
Comment la terroriste de la bande à Baader a échappé à la police pendant 35 ans
Membre du groupe d’extrême gauche de la bande à Baader, Daniela Klette comparait depuis le 25 mars pour les vols à main armée qui lui ont permis de financer son parcours clandestin au cœur de Berlin.
L’arrestation fut tout sauf spectaculaire. Le 26 février 2024, deux policiers se présentent devant une barre d’immeubles de la Sebastian Strasse à Kreuzberg, au cœur du Berlin des activistes de gauche. Pour les deux policiers, il s’agit d’une vérification pour la forme d’une information anonyme à laquelle ils ne croient guère. Au cinquième étage, une femme aux cheveux gris ouvre la porte d’un studio, présente un passeport italien au nom de Claudia Bernardi, demande deux minutes pour attacher son chien et se laisse emmener sans résistance. Sa véritable identité est confirmée au commissariat. Daniela Klette, 66 ans, ex-terroriste de la bande à Baader, en cavale depuis 35 ans, vient de tomber dans les mailles du filet.
A son domicile, les enquêteurs retrouvent 240.000 euros en liquide, un kilo d’or, un impressionnant arsenal d’armes, de perruques, de fausses barbes, 17 documents d’identité et différents permis de conduire. L’examen de son téléphone portable révèle également que tout en attachant son chien, elle a encore eu le temps de discrètement envoyer un SMS à ses complices pour les informer de son arrestation. Parmi les papiers retrouvés sur place, des plans détaillés de supermarchés, des coupures de presse relatant des attaques à main armée, ou encore un article de 1999 laissant augurer des difficultés qui attendent les fraudeurs détenant de grosses sommes en liquide avec le passage du deutsche mark à l’euro.
Décrite par ses voisins et amis comme fiable, toujours prête à aider, mais discrète, «Claudia» est accusée d’avoir participé à treize vols à main armée, hold-up sur des fourgons de transport de fonds et attaques de supermarchés entre 1999 et 2016. Le butin atteindrait 2,7 millions d’euros, une somme destinée à financer la cavale des trois terroristes «retraités de la bande à Baader» comme les appelle la presse allemande.
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Les capitalistes ciblés
Tous les Allemands connaissent les visages de Daniela Klette et de ses deux complices présumés, Burkhard Garweg et Ernst-Volker Staub, affichés dans tous les commissariats, gares et aéroports du pays depuis des années. Tous trois sont soupçonnés d’avoir appartenu à la «troisième génération» de la RAF (la Fraction armée rouge, groupe terroriste de gauche plus connu sous le nom de bande à Baader).
Fondée en 1970, la RAF est rendue responsable de la mort de plus de 30 personnes, pour la plupart des représentants du capitalisme allemand. Les attaques ont aussi fait plus de 200 blessés. Après l’arrestation des fondateurs (Andreas Baader et Ulrike Meinhof) en 1972, une «seconde génération» tente d’obtenir leur libération par la violence. La troisième génération naît dans les années 1980, responsable de treize meurtres dont ceux des patrons de la Deutsche Bank et de la Treuhandanstalt (l’organisme chargé de la privatisation de l’économie est-allemande après la Réunification). En 1998, la RAF annonce sa dissolution.
Le procès qui a débuté le 25 mars à Celle, dans le centre de l’Allemagne, ne porte pas sur le rôle qu’a pu jouer Daniela Klette dans la spirale meurtrière de la Fraction armée rouge. L’enquête à ce sujet est toujours en cours et devrait donner lieu à une seconde procédure en 2026 ou 2027. Il concerne les attaques à main armée commises lors de la cavale de la militante, passée dans la clandestinité en décembre 1989, après un banal contrôle de police.
A plusieurs reprises, l’ADN de Klette, Staub et Garweg sera retrouvé sur les lieux d’attaques parfaitement préparées. Sur un fourgon blindé à Duisbourg, en 1999, dont le butin s’élève à un million de deutsche marks; dans un supermarché de Löhne en 2009, braquage au cours duquel disparaît le chiffre d’affaires du week-end de Pâques; contre un autre supermarché à Osnabrück, en janvier 2015; et sur un transport de fonds dont l’assaut permet de dérober 1,4 million d’euros. Les documents retrouvés chez Daniela Klette attestent d’une préparation minutieuse de plusieurs semaines. A ses amis, elle explique chacune de ses disparitions par les aléas de son travail, consacré au soin aux personnes âgées dans le sud de l’Allemagne, et par de fortes périodes de «stress professionnel». Le rythme des attaques à main armée, d’abord espacé, s’accélère. Le ministère public l’estime à sept rien qu’entre août 2014 et juin 2016.
Elle a eu le temps d’envoyer un SMS à ses complices pour les informer de son arrestation.»
Un environnement adapté
La vie de Daniela Klette en clandestinité pose bien des questions. Pendant 25 ans, elle a vécu sans se cacher, en sous-location dans la Sebastian Strasse à Kreuzberg. A plusieurs reprises, Daniela alias Claudia a même voyagé au Brésil, en Afrique du Sud ou au Mozambique, pour rendre visite à des amis. A Berlin, elle fréquente une école de danse brésilienne, apprend la capoeira, est active dans un centre culturel germano-brésilien. Engagée à gauche, elle s’exprime plus volontiers sur l’oppression dans le tiers-monde que sur la politique allemande, qui semble peu l’intéresser. Selon des témoins, son profil politique est typique du «militantisme de Kreuzberg», un quartier où des anonymes ont accroché des banderoles souhaitant «force à Klette» et «courage à Staub et Garweg» après l’arrestation.
La longueur de cette cavale surprend, d’autant que Daniela Klette semble avoir considérablement réduit au fil des ans les mesures de sécurité qu’elle s’imposait, augmentant par exemple son activité sur les réseaux sociaux. Elle ouvre un compte Facebook, like des photos sur lesquelles elle ressemble étrangement aux avis de recherche de la police en plus âgée, écrit e-mails, SMS et messages WhatsApp, efface peu ses traces écrites, s’inscrit sur un site de rencontre. Un ami brésilien, interrogé par les enquêteurs, assure même avoir vu à plusieurs reprises Ernst-Volker Staub et Burkhard Garweg en sa présence. Garweg vivait dans une roulotte, sur un terrain vague de Berlin, réservé à un projet de vie alternative, lorsqu’il a reçu le SMS de Klette et serait parvenu in extremis à échapper aux forces spéciales.
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