Daniel Bacquelaine
La guerre intergénérationnelle aura-t-elle lieu?
Notre monde change. Aujourd’hui – et c’est tant mieux – des enfants peuvent échanger avec leurs arrière-grands-parents. Aujourd’hui, il n’est pas rare d’avoir simultanément des parents pensionnés et des grands-parents eux-mêmes pensionnés. Aujourd’hui, vu le coût des maisons de repos, il arrive que les pensionnés dépensent leur capital durant leurs dernières années. Aujourd’hui, on hérite de ses parents longtemps après que les enfants aient quitté la maison et parfois quand on est soi-même pensionné.
Notre système des pensions, adopté dans l’immédiat après-guerre, n’est plus adapté. A maints égards, il est même devenu injuste. Raison pour laquelle, depuis le début de cette législature, nous le réformons en profondeur. Il était plus que temps.
Je fais partie des baby-boomers, c’est-à-dire la génération née dans l’après-guerre encore nommée « génération bénie », celle qui a bénéficié des « trente glorieuses » à une époque où l’accès à l’emploi et au logement était plus aisé qu’il ne l’est aujourd’hui, qui a connu Mai 68, qui a bénéficié de la sécurité d’emploi et d’une hausse continue du salaire réel. Etant jeune, elle a emprunté en période de forte inflation à des taux d’intérêt réel négatif et, quand les taux sont remontés, elle a pu épargner. Il y a eu certes deux chocs pétroliers dans les années 70 mais il ont été amortis en partie par un colossal endettement public à une époque un peu désinvolte où le ministre socialiste des Finances d’alors déclarait : « le déficit est apparu comme un mauvais rhume et il disparaîtra de la même façon ».
Cette génération, aujourd’hui pensionnée ou en voie de l’être, fut la première à cotiser pour la génération précédente encore nommée la génération « malheureuse », c’est-à-dire celle qui a vécu la seconde voire la première guerre mondiale, celle qui a vécu la crise de 1929 et celle qui n’a rien pu épargner. C’était bien la moindre des choses que cette génération sacrifiée bénéficie d’une pension sans avoir elle-même cotisé pour la précédente. A partir de cette exception fondatrice, le système de retraite par répartition était né. La mécanique était lancée.
Hélas, les générations qui suivent celle des baby-boomers sont nettement moins avantagées. Même si l’action du gouvernement actuel permet de créer de nombreux emplois, trouver un travail aujourd’hui n’est pas toujours aisé. Conserver le même emploi sa vie durant est presque illusoire. Jusqu’à ce que de sérieuses réformes de ce système ne soient décidées, elles n’avaient même plus l’assurance de jouir d’une pension à l’âge de la retraite…
En effet, l’allongement de l’espérance de vie a, entre autres choses, rendu le système caduc. 65 ans, c’était l’âge moyen du décès au jour où ce dernier a été mis en place. Aujourd’hui, il est de 81,29 ans en Belgique. Selon des projections du Bureau Fédéral du Plan (2014) sur base de données Eurostat, le taux de dépendance nominale (c’est-à-dire le nombre de personnes de plus de 65 ans divisé par la population entre 20 et 64 ans) va passer de 28,67% (en 2010) à 48,31% (en 2050). En clair, la proportion des retraités va continuer à s’accroître relativement à celle des personnes en âge de travailler. Comme si cela ne suffisait pas, une politique désastreuse, inspirée des idéaux socialistes de partage du temps de travail, a été mise en oeuvre ces dernières décennies : celle consistant à retirer précocement des seniors du marché du travail (prépensions, pensions anticipées, etc.) afin de donner de l’emploi aux jeunes. Non seulement ces politiques ont été ruineuses pour la collectivité, mais des travaux académiques ont désormais prouvé que ces programmes n’ont pas eu d’effet favorable sur le chômage des jeunes. Quel gâchis !
La retraite par répartition permet d’amortir les chocs et n’est pas, en soi, un mécanisme ruineux pour autant que le transfert entre générations reste équilibré. Malheureusement, pour les raisons citées plus haut, ce n’est plus le cas. Depuis 2003, les cotisations de retraite ne couvrent plus la totalité des dépenses de pensions. Et ce phénomène s’accentue malheureusement chaque année.
