Procès des attentats de Bruxelles : coupables d’avoir voulu tuer « le plus de monde possible » (analyse)
Retour sur les moments forts d’un procès hors norme, sur les attentes des parties civiles et sur les zones d’ombre que des centaines d’heures d’audience n’auront toujours pas permis de dissiper.
Les centaines d’heures d’audience écoulées au cours des huit mois de procès ne furent pas de trop pour aborder en profondeur tous les aspects du titanesque dossier des attentats de Bruxelles et évaluer la responsabilité de chacun dans la planification et le déroulement des attaques.
Après 18 longues journées de délibération, cloîtrés dans un hôtel, sans moyen de communication comme l’exige la procédure, les douze jurés sont parvenus à un verdict sur la culpabilité des accusés.
Oussama Atar (présumé mort en Syrie), Salah Abdeslam, Mohamed Abrini, Osama Krayem, Ali El Haddad Asufi, Bilal El Makhoukhi sont reconnus coupables d’assassinats terroristes. Les mêmes accusés, ainsi que Sofien Ayari et Hervé Bayingana Muhirwa, sont reconnus coupables de participation aux activités d’un groupe terroriste. Oussama Atar est désigné comme le dirigeant des opérations. Les frères Smail et Ibrahim Farisi sont totalement blanchis.
Le verdict mentionne également que quatre personnes décédées plusieurs années après les attentats sont à présent considérées comme victimes, ce qui porte le bilan officiel à 36 morts, et précise que l’intention des auteurs était bien d’intimider la population belge et d’avoir voulu tuer “ le plus de monde possible ”.
L’enjeu du procès, outre faire la lumière sur le fonctionnement de la cellule terroriste et sur son organisation, était aussi de comprendre pourquoi ces jeunes, dont la plupart ont grandi dans les quartiers bruxellois, ont pris part à de telles horreurs. Et de savoir, sept ans après les faits, ce qu’il avaient au fond de leur âme.
Ce procès est “ une réussite ”, s’est empressé de déclarer Me Bouchat, l’avocat de Salah Abdeslam, à son arrivée au Justitia, mardi dernier, pour entendre la lecture du verdict. Il ne se trompe pas lorsqu’il estime que la justice a pu compter sur le professionnalisme des enquêteurs et des magistrats, que les jurés ont fait preuve d’une attention sans faille, que les débats furent de très haut niveau et que la présidente de la cour d’assises, Laurence Massart, a mené ce paquebot à bon port. Cette dernière est d’autant plus méritante qu’elle a dû essuyer quelques tempêtes.
On se souvient que le procès a débuté avec sept semaines de retard en raison de la non-conformité des box des accusés. Des box qu’il a fallu entièrement démonter pour recréer un espace unique. Montant de la facture : 500 000 euros. Contre toute attente, c’est ensuite sur les modalités de détention et de transfèrement des accusés, de la prison de Haren au Justitia, que se sont cristallisés les débats au cours des premières semaines. La question de la légalité des fouilles à nu avec génuflexion pratiquées quotidiennement sur les accusés laissait en effet planer la menace d’une invalidation du procès. Certains accusés, dont Salah Abdeslam et Mohamed Abrini, en étaient venus à déserter le box des accusés en signe de protestation. Une saga surréaliste qui ne s’est éteinte qu’en mars, lorsque la cour d’appel de Bruxelles a ordonné de mettre fin à la pratique. Du côté des parties civiles, on ne masquait plus un certain agacement face à ce bras de fer sur fond de querelles internes à la justice qui perturbait l’agenda et nuisait à la sérénité des débats.
Peu de regrets
Le procès enfin sur les rails, les victimes se sont succédé à la barre durant plusieurs semaines. La peur, la souffrance, le traumatisme, la colère et le deuil : courageusement, elles ont livré des récits poignants et ont décrit ce qu’est leur vie depuis le 22 mars. Certaines se sont directement adressées aux accusés dans l’espoir d’obtenir des réponses ou pour crier leur colère. Dans certains cas, aussi, pour signifier qu’aujourd’hui elles ne se sentent plus habitées par la haine. Qu’elles vont de l’avant.
Les interrogatoires des neuf accusés n’ont toutefois pu apporter que des réponses incomplètes ou évasives sur leur responsabilité. Rares sont ceux qui ont formulé des regrets, bien que Mohamed Abrini, Sofien Ayari, Osama Krayem et Bilal El Makhoukhi aient plaidé “ coupable ” pour l’ensemble des faits qui leur étaient reprochés. Pour Salah Abdeslam, déjà condamné à la réclusion à perpétuité incompressible pour sa participation aux attentats de Paris, “ demander pardon, c’est reconnaître ma culpabilité et moi, je l’ai dit ici, ce ne sont pas mes victimes[…] J’étais présent pour entendre leur souffrance, c’est de cette façon-là que je peux leur témoigner ma compassion et mon respect. ”
Son copain de quartier, Mohamed Abrini, avait lui aussi minimisé son implication. En aucun cas, il n’avait eu l’intention de se faire exploser à Zaventem, selon lui. A la vue de ces femmes et de ces enfants innocents, il avait pris la décision de tourner les talons, laissant Najim Laachraoui et Ibrahim El Bakraoui activer leur charge et semer la mort dans le hall des départs.« J’ai une part de responsabilité donc, bien entendu, ça fait mal au cœur d’entendre une victime dire je vous pardonne, je vous tends la main. Je préfère recevoir une gifle », avait-il formulé en réaction à la mansuétude exprimée par plusieurs parties civiles.
Le Tunisien Sofien Ayari, arrêté en même temps que Salah Abdeslam, avait lui souhaité aux victimes de « pouvoir se reconstruire ». « Comment ne pas avoir de regrets sur certains choix, certaines façons de faire ? », a-t-il reconnu.
Aussi bien mené fût-il, le procès des attentats de Bruxelles n’a pas permis de répondre à toutes les questions. La justice a ses limites. Saura-t-on, un jour, tout du parcours d’Oussama Atar ? Au procès, la Sûreté de l’Etat n’a rien voulu lâcher au sujet de ces informations “ classifiées ”. Découvrira-t-on où sont cachées les armes longues, les grenades et les explosifs que le commando a confiés à Bilal El Makhoukhi ? L’accusé a admis avoir récupéré l’arsenal de la planque de la rue Max Roos, mais il n’a pas dit entre quelles mains elles se trouvent aujourd’hui.
Les débats sur la peine reprendront le 4 septembre prochain. S’en suivra une semaine de délibération avant une ultime audience. Ce n’est qu’à ce moment que la justice belge mettra un point final à ce procès-fleuve qui a suscité tant d’attentes, charrié tant d’émotions. Et qui laissera tant de traces.
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