Procès des attentats de Bruxelles: témoignage de « la dame en jaune » dont la photo avait horrifié le monde
Hôtesse de l’air au moment du double attentat-suicide à Zaventem, le 22 mars 2016, Nidhi Chaphekar est venue d’Inde pour témoigner devant la cour d’assises de Bruxelles, qui juge 10 hommes pour ces attaques terroristes.
Elle a déroulé son récit des premières heures de l’attentat à l’épilogue d’un chapitre qu’elle désire à présent fermer par sa présence, sept ans plus tard, devant la cour. « Je veux raconter ce qu’il m’est arrivé, mais aussi ce que mes proches, mes enfants, mon mari ont traversé. »
Sa photo a fait le tour du monde. Couverte de poussière, le regard hagard, Nidhi Chaphekar (aujourd’hui âgée de 47 ans) est assise sur un banc de l’aéroport. Sa veste d’uniforme jaune déchirée, les pieds déchaussés. Le matin du 22 mars, la cheffe d’équipage marchait dans l’aéroport avec son équipe quand s’est produite la double explosion.
« Voler était ma passion. J’adorais venir à Bruxelles », débute tristement celle qui, depuis, n’a plus pu être engagée dans l’aviation.
Le matin du 22 mars, « un mardi, comme aujourd’hui », la cheffe d’équipage marchait dans l’aéroport avec son équipe quand s’est produite la première détonation. Dans une explosion « de couleurs et de débris », « la foule a commencé à courir et j’ai pensé qu’on allait se faire piétiner ». Dans un élan, la professionnelle veut offrir son aide mais son collègue la tire en arrière, explique-t-elle en joignant le geste à la parole. Elle perd brièvement conscience après la seconde explosion.
La suite sera un chapelet de rencontres avec les premiers intervenants, policiers, pompiers, ambulanciers, dont elle précise le nom devant la cour à chaque fois qu’elle le peut. Et, en toile de fond, une seule inquiétude: prévenir sa famille qu’elle est vivante. Jusqu’à demander à l’ambulancier qui l’emmène vers un hôpital à Anvers de ne pas la laisser s’endormir.
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Très vite, sa photo se retrouve partout. Son mari remue ciel et terre pour obtenir de ses nouvelles. Il demande ensuite en urgence un visa pour la rejoindre, ce que lui accordera l’ambassade française. Le reste de la famille prend soin de sa fille, âgée alors de 10 ans, et de son fils de 13 ans et demi. À l’annonce de la nouvelle, la première s’est évanouie, le second s’enfoncera dans un mutisme et la dépression.
Avant d’embarquer, son mari téléphone à l’hôpital. « Les médecins lui ont dit que mon état se détériorait. Pendant tout le vol, il s’est demandé s’il allait me retrouver vivante », souligne l’ex-hôtesse de l’air, dont la voix douce et posée trahit à peine l’émotion de ses yeux humides. Elle est alors plongée dans un coma artificiel et c’est derrière une vitre que son époux la découvre et laisse échapper ses larmes.
Le 30 mars, les médecins tentent de sortir Nidhi Chaphekar de son profond sommeil et autorisent enfin son mari à entrer dans sa chambre. Engoncé dans une combinaison antibactérienne, ce dernier n’ose pas la toucher. « Parlez-lui », lui conseillent alors les médecins.
« Au bout de 23 jours de coma artificiel, j’ai ouvert les yeux. Mon mari est entré dans ma chambre, mais il est directement ressorti. Voyant une personne prostrée, sans cheveu, il a pensé que c’était quelqu’un d’autre. » Rassuré par une infirmière, « il a demandé à Dieu de ne pas me laisser voir le choc que cela lui faisait de me voir comme ça (…) et est entré en souriant. » Toutefois, la mère de leurs enfants ne le reconnaît pas, pire elle ne réagit pas.
Le choc lui a fait perdre temporairement la mémoire des événements. Aujourd’hui, quatre années manquent toujours à ses souvenirs, envolés. « Je fais des erreurs de date, quand je communique. Par exemple, je disais hier que je devais aller à Amsterdam, alors que c’était Anvers. »
Les conséquences sont nombreuses pour la quadragénaire. Pour sa santé, bien sûr. « J’ai été tellement brûlée que, à mon admission à l’hôpital, les médecins ont pensé que j’avais la peau noire. Ils retiraient mes bijoux, que j’avais nombreux, pour me soigner. J’avais un bracelet que je ne voulais pas qu’ils coupent, alors je l’ai retiré moi-même de mon poignet. Ma peau brûlée est partie avec et ce n’est qu’alors qu’ils ont compris que je n’étais pas Noire. » Son corps penche désormais vers la droite, car elle a une jambe plus courte que l’autre. « Je souffre de douleurs dans le dos, les épaules; on a retiré ma vésicule biliaire, je n’ai pas eu mes règles pendant neuf mois. J’ai encore une masse fibreuse de sept centimètres, mais je n’ai plus envie de me faire opérer. J’ai encore un morceau de métal logé dans mon orbite » oculaire.
L’onde de choc de l’attentat est aussi psychologique, sociale et financière. « En Inde, pour voler, il faut être beau, présentable, ne pas arborer de cicatrice et ce n’est plus mon cas. » Depuis que l’entreprise qui l’employait à l’époque n’existe plus, le secteur lui a fermé sa porte. « Ils ont peur que j’aie encore des problèmes psychologiques. On me dit que ce serait mieux que je travaille dans un autre domaine. J’entends ça sans arrêt alors que je ne suis pas responsable de ce qui m’est arrivé. »
Mais Nidhi Chaphekar insiste surtout sur les souffrances de sa famille. « Ma fille m’a raconté qu’on lui demandait tous les jours à l’école comment allait sa maman. Comme elle ne savait pas répondre, elle secouait la tête puis allait s’enfermer dans les toilettes pour pleurer. Le soir, elle enfouissait sa tête dans un oreiller pour hurler sa colère. » Pour sa petite soeur, l’aîné a dû « devenir un parent à un très jeune âge ». Sportif, l’adolescent abandonne le badminton, le cricket et le basket après l’attentat dont sa mère est victime. Il tombe en dépression et prend des somnifères. « Dans tout ça, ce sont les enfants qui souffrent le plus », souligne la mère de famille.
« Ce n’est que 100 jours après (les attentats, NDLR) que je suis rentrée à la maison. Durant cette période, mon mari a tout pris en charge. Il a porté un lourd fardeau », ajoute-t-elle. »Je rends grâce à Dieu d’être ici, mais nous voudrions refermer ce chapitre. Mon mari sait ce que je traverse, mais je n’en parle pas aux autres membres de ma famille. Je ne veux pas être dans la plainte. »
« J’ai réfléchi dans l’avion à ce que je pouvais dire », relève l’auxiliaire de vol. « Je voudrais simplement ajouter que tout ce que j’ai dit vient du coeur. Merci de m’avoir écoutée. »