Jules Gheude
La Belgique respire de plus en plus mal
Elisabeth effectuant sa première visite officielle en Afrique avec sa mère. Elisabeth assistant à l’enregistrement du discours prononcé par son père à l’occasion de la Fête nationale. Elisabeth avec sa robe en mousseline Nathan réussissant l’épreuve des hauts talons sur les méchants pavés de la Place Royale…
Elisabeth va avoir 18 ans et il convient donc de la préparer sérieusement à son destin : monter sur le trône de Belgique.
Sauf qu’elle pourrait n’en avoir jamais l’occasion. Car le roi Philippe se trouve aujourd’hui confronté à une situation alarmante : le pays respire de plus en plus mal. Non pas en raison de la canicule, mais parce que les résultats des élections législatives et régionales du 26 mai dernier l’ont rendu proprement ingouvernable. Voilà deux mois que les informateurs royaux, Didier Reynders (MR) et Johan Vande Lanotte (SP.A), s’arrachent les cheveux pour résoudre la quadrature du cercle.
Avec un gouvernement en affaires courantes depuis le 21 décembre 2018, la Belgique doit aujourd’hui faire face à un déficit budgétaire de près de 10 milliards d’euros. Et nul ne perçoit l’horizon d’un nouveau gouvernement de plein exercice.
Le paysage politique apparaît lui-même totalement chamboulé. Constatant les tiraillements au sein du SP.A, de l’Open VLD et du CD&V, Walter Pauli, journaliste à « Knack », pose carrément la question : « N’est-ce pas le prélude d’un drame qui pourrait survenir dans les prochaines années : la désintégration des trois partis classiques ? ».
Des lignes de fracture sont aussi visibles dans les formations francophones traditionnelles, qui ne savent plus trop bien sur quel pied danser.
Au niveau régional wallon, Elio Di Rupo a d’ores et déjà perdu son pari de mettre sur pied une majorité ultra-progressiste. Avec Groen seul, il n’atteint pas la majorité. Après le désistement du PTB et du CDH, le voilà donc forcé de négocier avec le MR. Un MR qui, après avoir été écarté du gouvernement bruxellois, entend bien faire monter les enchères. Si Groen retire ses billes, il est clair qu’une coalition PS-MR peut s’attendre à une fronde sans précédent de la part de la FGTB. Tout cela au détriment du redressement wallon.
« Jamais avec la N-VA », avait également affirmé Elio Di Rupo. Mais après le message royal du 21 juillet, le ton a quelque peu changé : « Les informateurs royaux semblent vouloir organiser des tables de discussion. Si tel est le cas, nous irons discuter ».
Mis en présence de Bart De Wever, Elio Di Rupo ne pourra toutefois éviter le sujet du confédéralisme. Car, pour les nationalistes flamands, première force politique du pays, il ne peut plus être question de se montrer financièrement solidaires d’une région qui, sous l’influence prépondérante du PS, s’est engagée depuis 1980 sur une piste qui ne lui permet pas de décoller. « Libre à la Wallonie de faire les choix politiques qu’elle souhaite, à condition d’en assumer pleinement le coût financier ! ».
La discussion fera long feu. Car le confédéralisme de Bart De Wever implique notamment la scission de la sécurité sociale, fonds de commerce du PS !
Cette revendication est toutefois largement partagée en Flandre. En 2002, alors qu’il était président du VLD, Karel De Gucht avait déclaré : « Il est inadmissible que la Flandre paie davantage pour les soins de santé et reçoive moins en retour de la Wallonie ». On se souvient également de la réaction du président du CD&V, Wouter Beke, à la proposition de la ministre de la Santé, Maggie de Block, visant à refédéraliser cette compétence : « Le passé nous a montrés qu’une politique fédérale unifiée n’était pas une réponse. D’une refédéralisation, il ne peut donc être question. D’autres réformes suivront, de nouveaux pas en matière de soins de santé devront être posés « .
Avec la 6e réforme de l’Etat, Elio Di Rupo s’était félicité d’avoir sauvé la Belgique. On constate aujourd’hui qu’il n’en est rien et que l’avenir du pays est plus que jamais menacé. Conscient des difficultés budgétaires qui attendent aussi la Wallonie, le président du PS a d’ailleurs évoqué la nécessité de revoir la loi de financement.
La réalité, que les responsables francophones se refusent à voir, est pourtant claire. Elle se retrouve en toutes lettres dans le préambule de la « Charte pour la Flandre » (Handvest voor Vlaanderen), adoptée en 2012 par le gouvernement flamand : « Vlaanderen vormt een natie » (La Flandre forme une nation).
Dans leur rapport final, les informateurs royaux seraient bien inspirés de rappeler cette évidence. Et de reprendre également le conseil que José-Alain Fralon, l’ancien correspondant du journal « Le Monde » à Bruxelles, s’était permis de donner au roi Albert II, dans son livre « La Belgique est morte, vive la Belgique ! » (Editions Fayard) : « Si, au lieu de ce baroud d’honneur qui risque de mal tourner (…), vous la jouiez plus finement ? En admettant, comme nous le ferons tous tôt ou tard, que rien ne pourra arrêter la marche de la Flandre vers son indépendance, et en accompagnant celle-ci au lieu de tenter en pure perte de la stopper ».
Nous étions alors en 2009. Aujourd’hui, il ne manque que 5 sièges à la N-VA et au Vlaams Belang pour détenir ensemble la majorité absolue au Parlement flamand. Et comme l’écrivait le journaliste Pierre Bouillon du « Soir », le 23 mars 2013 : « Que fait un séparatiste, s’il bénéficie d’une légitimité démocratique ? Ben, il sépare. Ça t’étonne, Yvonne ? ».
Jules Gheude, essayiste politique
Dernier livre paru :« La Wallonie, demain – La solution de survie à l’incurable mal belge », préface de Pierre Verjans (ULg), Editions Mols, 2019.
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