Alain Destexhe
La bataille de la 5G : l’Europe en ordre dispersé
Dans une quasi indifférence médiatique et sans débat public, une formidable bataille se déroule en Europe autour de l’avenir de la 5G.
La 5G va non seulement permettre des vitesses de téléchargement beaucoup plus rapides que la 4G, mais aussi rendre possible de nombreuses applications dans les domaines des technologies de l’information (IT) et de l’intelligence artificielle (IA), comme la télémédecine, les voitures autonomes ou la maison connectée à distance pour n’en citer que quelques-unes. Pour beaucoup d’entreprises, l’accès à la 5G sera un élément important de leur compétitivité.
La Chine en avance
La Chine est très en avance sur le reste du monde. Le gouvernement chinois, qui entend aussi devenir le leader mondial dans le domaine de l’IA, en a fait une priorité. Si la Corée du Sud a ouvert le bal de la 5G, depuis le 1er novembre, elle est aussi disponible dans 50 villes chinoises où l’on prévoit 150 et 200 millions d’utilisateurs dans un an ! Et l’entreprise Huawei est le leader mondial des équipementiers de la 5G.
L’administration américaine a pris des sanctions contre cette société, l’accusant d’être à la solde des autorités chinoises et invoquant des risques pour la sécurité nationale. Les entreprises américaines ne peuvent vendre aucun composant technologique à la compagnie, qui est par ailleurs bannie des marchés publics américains. Les États-Unis accusent un énorme retard dans la 5G et, aussi étonnant que cela puisse paraître, n’ont pas d’entreprises capables de procéder seules au déploiement de la 5G. Au niveau mondial, les cinq acteurs principaux dans le domaine sont les Chinois Huawei et ZTE, le Sud-Coréen Samsung, le Suédois Ericsson et le Finlandais Nokia.
Des risques pour la sécurité
L’Europe semble avoir été étrangement indifférente à la question de la sécurité et au risque de voir des données sensibles tomber en des mains étrangères. Alors que Huawei est présent sur les marchés européens des réseaux fixes et mobiles depuis plus de 15 ans et que l’on connaît depuis longtemps les caractéristiques et les enjeux de la 5G, ce n’est que le 9 octobre dernier que la Commission européenne a publié un rapport sur l’évaluation des risques des réseaux 5G. Les auteurs, qui ne citent pas une seule fois Huawei, exposent une série de risques et concluent que « ces défis créent un nouveau paradigme de sécurité, ce qui oblige à réévaluer la politique et le cadre de sécurité actuels applicables au secteur et à son écosystème et il est essentiel pour que les États membres prennent les mesures nécessaires de réduction des risques ».
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Mais ce rapport arrive bien trop tard ! La plupart des États sont déjà engagés dans la définition des appels d’offres auprès des opérateurs téléphoniques, eux-mêmes déjà en contact avec les fournisseurs d’équipement dont Huawei. Et désormais l’administration Trump exerce une pression considérable sur tous les pays européens afin de bannir Huawei du marché.
Manque d’anticipation européenne
À cause de l’absence d’anticipation des gouvernements et de la Commission européenne, les gouvernements (et les opérateurs) se retrouvent devant un dilemme cornélien. Soit, céder aux pressions américaines et écarter Huawei du marché, au prix d’un déploiement beaucoup plus lent et plus coûteux de la 5G, avec les inévitables conséquences sur la compétitivité de nos économies (et au passage – éventuellement – le non-respect des lois sur la libre concurrence), ainsi que le risque de représailles chinoises. Soit, permettre à Huawei de répondre aux appels d’offres, avec le risque sécuritaire associé et mettre ainsi sous la coupe d’une entreprise chinoise les infrastructures européennes en matière de télécommunications.
Comme souvent, les États européens n’ont pas de stratégie commune. Boris Johnson a reporté le choix gouvernemental après les élections et, sous une intense pression américaine, la décision britannique est imminente. Deutsche Telekom, le premier opérateur allemand, a décidé récemment de ne plus permettre à Huawei d’installer la partie « core » (le système central), mais l’entreprise chinoise pourra toujours installer des antennes et équipements radio. Une décision qui a suscité la fureur de Pékin et des menaces larvées de représailles. Le parlement allemand demande à Angela Merkel de bannir Huawei, ce qu’elle refuse. Telefonica Deutschland, le second opérateur allemand, a choisi Huawei et Nokia en coopération. En Espagne, Telefonica et Orange Espagne ont opté pour Huawei. La Norvège a récemment décidé de confier le marché à Nokia au grand dam de Huawei, qui était peut-être plus compétitif et qui annonce un recours en justice.
On le voit, faute d’anticipation, les Européens se retrouvent à n’avoir à choisir qu’entre des solutions loin d’être optimales. Et la Belgique ? Faute de gouvernement fédéral légitime, il est compliqué de négocier un accord avec les régions pour que les opérateurs puissent déployer le réseau. Encore un domaine où la paralysie politique entraîne des conséquences graves sur l’économie. Mais Proximus a déjà prévenu : se passer de Huawei retarderait le déploiement et couterait plus cher.
L’Europe tergiverse. Dans ce dossier 5G, pourtant tellement stratégique pour l’avenir, elle vient encore de démontrer son peu de valeur ajoutée et son absence de stratégie commune, chaque État avançant pour l’instant en ordre dispersé. Pendant ce temps, la Chine se prépare déjà à l’arrivée de la 6G…
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