« La France n’a pas mené d’action pour infléchir la loi belge »
« La France n’a pas mené d’action pour infléchir la loi belge » sur la transaction pénale élargie, a assuré mercredi l’ex-secrétaire général et ex-ministre français de l’Intérieur Claude Guéant, renvoyant le dossier Kazakhgate à une affaire d’intérêts privés mais reconnaissant avoir validé le nom de l’avocate Catherine Degoul, conseillère du trio Chodiev.
« L’équipe, c’est l’équipe des avocats dont le chef de file était Catherine Degoul, il y avait Armand De Decker, il y en avait d’autres. Ils ont fait un beau travail, effectivement puisqu’ils ont obtenu la transaction. Cela a arrangé la France. C’est vrai parce que le président (kazakh) Nazarbayev avait fait savoir qu’il lui serait agréable que les poursuites (en Belgique contre le trio kazakh) soient arrêtées et que cela pourrait faciliter les relations commerciales » entre la France et le Kazakhstan, a indiqué M. Guéant. Les services diplomatiques kazakhs avaient sollicité l’Élysée d’une action en faveur de Chodiev, en préambule d’une visite du président Sarkozy au Kazakhstan en 2009, a-t-il expliqué. Un important marché d’hélicoptères a ensuite été passé entre la France et le Kazakhstan, sans que M. Guéant voit forcément un lien avec le dossier Chodiev.
L’ex-secrétaire général de l’Élysée a indiqué mercredi n’avoir jamais eu « aucun contact » avec des membres du gouvernement belge dans cette affaire de transaction pénale élargie et n’avoir jamais été mis au courant du suivi du dossier au coeur des travaux de la commission d’enquête parlementaire sur le Kazakhgate. Pas plus qu’avec d’autres membres du gouvernement belge, il n’a donc forcément pas eu de contact, dit-il, avec Didier Reynders, dont le nom a été cité à plusieurs reprises cette semaine. Et non, le président Sarkozy n’a « certainement pas » eu, lui non plus, de contact avec le ministre Reynders dans ce dossier. M. Guéant ne s’est pas montré aussi tranchant quant à l’éventualité de contacts par la voie diplomatique franco-belge.
Figurant au centre de nombreuses notes et de mails en possession de la justice française sur le Kazakhgate, M. Guéant a confirmé mercredi avoir participé à un déjeuner à Paris fin février 2011 (probablement le 27) avec l’équipe d’avocats de Chodiev (Degoul-De Decker) et deux conseillers de l’Élysée, à l’initiative de cette rencontre. Le déjeuner a, entre autres choses, probablement porté sur un état des lieux du dossier Chodiev, s’est-il souvenu.
M. Guéant était au courant d’initiatives visant à modifier la loi belge sur la transaction pénale et se souvient qu’il en a été question lors du déjeuner. « J’ai certainement été informé, je ne sais pas par quel canal, de cette perspective d’évolution législative qui permettait une autre issue aux difficultés judiciaires de Chodiev et consorts. Il suffit de lire la presse, il n’y a pas besoin de canaux d’information particulier », souligne-t-il. Or, à cette époque-là, la perspective d’une telle modification législative n’était pas évoquée dans la presse, comme l’a rappelé Olivier Maingain (DéFI).
Claude Guéant relativise la portée de son intervention mais authentifie le document de la justice française cité mercredi par Le Vif évoquant son appel, en sa qualité de ministre de l’Intérieur, à l’Élysée pour le suivi de la rémunération des avocats à l’issue du « magnifique travail » réalisé par Armand De Decker et son équipe.
L’ex-bras droit s’est borné à évoquer le dossier kazakh comme une « banalité » alors que l’Élysée du président Sarkozy avait bien d’autres dossiers à régler au sortir de la crise financière.
Il n’a pas convaincu les membres de la commission d’enquête parlementaire dont certains ont dénoncé les mensonges par omission de l’ancien bras droit de Nicolas Sarkozy.
Vincent Van Quickenborne (Open Vld) a souligné que le dossier kazakh était donc bien piloté par une équipe composée des avocats Catherine Degoul et Armand De Decker, payés par Chodiev, et de l’ex-préfet Jean-François Etienne des Rosaies et l’ex-conseiller diplomatique Damien Loras (un proche de Chodiev), payés par l’Élysée. La séquence est à présent claire, a-t-il indiqué. Après le feu vert du comité ministériel restreint du 3 février, des contacts sont entrepris, Armand De Decker se rend notamment au domicile du ministre de la Justice Stefaan De Clerck. Le déjeuner du 27 février à Paris vise à faire le point sur ces contacts et évoquer la perspective du vote. Dire que la France s’est cantonnée à rôle de facilitateur, « rien n’est moins vrai », a dénoncé le député libéral flamand. « Vous ne mentez pas, vous n’énoncez que certains souvenirs », a-t-il dit à Claude Guéant. Selon lui, Claude Guéant a tenté de nier une influence qui apparaît au grand jour. « Je serais honteux », lui a-t-il lancé. « Il n’y a pas là de la banalité mais de la gravité car ce qui est en jeu relève de questions de souveraineté et de séparation des pouvoirs », a renchéri Georges Gilkinet (Ecolo). « Est-ce l’habitude de l’Élysée de déjeuner avec des avocats pour traiter d’une affaire judiciaire en cours dans un autre pays? », s’est étonné Francis Delpérée (cdH), tentant en vain, comme Damien Thiéry (MR) et Olivier Maingain (DéFI) d’en savoir plus sur le contenu de la rencontre du 27 février à Paris. « Il y a là l’implication directe des plus hauts fonctionnaires de l’État. Nous avons le sentiment que vous ou vos plus proches collaborateurs sont au coeur de cette affaire », a conclu Karine Lalieux (PS).
Cité dans plusieurs affaires, mis en examen (inculpé), Claude Guéant a également été condamné à deux ans de prison pour détournement de fonds publics et interdit de l’exercice de toute fonction publique pendant cinq ans.