La Belgique à la poursuite de cotisations sociales que les fonctionnaires européens… ne lui doivent pas
Les uns après les autres, des arrêts de la Cour de justice européenne confirment que les fonctionnaires européens exerçant aussi une activité d’indépendant ne doivent pas de cotisations à l’État belge, qui les leur réclame pourtant.
Des fonctionnaires européens, en Belgique et singulièrement à Bruxelles, on en recense un fameux nombre. Environ 32.000 rien que pour la Commission. Et il se trouve que certains exercent parfois aussi une activité en tant qu’indépendant, dans le secteur de la consultance ou de l’enseignement, par exemple. D’autres, retraités de l’institution et installés en Belgique, jouent les prolongations et basculent, après leur carrière européenne, vers un régime d’indépendant. A ce titre, tous sont invités, via leur caisse d’assurance sociale, à s’acquitter de cotisations – comme tout travailleur indépendant en Belgique.
Sauf qu’étant déjà affiliés (ou l’ayant été) au régime d’assurance maladie commun aux institutions de l’Union (RCAM), aucun de ces fonctionnaires européens n’est en réalité assujetti aux cotisations réclamées par les Etats membres. Ce qui est reconnu depuis un arrêt rendu par la grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) datant du 10 mai 2017. Laquelle s’était penchée sur un litige entre Wenceslas de Lobkowicz, fonctionnaire retraité de la Commission européenne, et le ministère des Finances et des Comptes publics français à propos de son assujettissement à des contributions et à des prélèvements sociaux au titre des années 2008 à 2011. Verdict: «les privilèges et immunités de l’Union européenne […] s’opposent à ce que l’Etat membre (ici la France) assujettisse le fonctionnaire à des contributions et à des prélèvements sociaux qui sont affectés au financement du régime de sécurité sociale de ce même Etat membre»…
Résistance à la belge
Jusqu’ici, la sécurité sociale belge a semblé ignorer cet arrêt majeur. Jusqu’à ce qu’une affaire en particulier vienne, fin 2023, la rappeler à l’ordre. Celle-ci concerne un certain J.D., ex-fonctionnaire européen de nationalité britannique qui a également exercé une activité d’indépendant en Belgique après avoir pris sa retraite en 2006. Pendant des années, J.D. s’est acquitté des quelque 50.000 euros (au total) réclamés, au fil du temps, par sa caisse d’assurance sociale belge (Acerta)… avant de s’apercevoir qu’il ne devait probablement rien.
Malgré une tentative de règlement à l’amiable, J.D. a donc saisi le tribunal du travail francophone de Bruxelles en 2021, contestant le versement de ses cotisations. Face à lui: Acerta, mais aussi l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants (Inasti), ainsi que l’Etat belge. Incapable de se prononcer, le tribunal a renvoyé la patate chaude à la CJUE, qui a donné raison à l’ancien fonctionnaire, faisant valoir les «privilèges et immunités» et autres «dispositions du statut des fonctionnaires de l’Union européenne».
Un arrêt bien encombrant pour la Belgique, d’abord parce que d’autres affaires similaires (une demi-douzaine) seraient pendantes, selon l’Inasti, ensuite parce qu’il ne concerne pas seulement les fonctionnaires retraités qui ont pu avoir, comme J.D., une seconde carrière en tant qu’indépendant en Belgique: les salariés seraient aussi concernés, si l’on s’en réfère à l’arrêt rendu le 16 novembre dernier. Et justement, un nouvel arrêt rendu par la CJUE le 18 avril vient confirmer cette jurisprudence, a constaté Le Vif.
Cette fois-ci, l’affaire concerne un certain G.I., fonctionnaire de l’Union depuis le 1er septembre 2007 et entré au service de la Commission à partir du mois d’août 2010. G.I., qui, depuis le mois d’octobre 2015, exerce également une activité complémentaire d’enseignement rémunérée, à raison d’un maximum de 20 heures de cours par an, nous apprend la CJUE. Le 4 juillet 2018, G.I. a été, comme d’autres fonctionnaires européens dans son cas, informé par l’Inasti qu’il devait s’affilier à une caisse d’assurances sociales, puisqu’il «exerce une activité professionnelle de travailleur indépendant».
La jurisprudence n’est pas en faveur des caisses d’assurances sociales belges.
Conséquences inconnues
Certes, le montant des cotisations qui lui est réclamé est bien inférieur à ce qu’avait payé J.D.: un peu plus de 3.000 euros. Mais G.I. estime que «son assujettissement au régime belge de sécurité sociale des travailleurs indépendants est contraire au principe de l’unicité du régime de sécurité sociale applicable aux fonctionnaires des institutions de l’Union» – une contestation similaire à celle de J.D. quelques mois plus tôt. Comme lui, voilà G.I. devant le tribunal du travail francophone, où ce dernier assigne sa caisse d’assurance sociale – cette fois-ci, il s’agit de Partena. Et le tribunal, de nouveau, de s’en remettre à la CJUE. Qui, dans son arrêt du 18 avril dernier, cite abondamment le cas de J.D. pour motiver sa décision, concluant logiquement que les «privilèges et immunités de l’Union européenne» s’opposent à «la législation d’un Etat membre qui impose l’assujettissement au régime de sécurité sociale […] d’un fonctionnaire de l’Union européenne qui exerce une activité professionnelle accessoire d’enseignement sur le territoire dudit Etat membre.»
Sur le fond, le tribunal du travail bruxellois doit encore statuer, mais il ne fait guère de doute que la jurisprudence n’est pas en faveur des caisses d’assurances sociales belges, les arrêts de la CJUE étant contraignants. Une tuile pour la sécurité sociale belge (ONSS), qui ignore l’étendue des conséquences financières. Jusqu’il y a peu, l’arrêt concernant J.D. était encore en cours d’analyse par l’Inasti, qui ne s’est pas (encore) prononcé sur sa portée et ses conséquences.
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