Procès des attentats de Bruxelles: « J’ai encore mal aujourd’hui en pensant que Lauriane a eu mal »
Les deux soeurs de Lauriane Visart de Bocarmé, décédée le 22 mars 2016 dans l’attentat du métro à Maelbeek, ont porté un message d’humanité devant la cour d’assises de Bruxelles. En trois objets, elles ont remémoré la sociabilité, le destin funeste et l’ouverture d’esprit de leur benjamine.
Quelques jours après le décès de Lauriane, « nous nous sommes rendus à son appartement » à Etterbeek, a évoqué Marine Visart de Bocarmé. « Je me souviens y avoir trouvé trois objets, et ça m’est resté. Le premier, c’était son iPad« , se souvient-elle. Synchronisé avec le téléphone portable de celle qui se rendait ce jour-là à son travail de juriste auprès de la Mutualité socialiste, l’appareil livre les messages « de plus en plus inquiets » envoyés par les amis de Lauriane après l’attentat. « Il y en avait beaucoup », résume sobrement la soeur de 38 ans.
Le deuxième objet est un courrier de la Stib. La société bruxelloise de transport en commun y invite Lauriane à renouveler son abonnement, qui expirait le 22 mars. « Je vous jure que c’est vrai », souffle Marine avec un petit rire las soulignant l’ironie du sort.
Le 22 mars 2016 à 09h11, Lauriane aurait déjà dû être au travail. Elle avait cependant demandé la permission d’arriver un peu plus tard. Vers 08h20, elle avait appelé son père, qui devait partir en Chine ce jour-là. Elle avait été soulagée d’apprendre qu’il n’était pas à l’aéroport, où une double explosion avait déjà fauché 16 vies à Zaventem.
Le troisième est un livre: « Le piège Daesh: l’État islamique ou le retour de l’histoire ». Passionnée par la lecture, elle était comme ça, Lauriane: « elle essayait de comprendre », conclut sa soeur, avant d’offrir la parole à son aînée.
« Qu’est-ce que je peux vous dire de là où je suis, la soeur qui reste, la fille qui reste… », s’interroge Clothilde Visart de Bocarmé. « Que Laulau était jeune, belle, volontaire, engagée. Avec un avenir plein de promesses. Que Laulau me manque tous les jours ; parfois sereinement, parfois douloureusement. Que j’ai encore mal aujourd’hui en pensant qu’elle a eu mal », poursuit-elle, affirmant vouloir parler « souvent » de sa petite soeur pour « refuser le tabou qui englobe les actes violents ». « Je voudrais mettre de l’humanité et de la solidarité dans mon discours, autant qu’elle en inspirait. »
« Il y aurait mille choses à dire. Je me souviens du soutien, beaucoup. Aujourd’hui, il faut encore essayer de comprendre, d’avancer et de donner du sens à ce qui s’est passé. »
Tout en simplicité, les deux soeurs, émues lors de leur témoignage, ont retrouvé le sourire à la projection d’une photo de leur disparue. Accroupie parmi les jacinthes bleutées, appareil photo à la main, Lauriane jette un regard souriant derrière son épaule.
« Je porte en moi l’image fantomatique des victimes décédées ce jour-là. »
« Je porte en moi l’image fantomatique des victimes décédées ce jour-là. » Christelle Giovannetti, survivante de l’attaque terroriste dans la station de métro Maelbeek, est venue raconter à la cour ses souvenirs liés au funeste 22 mars 2016.
« Il faisait beau. J’avais rangé mon manteau d’hiver et sorti ma veste en cuir brun. En temps normal, je ne prends pas le métro mais, ce jour-là, j’avais une réunion alors j’ai pris le chemin de la station… », retrace la jeune femme, d’origine française, cheveux bruns et petit ventre rebondi annonçant une prochaine naissance.
Une collègue l’informe qu’il y a eu une explosion à Zaventem. « Sur le quai, je me dis que tout le monde a les yeux rivés sur son téléphone. Les gens sont sans doute en train de se renseigner sur les attentats à l’aéroport. »
Christelle grimpe alors dans la première voiture et s’assied près de la fenêtre, dans le sens de la marche. Les portes se ferment, le métro démarre. « Puis c’est la vision d’une énorme boule de feu, d’un courant d’air qui passe à toute allure et le bruit assourdissant d’une explosion », détaille-t-elle. « Tout est noir, j’ai la bouche remplie de poussière et mon oreille gauche siffle. »
Quand elle s’extirpe du wagon, la jeune femme note autour d’elle les regards vides, les départs de feu, les panaches de fumée, le désastre. « Je comprends qu’un kamikaze s’est fait exploser », lâche-t-elle, lucide. « En marchant, je regarde la voiture 2 (…) je vois les décombres qui bougent. Alors je fais demi-tour et je dis à voix haute: ‘Et merde, j’y vais’. »
« Je cherche un passage, mais je me retrouve face à des corps sans vie, j’entends des râles et des gémissements et j’aperçois un bout de crâne coincé entre le quai et le métro. » Malgré la terreur qui l’envahit, Christelle tente de venir en aide à plusieurs passagers prisonniers du métro: une dame dont les cheveux brûlent, une autre qui lui tend sa canne, un homme dont le pied est coincé sous les décombres. « Je continuais à chercher les vivants au milieu de cet entrelacs, comme si une araignée avait tissé une grande toile de fer et de débris. » Jusqu’à ce qu’on lui crie d’évacuer les lieux, de « dégager ». Elle se demande alors comment marcher sur le sol sans piétiner des êtres humains.
Christelle emprunte l’escalator auquel il manque des marches et se retrouve à l’air libre. « Arrivée sur le trottoir, je m’écroule, je suffoque. Les semelles de mes Converse sont pleines de sang et de chair. Je m’en veux », poursuit la rescapée.
À l’extérieur, elle trouve deux soutiens dans ce tableau apocalyptique: Pablo, un passant « au fort accent espagnol, guitare sur le dos », qui l’emmitoufle de sa grosse parka bleue pour lui tenir chaud, et Alex cet étranger devenu compagnon d’attentat.
Ensuite, Christelle est prise en charge à l’hôtel Thon, converti en hôpital de fortune, avant d’être emmenée au CHU Brugmann. « Le soir, on m’a annoncé que je pouvais sortir. Pas de traitement, pas de suivi psychologique. »
Depuis, les sept années qui se sont écoulées ont été un long combat, à la fois personnel, administratif, quotidien et physique.
« Ma perte auditive est définitive, je souffre également d’hyperacousie, et les acouphènes ne partiront sans doute jamais », énumère-t-elle, regrettant les retombées familiales. « Mon mari et mes enfants sont des victimes collatérales de l’ombre. Mon homme a sacrifié sa passion pour la musique et les concerts par respect pour mes angoisses. Quant à mes enfants, je me sens démunie de ne pas les entendre appeler ‘maman’ la nuit. »
À l’attention des accusés, elle adresse ce message: « Je porte en moi l’image fantomatique des victimes décédées ce jour-là. Vous m’avez pris mon insouciance et un peu de confiance, mais j’ai encore foi en l’humanité. Et j’ai entamé le chemin de la reconstruction. Peu m’importe le verdict, je fais confiance aux juges et aux jurés qui délibéreront sur cet acte criminel, barbare et ignoble », termine-t-elle, posant son regard sur les hommes assis dans le box, impassibles.
« Je vous souhaite un bel avenir avec le troisième », a souri la présidente à la future maman. « C’est la vie qui revient. »