Procès des attentats de Bruxelles: la menace terroriste est moindre, mais pas éteinte
Depuis le démantèlement du sanctuaire de l’Etat islamique en Irak et en Syrie, la pression djihadiste sur l’Europe et la menace terroriste ont diminué. Mais d’autres défis se profilent, parmi lesquels la sortie de prison des organisateurs de filières.
Six ans et huit mois après les attentats de Bruxelles, la menace terroriste est sensiblement différente en Belgique et en Europe. Pas seulement parce que la crise sanitaire et la guerre en Ukraine auraient détourné l’attention médiatique et politique vers d’autres préoccupations. La diminution de la pression du terrorisme islamiste n’est pas un sentiment diffus, elle est une réalité.
Dans son dernier rapport publié en août sur «la situation et les tendances du terrorisme dans l’Union européenne», Europol, l’Agence de l’UE pour la coopération des services répressifs, objective ce reflux. En 2021, onze attaques terroristes à caractère islamiste, exécutées, déjouées ou ratées, ont été enregistrées au sein de l’Union. Elles ont fait deux morts, un en France, un en Espagne. Cinq ont été recensées dans l’Hexagone, trois en Allemagne, aucune en Belgique. Europol en avait enregistré 14 en 2020, 18 en 2019. Mais c’est après 2015-2016 que l’activité a été la plus dense avec 33 actes terroristes relevés en 2017 et 24 en 2018.
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Démantèlement du sanctuaire
Il n’y a pas de hasard. L’affaiblissement de la pression djihadiste en Europe suit directement le démantèlement, en 2019, de l’entité que l’Etat islamique avait réussi à implanter sur les territoires de l’Irak et de la Syrie au milieu des années 2010. «En mars 2019, l’Etat islamique a perdu son dernier bastion en Syrie, la localité de Baghouz. Il n’existe plus sous la forme d’un territoire organisé, souligne Mohamed Fahmi, chercheur sur le djihadisme à l’ULB. Ses membres sont entrés en clandestinité. Depuis, ils n’ont pas pu déployer une force de frappe similaire à celle qu’ils avaient mise en œuvre en 2015-2016. Ils n’ont pas été en mesure d’organiser des attentats de l’ampleur de ceux de Bruxelles ou de Paris. Par contre, ils ont continué à perpétrer des attaques terroristes en Syrie et en Irak et ont réussi à libérer des djihadistes de prison. L’Etat islamique continue à représenter une grande menace, mais surtout sur un plan national, en Syrie, en Irak, dans les pays du Sahel ou en Afghanistan.»
L’Etat islamique continue à représenter une grande menace, surtout sur un plan national, en Syrie, en Irak, dans les pays du Sahel ou en Afghanistan.
Il y eut aussi une période où, sans disposer encore des moyens de se projeter physiquement vers l’Europe, Daech parvenait à «inspirer» des passages à l’acte de «sympathisants» par la seule puissance de sa propagande. Là aussi, la force de frappe des groupes djihadistes a diminué. «Aujourd’hui, il n’y a plus de propagandiste comme pouvaient l’être Mohammed al-Adnani et Abou Bakr al-Baghdadi pour l’Etat islamique, ou Ayman al-Zawahiri, le dernier grand chef historique d’Al-Qaeda. Ils sont décédés. La direction actuelle d’Al-Qaeda est peu connue, y compris au sein de la djihadosphère. Les leaders historiques de l’Etat islamique sont morts, les principaux propagandistes également. La propagande contre l’Occident existe toujours parce qu’elle fait partie intégrante de la matrice idéologique du djihadisme. Mais, à ma connaissance, les groupes djihadistes n’organisent pas actuellement de campagnes de propagande spécifiques contre l’Europe», analyse le chercheur de l’ULB.
Retours et sorties de prison
Pour autant, une menace terroriste djihadiste continue bel et bien de peser sur la Belgique. Mohamed Fahmi l’explique par trois facteurs. «La Belgique a connu des retours de femmes et d’enfants de la mouvance djihadiste depuis la Syrie. Continueront-ils, ou pas, à vivre dans l’idéologie djihadiste? Que deviendront-ils? C’est une variable que l’on ne maîtrise pas très bien. Nous avons aussi les personnes qui sortent de prison. Les condamnations dans le cadre de l’organisation Sharia4Belgium ou du réseau de Khalid Zerkani, qui incitait des jeunes à partir sur zone, remontent à une dizaine d’années. Ceux qui ont été considérés comme les dirigeants de ces filières ont écopé de peines de dix ans de détention. Ils commencent petit à petit à sortir de prison. Cela a déjà été le cas de Jean-Louis Denis, membre de Sharia4Belgium. Prépareront-ils l’installation de groupes du même genre? Ce n’est pas exclu. Le troisième facteur susceptible d’alimenter la menace terroriste réside dans le rôle d’individus, isolés et travaillés par des réseaux virtuels, qui décident de leur propre initiative de passer à l’acte. Il est difficile de prévenir ce type d’actions. Ce sont autant de facteurs qui démontrent que la menace djihadiste continuera à exister prochainement en Belgique.»
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Le chercheur de l’ULB juge toutefois que le terreau est différent de celui qui existait en 2015-2016. «Ceux qui sortent de prison ou qui reviennent de Syrie ont vécu l’échec, encore récent, de l’Etat islamique ou de leur propre projet de réseau. Ils sont revenus de l’idée qu’imposer leurs revendications par la violence est facile. Cela influence la nature du terreau des partisans des groupes djihadistes en Belgique. Il est moins actif. Mais il peut encore attirer de nouveaux adeptes à l’idéologie djihadiste. Si, en plus, ce terreau peut être alimenté par des événements d’actualité, comme la publication des caricatures de Mohamed ou l’émergence d’une organisation comme l’Etat islamique ont pu le faire par le passé, il pourrait être réactivé.»
Perte de pouvoir des groupes djihadistes en Syrie et en Irak, combat des Occidentaux sur le théâtre moyen-oriental, efforts accrus de prévention et de répression de l’appareil policier et judiciaire sur le sol belge: ce sont autant d’éléments qui expliquent le reflux de la menace djihadiste. Il n’autorise cependant pas un relâchement de la vigilance, comme pourraient l’accréditer les failles dans la surveillance de l’assassin, à Schaerbeek, le 10 novembre, du policier Thomas Monjoie, parce que la menace peut se concrétiser rapidement.
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