La Belgique serre la vis en matière de régularisation fiscale. Après avoir été laxiste longtemps ?
C’est ce qui ressort d’une comparaison internationale. Et c’est ce que dit l’ex-patron de l’ISI Gand, Karel Anthonissen depuis des années.
Dans l’hebdomadaire Knack du 14 février, le patron de l’Inspection spéciale des impôts (ISI) a confirmé l’annonce récente de son ministre de tutelle qui avait fait l’effet d’une petite bombe dans le milieu des avocats fiscalistes : le vieil argent noir, soit les capitaux placés à l’étranger pour échapper au fisc, est désormais traqué par l’ISI, même si le délai de prescription fiscale de sept ans est dépassé. Frank Philipsen et le ministre des Finances, Johan Van Overtveldt (N-VA), le disent désormais en choeur : les fraudeurs ne peuvent plus compter sur la prescription des capitaux car l’administration fiscale informera automatiquement la justice, lorsqu’elle démasquera l’un d’eux, et des poursuites pénales pour blanchiment pourront alors être engagées, avec un avantage de taille : sur le plan pénal, il n’y a pas de prescription tant que les fonds restent cachés.
Les contribuables concernés sont donc vivement invités à régulariser leurs capitaux prescrits auprès du point de contact ad hoc du SPF Finances. Millionnaires, ils seraient encore nombreux, selon le gouvernement. Les comptes étrangers qui hébergent ces capitaux prescrits se trouveraient surtout en Suisse et au Luxembourg, lesquels ont déjà commencé à pratiquer l’échange automatique de renseignements financiers, notamment avec la Belgique. Pour les experts en DLU (les fameuses opérations d’amnisties fiscales), dont la quatrième version a été lancée en août 2016, s’attaquer aux capitaux prescrits constitue une vraie révolution.
En effet, la DLU quater prévoit l’obligation de déclarer les capitaux fiscalement prescrits, ce qui n’était pas le cas des DLU précédentes, plutôt muettes ou floues sur la question. Or, la nouvelle battue de l’ISI lancée par le ministre des Finances pour déterrer les capitaux prescrits vise forcément aussi les contribuables qui ont rentré leur demande de régularisation lors des DLU précédentes. Il s’agissait alors de régularisations partielles qui ne concernaient que les revenus du capital et non le capital lui-même. Les premières DLU ne se prononçant pas clairement sur la question, les avocats fiscalistes avaient, pour la plupart, conseillé à leur client de ne pas déclarer le capital. Ce faisant, ces repentis se croyaient en sécurité juridique. Ce que vient de démentir Johan Van Overtveldt. D’où leur émoi.
Une voix dans le désert
En réalité, le fisc aurait pu, ou dû, lancer cette opération » mains propres » bien plus tôt. Un fonctionnaire de l’ISI le clame depuis des années, en vain : Karel Anthonissen, l’ex-directeur régional de l’ISI Gand et bête noire des avocats fiscalistes. Contrairement à ceux-ci, il affirme que les premières DLU permettaient de régulariser tout le capital, que la loi n’indique nulle part qu’on ne pouvait pas remonter au-delà de sept ans et qu’il y avait, de toute façon, un risque de poursuite pénale. C’était d’ailleurs la pratique de l’ISI Gand, lorsqu’Anthonissen la dirigeait. Au sein des Finances, tout le monde le prenait, au mieux, pour un original qui n’en est pas à une bravade près.
Surtout lorsqu’en octobre 2016, il a introduit une plainte auprès du parquet fédéral et des principaux parquets du pays pour fraude fiscale. En cause, justement : le capital non déclaré lors des DLU, soit une fraude fiscale potentielle de 36 milliards d’euros et 61 546 dossiers de blanchiment à ouvrir. Quelques mois plus tard, le parquet fédéral classait sans suite la plainte et Karel Anthonissen était écarté de la direction gantoise de l’Inspection spéciale. Une décision prise par Frank Philipsen qui prône aujourd’hui, comme son ministre de tutelle, de chasser les capitaux prescrits… Cherchez l’erreur.
Plus de 64 milliards d’euros régularisés en un an en Italie
On comprend néanmoins l’agacement des contribuables concernés qui se disent choqués de voir les règles changer à ce point quatorze ans après la première DLU, surtout avec effet rétroactif. Ils ne sont pas forcément de mauvaise foi. Autrement formulé, on peut se demander si l’Etat n’a pas fait preuve de trop de mansuétude dans l’application des premières DLU, ce qu’Anthonissen a toujours dénoncé, en se montrant plus intransigeant à Gand. Trop laxiste, la Belgique à l’égard de ses repentis fiscaux ?
C’est ce qui ressort d’un rapport publié, fin 2017, par la Cour des comptes française, qui compare différents régimes dans plusieurs pays européens, où des opérations de régularisation ont été réalisées à des moments différents, avec des objectifs divers. Il apparaît que la Belgique fait partie des pays les plus indulgents, après l’Italie, avec, côté italien, un taux d’imposition de 2,5 % en 2001 et, côté belge, un taux de 6 à 9 %, en 2004 (ce taux sera revu à la hausse dans les DLU suivantes). Cette première régularisation en Italie a donné des résultats spectaculaires : plus 54 milliards d’euros régularisés en un an. Contre 5,7 milliards pour la première DLU belge.
En Allemagne et en France, les opérations de régularisation ont démarré plus tard. Elles se sont avérées d’emblée plus dures. Outre-Rhin, en 2010, la procédure appelée » selbstanzeige » (autodénonciation) permettait à un contribuable d’échapper aux poursuites pénales s’il s’acquittait de tous les impôts éludés, intérêts applicables et majorations encourues, pour des montants de droits éludés inférieurs à 50 000 euros. Ce seuil a été resserré plus tard à 25 000 euros et les sanctions pour fraude fiscale ont été alourdies pour inciter les récalcitrants à se dénoncer.
Chez ces deux voisins directs, les dispositifs de régularisation ont surtout été liés aux achats ou à l’utilisation par les autorités fiscales de données » volées » à de grandes banques : LGT Liechtenstein, Crédit Suisse, UBS, du côté allemand, et HSBC, du côté français. C’est d’ailleurs dans la foulée des révélations des premières » listes HSBC » par Hervé Falciani, en 2009, que la France a créé une première cellule de régularisation. L’exploitation de ces données » volées » a été beaucoup plus timide en Belgique.
Au Royaume-Uni, un dispositif de régularisation, baptisé No Safe Havens, a été lancé récemment dans la perspective de l’échange automatique de renseignements. Il permet aux contribuables de divulguer leur patrimoine à l’étranger et de se mettre en ordre avec le HMRC (fisc britannique), avant que les pénalités ne soient alourdies à partir du 1er octobre 2018. En Espagne, comme aux Pays-Bas, il n’y a pas d’amnistie fiscale. Ces deux pays comptent sur l’échange automatique. Dans ce contexte européen, la stratégie actuelle du gouvernement belge de serrer la vis paraît fort tardive. Il aurait peut-être fallu écouter plus tôt Karel Anthonissen.
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