Etait-il normal, était-il moral de léguer à nos enfants un système aussi déséquilibré et impayable à terme ? Non. Raison pour laquelle nous avons, entre autres mesures, relevé l’âge légal de la pension et modifié les conditions d’accès à la pension anticipée. Le PS promet que, une fois au pouvoir, il s’empressera d’annuler cette réforme. Le PTB aussi. C’est à la fois profondément irresponsable et immoral. Impossible de défendre cette idée et de prétendre en même temps se soucier des générations futures. Impossible également de prétendre défendre la valeur cardinale de la solidarité si cette solidarité ne s’étend pas aux générations futures.
On peut d’ailleurs sérieusement se demander si, face à cette situation explosive résultant de la désinvolture de dix ministres socialistes des pensions successifs, les générations futures continueront à se sentir moralement tenues de cotiser pour leurs parents et grands-parents qui, grâce aux progrès médicaux, vivent de plus en plus longtemps. Or, nous désirons plus que tout pérenniser le système par répartition. Mais, l’attitude du PS et du PTB n’est-elle pas finalement la plus dangereuse pour la survie de ce magnifique système de solidarité ? Ne conduit-il pas à un conflit des générations ? Si le système fait faillite, une question abominable se poserait alors : est-il encore raisonnable d’entretenir les personnes âgées ? Quelle régression !
Heureusement, comme l’ont montré Serge Guérin et Pierre-Henri Tavoillot dans un ouvrage paru l’année passée, nous vivons dans une société où les liens entre générations se sont singulièrement renforcés. Dans l’hypothèse d’une faillite du système, on reviendrait probablement à une logique patriarcale et collectiviste aux antipodes des libertés individuelles conquises de haute lutte. Une société plus traditionnelle où les parents vivraient à nouveau chez leurs enfants sans autre alternative. Une société qui réduirait le libre-choix et l’autonomie financière des aînés.
Cette société, nous n’en voulons pas. Que faire ? Réformer le système comme s’y emploie l’actuel gouvernement fédéral. Il parvient heureusement à réduire l’endettement et à créer des emplois, ce qui est le meilleur moyen de financer la protection sociale. Du côté des pensions, l’idée de base – qui est aussi celle de la Commission de réforme des pensions – est que, à côté de ce précieux système de répartition se développe un régime légal de capitalisation qui permette à chacun de se constituer une pension de manière autonome sans s’appuyer sur les générations futures. Outre la prolongation de la période d’activité, nous développons considérablement le pilier de la pension complémentaire. Nous mettons en place une pension partielle permettant de gérer la transition entre la fin de carrière et l’âge de la pension. Nous encourageons le travail au-delà de la limite d’âge pour ceux qui le désirent : il est désormais possible – c’était impossible avant – de cumuler de façon illimitée une pension de retraite et des revenus professionnels après l’âge de 65 ans ou après 45 années de carrière. Enfin, nos réformes en général et le système des pensions à points en particulier visent précisément à lier davantage le montant perçu à la retraite au travail presté durant la carrière : ceux qui ont cotisé davantage doivent recevoir davantage. Autant d’incitants qui soulageront les générations futures et augmenteront le taux de remplacement des pensions, c’est-à-dire le pourcentage des revenus professionnels qu’un travailleur conserve lorsqu’il bénéficie de sa pension.
Au cours des dernières décennies, un processus séculaire s’est progressivement enrayé. En réalité, nous devons non pas léguer une dette à nos enfants mais rembourser à ceux-ci la dette que nous contractons auprès de nos parents. C’est la réciprocité indirecte. Nous devons même faire davantage : donner plus à nos enfants que ce que nous avons reçu. Nous jouissons aujourd’hui de standards élevés. Cette accumulation de richesses résulte du travail des générations qui nous ont précédés pour nous rendre la vie plus facile. C’est un immense patrimoine (immobilier, capitalistique, technique, scientifique, artistique, etc.) qui se transmet et augmente au fil des siècles. C’est d’ailleurs le sens de la parabole des talents qui correspond à une sagesse ancestrale : il ne suffit pas de conserver ce que l’on a reçu et de le transmettre intact à la génération qui suit. Il faut, aussi, le faire fructifier et en transmettre encore davantage. C’est là une attitude responsable et digne. C’est aussi la dynamique du progrès propre à une société de libertés.
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