Selma Benkhelifa
La justice, trop laxiste ou trop sévère ?
Les deux idées trouvent des défenseurs. Et on doit admettre que les deux camps ont raison. La justice se montre parfois d’un laxisme déconcertant et parfois d’une sévérité choquante. Comment expliquer par exemple que la plupart des violeurs n’aillent pas en prison ?
Chaque fois qu’on aborde la question de l’utilité des prisons, les défenseurs de l’institution carcérale rétorquent avec l’exemple de Dutroux ou d’autres violeurs en série.
Pourtant dans une étude sur le traitement judiciaire des dossiers de viol, réalisée à la demande de la Commission européenne, Danièle Zucker révèle que : « Dans l’échantillon étudié, la moitié des auteurs est restée inconnue. Sur les 50 restants, 4 ont été jugés, 3 ont obtenu du sursis, 1 a été condamné à une peine effective. 100 dossiers de viol ? Un auteur a purgé une peine de prison« .
Et la chercheuse ne parle que des viols connus, quand les victimes ont porté plainte, alors que l’on sait que beaucoup de femmes violées gardent le silence.
Ces chiffres sont édifiants. Ils montrent que les auteurs de viols ne sont ni activement recherchés, ni poursuivis. La politique belge de classement sans suite des affaires de violences sexuelles a déjà fait l’objet d’une condamnation à Strasbourg.
En 2017, la Cour européenne des droits de l’Homme avait condamné la Belgique suite au classement sans suite d’une affaire de violence sexuelle.
« Les dispositions de l’article 3 obligeaient donc les autorités à mener une enquête effective. Compte tenu de cette obligation positive, les autorités auraient dû user, dans les meilleurs délais, de toutes les possibilités qui s’offraient à elle pour faire la lumière sur les faits et, le cas échéant, établir les circonstances des viols et attentats à la pudeur allégués, et ce dès le dépôt de plainte de la requérante. La Cour précise que le respect de cette exigence procédurale de mener une enquête effective s’apprécie notamment en tenant compte de l’adéquation des mesures d’investigation ainsi que de la promptitude et du caractère approfondi de l’enquête. Il revenait donc aux autorités d’enquête de prendre les mesures nécessaires pour apprécier la crédibilité des accusations et éclaircir les circonstances de la cause en respectant les exigences de célérités et de diligence raisonnables. »[1]
Comment justifier une telle situation de laxisme, alors que dans d’autres affaires, la justice et le parquet font preuve d’une sévérité excessive. Par exemple, très récemment, dans l’une des nombreuses affaires qui concernent des migrants/passeurs qui tentent de passer en Angleterre, le Parquet a réclamé entre 6 et 8 ans de prison ferme.
Dans ces affaires de « trafiquants d’êtres humains », il n’y a même pas de victimes identifiées, pas de plaignants. Pourtant de très lourdes peines de prison sont demandées par le Parquet et les tribunaux suivent. Lorsqu’on sait qu’en plus les sans-papiers ne bénéficient pas de mesures de libération anticipée, on comprend que ces migrants resteront effectivement 8 ans derrière les barreaux.
Il y a de quoi se poser des questions sur le choix de société du parquet. Sur le choix des priorités de la politique criminelle.
Selon le Ministère de la Justice lui-même, le trafic des êtres humains est une question de violation des droits ou de la sécurité de l’Etat. Il s’agit de passer les frontières d’un état de façon illégale.[2]
Contrairement à la traite des êtres humains qui est une question de violation des droits de l’individu.
Dans le cas du trafic, la justice reconnait qu’il n’y a pas de victimes, que le but est la protection des frontières. Pourtant elle va se montrer beaucoup plus sévère que vis-à-vis d’auteurs de violences sexuelles.
Dès lors doit-on conclure que la priorité du parquet est de faire de la politique migratoire au détriment de son rôle de garant de l’ordre public ?
Un choix doit être opérer : celui de remettre les êtres humains au coeur des préoccupations de la justice
Les trafiquants d’êtres humains ne sont une menace pour la sécurité nationale que dans la propagande nauséabonde de certains partis. Les violences faites aux femmes, les viols, le harcèlement, les violences conjugales sont un vrai impératif de sécurité.
Il est tant d’exiger un vrai droit de regard de la société civile sur la politique des poursuites.
[1] CEDH, 2.05.2017, affaire B.V. c. Belgique (requête no 61030/08),
[2] SPF Justice. Plan d’action. Lutte contre le trafic des êtres humains 2015-2018 http://www.dsb-spc.be/doc/pdf/TEH%20Plan%20action%202015-18%20FR.pdf
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