont. »
En sortant de la Maison des parlementaires où se tenait le forum, un patient conclut sombrement: « la lenteur du politique belge tue plus que le virus ».
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