La femme au foyer, une profiteuse qui vit aux frais de la société?
Activer la femme au foyer en prétextant qu’elle serait improductive: un discours politique qui jette le trouble et un pavé dans la mare. Entretien avec Annie Cornet, spécialiste de l’étude de genre (HEC-ULiège).
«Les femmes sont libres de rester à la maison mais pas aux frais de la société»: difficile de ne pas déceler un reproche dans ce propos du ministre fédéral de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open VLD)…
Je suis très en colère, révoltée quand je découvre de tels propos. Il est scandaleux, choquant, de pointer ainsi une catégorie de personnes en sous-entendant qu’elles abuseraient d’un système qu’elles contribuent par ailleurs à faire tourner et dont elles reçoivent très peu. Rester au foyer, par choix ou par contrainte, est un facteur de pénibilité plus que de confort, que l’on songe aux années non comptabilisées pour le calcul de la pension ou à une réduction progressive des allocations de chômage. Je peine à comprendre les avantages matériels qu’il y a à rester femme ou homme au foyer.
Conner Rousseau, président de Vooruit, s’est lui aussi déjà exprimé dans le même sens. Bernard Clerfayt (DéFI), ministre bruxellois de l’Emploi, a été vivement critiqué pour sa vision d’un «modèle familial méditerranéen» à remettre en question. La critique de ces hommes politiques serait-elle éminemment genrée?
Pourquoi ne parler que de la femme au foyer alors que de plus en plus d’hommes font aussi ce choix de vie? Bonjour, le stéréotype. J’ai peine à croire que ce positionnement puisse ramener des voix, sauf à surfer sur un discours focalisé sur le poids excessif des taxes ou sur les «profiteurs» du système. Après la personne au foyer, ciblera- t-on les vieux dans les maisons de repos?
Ces propos n’expriment-ils pas une volonté louable de (re)mettre la femme ou l’homme au foyer à l’emploi?
Ce qui me fait un peu sourire, c’est que si toutes les femmes au foyer revenaient sur le marché du travail, je me demande bien comment celui-ci serait en capacité de les absorber. Et si tel est le cas, avec quelle opportunité d’emploi à la clé, pour quel statut, quel salaire? Ce serait avant tout un travail dans les domaines de l’éducation ou de la santé, comme aide-ménagère, aide-soignante, infirmière. Parce que toutes ces femmes au foyer ne sont pas universitaires.
La mère au foyer d’origine immigrée est la première dans le collimateur. Sa condition soulève-t-elle un problème particulier?
Il faut tenir compte de l’évolution des modèles familiaux issus de l’immigration. Le schéma traditionnel du migrant qui débarque chez nous puis se charge de faire suivre femme et enfants s’estompe. Dans beaucoup de ménages d’origine immigrée, ce sont les femmes qui ramènent désormais un revenu, plus que les hommes.
En quoi la femme ou l’homme au foyer contribuent-ils à la richesse du pays?
Un environnement familial équilibré, assuré par un des partenaires au foyer qui se charge d’encadrer les enfants, peut être un facteur important dans la réduction de la délinquance juvénile. La femme ou l’homme au foyer accomplit énormément de choses au profit de la collectivité, au travers généralement du bénévolat: des actions sociales au sein d’asbl, l’accompagnement de personnes âgées… On ne peut pas non plus oublier les conjoints aidants que l’on confond souvent avec les personnes au foyer, et qui travaillent toute leur vie sous un sous-statut, jusqu’à soixante heures par semaine parfois, pour aider un conjoint indépendant, de manière bénévole ou en étant très peu payés, et pour toucher trois cents euros de pension au final. Mais toute cette contribution importante et bénéfique pour la société est insuffisamment valorisée et reconnue.
Rester au foyer, par choix ou par contrainte, est un facteur de pénibilité plus que de confort.
Faut-il systématiquement partir du point de vue que le choix d’être femme au foyer n’est pas librement consenti et que c’est donc lutter pour l’émancipation féminine que de le décourager?
C’est une fausse manière de poser un débat bien plus complexe. Certaines personnes décident volontairement de se retirer du marché du travail pour s’occuper des enfants ou, dans le cas de familles aisées, parce que le besoin d’y rester ne se fait pas sentir. Mais beaucoup font le choix du foyer par nécessité, notamment parce qu’il n’y a pas d’infrastructures d’accueil et de garde d’enfants disponibles à proximité et accessibles à un prix raisonnable. Répandre l’idée fausse que les femmes seraient toujours dans cet état par contrainte revient à les infantiliser, comme si elles n’étaient pas capables de décider par elles-mêmes de leur choix de vie.
La femme au foyer trouve-t-elle toute sa place dans le mouvement féministe?
La position des féministes sur ce point a toujours été un peu ambiguë. Le courant dominant repose sur l’idée de l’indépendance économique de la femme, acquise par le travail. La femme au foyer est donc perçue en position de subordination, de dépendance par rapport à un conjoint. Moi-même qui suis féministe, je suis la première à me battre pour la femme au foyer.
Observe-t-on un mouvement de regain pour la femme au foyer?
C’est le cas aux Etats-Unis, où joue la dimension morale et religieuse au sein d’une société très puritaine, très traditionnaliste, où le modèle de la famille saine suppose une femme qui gère et contrôle la vie des enfants.
Puisque tout travail mérite salaire, pourquoi est-il si difficile d’envisager que les tâches accomplies au sein du foyer justifieraient, elles aussi, une allocation spécifique?
J’ai toujours pensé que ce serait une bonne chose. Le travail domestique, les tâches ménagères, sont encore perçus comme naturellement féminins. Rémunérer la personne au foyer serait reconnaître qu’il y a un travail fourni, trop souvent invisible, qui mériterait d’être rétribué. Mais cette idée pâtit de l’impression répandue que cela reviendrait à payer des gens à ne rien faire.
Le débat sur le statut de la femme au foyer mérite-t-il d’être posé?
Certainement, et le fait qu’il soit remis dans l’actualité par le biais de ces prises de position politiques est plutôt une bonne chose. A condition, toutefois, de donner la parole à celles et ceux qui vivent ce statut, par choix ou par contrainte, notamment parmi les femmes d’origine étrangère. Car il y a quelque chose d’insupportable à vouloir décider de faire le bonheur d’autrui et de décréter ce qui serait moralement juste ou injuste.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici