La démocratie participative, une belle arnaque ?
Du « blabla » et puis quoi ? Un rapport universitaire (ULB-VUB) vient semer le trouble sur l’efficacité de la vogue de la participation citoyenne en politique, alors que la Région bruxelloise, après la Wallonie, se prépare à introduire la consultation populaire sur des enjeux régionaux. Le philosophe et juriste John Pitseys, chef de groupe Ecolo au Parlement bruxellois et l’un des porteurs de ce chantier de la démocratie directe, veut y croire et déroule les raisons de ne pas désespérer. Entretien.
Les expériences de consultation des citoyens montreraient leurs limites lorsqu’on passe au stade des décisions politiques, s’il faut en croire une recherche universitaire (ULB-VUB) financée par la société « Itsme ». C’était couru d’avance ?
Je ne suis pas étonné par le bilan. Le rapport porte moins un constat que les risques liés aux conditions d’une participation citoyenne: tout le monde y-a-t-il accès sur un pied d’équité? L’opinion émise est-elle prise en compte de la même manière? La force du meilleur argument est une bonne chose mais ne doit pas passer sous silence les biais d’inégalité sociale et les mécanismes d’autodisqualification liés notamment à une peur de s’exprimer à côté de pros de l’information rompus à l’art de la parole tels que journalistes, militants actifs de la société civile ou universitaires. Le rapport rappelle que la participation citoyenne ne peut être simplement un étendard de communication. Il ne préconise pas « moins de participation » mais « plus de participation ». Ce qu’il faut mettre en relief, c’est l’absolue nécessité de mettre au clair les objectifs et les règles à suivre. La démocratie participative ne peut être une farandole de Schtroumpfs, un exercice ludique.
S’il est impératif de ne pas « tromper le citoyen sur la marchandise », ce n’est pas toujours le cas ?
Les participants à un processus de démocratie délibérative ne sont jamais seuls à décider. Faire croire que c’est le cas n’est pas honnête. Il y a un gouvernement, une administration, qui sont aussi impliqués. Appliquer une décision, c’est toujours aussi la faire. Le but ne peut évidemment pas être d’enfumer les citoyens. Tous les outils institutionnels sont susceptibles d’être utilisés à des fins particulières, cela vaut pour une délibération parlementaire, gouvernementale ou citoyenne. Ceux qui soulèvent la question d’une instrumentalisation de l’outil participatif se la posent souvent moins quand il s’agit de réformer le système parlementaire.
« We Need To Talk », un panel citoyen consacré au financement des partis, a rendu ses recommandations. On peut prendre les paris sur leur suivi par le politique ?
Je suis très agréablement surpris par l’engagement et le professionnalisme de cette participation citoyenne et par la qualité des recommandations. Les politiques en feront ce qu’ils décideront et en répondront devant l’électeur le moment venu.
La consultation populaire sur un enjeu précis peut-elle réussir là où les panels délibératifs ont apparemment plus de mal à convaincre de leur réelle utilité?
Il ne s’agit pas de compétition. La démocratie, c’est comme un couteau suisse. C’est parce qu’il a cinq ou six lames qu’il est efficace et apprécié. Pétition, consultation populaire, commission délibérative, il est important qu’il y ait plusieurs outils.
Ne pas être sûr qu’il sera répondu à la question précise soumise à consultation populaire, n’est-ce pas courir un risque de vider grandement l’exercice de son sens ?
Mais il faut assumer le fait que les citoyens puissent répondre à côté de la plaque, c’est un droit qu’il faut leur reconnaître.
Consulter les citoyens sans rendre leur verdict contraignant, c’est refuser de pousser jusqu’au bout la logique de la démocratie directe ?
Je suis personnellement favorable à un caractère contraignant, hormis le fait qu’il n’est pas constitutionnellement permis. Ceci étant, plus d’un référendum censé avoir force de loi n’a pas été suivi d’effet pour des raisons de rapport de forces politique, alors que des consultations populaires peuvent influer sur des prises de décision politique.
Si la démocratie représentative incarnée par les parlementaires se montrait à la hauteur de la mission qu’on attend-elle, éprouverait-on autant le besoin de démocratie participative, directe ?
La démocratie directe est intrinsèquement liée à la démocratie indirecte. Elle peut contribuer à sa légitimité en aidant à lutter contre le sentiment de défiance démocratique alimenté par une impression d’illisibilité et d’impuissance de la décision politique. La continuité de l’action politique exige des corps constitués. Les citoyens n’ont ni le temps ni l’énergie ni l’envie d’assumer des tâches politiques.
Un porte-parole est toujours un peu « un traître ». Porter une parole, c’est inévitablement la déformer
John Pitseys
Ne serait-il pas plus indiqué d’exiger des représentants du peuple qu’ils s’émancipent de la logique partisane et de la discipline de vote qui les étouffent et les transforment trop souvent en bons petits soldats aux ordres de leur parti ? N’est-ce pas ce que les citoyens-électeurs attendent avant tout ?
Un porte-parole est toujours un peu « un traître ». Porter une parole, c’est inévitablement la déformer. Les représentants ne sont pas les représentés, ils sont censés représenter l’intérêt général mais que personne n’est en mesure de déterminer. Chaque parti est convaincu qu’il porte cet intérêt général. Logique partisane, loyauté de majorité, inertie : les désavantages associés à la démocratie représentative sont liés à ses avantages. L’inertie sera perçue comme de la stabilité, la déconnexion comme une capacité de prendre ses distances, la « discutaille » comme une délibération démocratique nécessaire. On demande aux représentants de ne pas céder aux humeurs du moment, d’être capable de s’entendre entre eux. Comme quoi, le remède peut être aussi le poison. La démocratie directe n’est pas en concurrence avec la démocratie représentative, elle permet de lutter en partie contre le poison en offrant la possibilité de répondre à deux injonctions : « Je n’y comprends rien », « je ne peux rien y faire ».
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