Revendiquer les attentats à tout-va: la stratégie payante de l’Etat islamique pour rester en vie
L’organisation terroriste Etat islamique a revendiqué l’attentat commis le 16 octobre à Bruxelles. Une stratégie d’aubaine, qu’elle a déjà employée par le passé.
Près de deux jours après l’attaque, le groupe Etat islamique (EI) a revendiqué la responsabilité de la fusillade à Bruxelles qui a tué deux Suédois. Il affirme qu’elle visait la Suède, en raison de son appartenance à une coalition internationale luttant contre les jihadistes en zone syro-irakienne. « Cette attaque survient dans le contexte d’opérations menées par l’EI pour cibler des ressortissants des pays de cette coalition », déclare l’EI par l’entremise de son agence de propagande Amaq.
Peu d’éléments, jusqu’ici, permettent d’affirmer que l’assaillant soit un « combattant » de l’Etat islamique. Lundi soir, Abdessalem Lassoued a posté sur sa page Facebook deux vidéos du même type, où il se présente comme un « combattant d’Allah », ayant la volonté de se sacrifier pour le Coran. « La thèse du loup solitaire semble plus proche de la réalité », estimait Frédéric Van Leeuw, procureur fédéral, au cours d’une conférence de presse à l’issue du Conseil national de sécurité. Il « n’apparaît pas à ce stade de l’enquête que l’attentat soit l’effet d’un groupe structuré ».
Une stratégie de l’Etat islamique qui n’est pas neuve
Pour l’heure, donc, aucun lien exact établi entre le terroriste et l’EI, ou Daech. Rien qui puisse affirmer que l’organisation terroriste soit le commanditaire de l’attaque. Il est même très probable que l’Etat islamique n’ait pas été informé des projets d’Abdessalem Lassoued. Ses deux vidéos tendent à accréditer la thèse d’un passage à l’acte « inspiré par l’EI » et s’inscrit dans un contexte : plusieurs organisations terroristes – pas l’Etat islamique lui-même – ont appelé leurs sympathisants à « punir » les auteurs des autodafés du Coran.
Ce n’est pas la première fois que l’EI cherche à s’attribuer un attentat. Depuis 2016, le groupe a multiplié les revendications opportunistes pour pallier sa perte d’influence et son rétrécissement. « L’EI, qui n’est d’ailleurs plus que l’ombre de lui-même, fait feu de tout bois pour toujours rester visible sur la carte et envoyer au passage un signal : il n’a pas abandonné ses objectifs et dispose toujours d’individus radicalisés prêts à passer à l’acte au nom de son idéologie », explique Didier Leroy, chercheur à l’Ecole royale militaire (ERM).
Tout commence à Nice, en 2016
La première revendication purement opportuniste et la plus spectaculaire est celle de l’attaque au camion-bélier, à Nice en juillet 2016, qui a emporté 86 personnes. L’auteur du massacre, le Tunisien Mohamed Lahouaiej Bouhlel, n’a laissé ni testament, ni allégeance, ni la moindre revendication, et sa religiosité s’avérera inexistante. Fait rare, l’EI ne revendiquera l’attentat que trente-six heures plus tard, sans doute parce que l’auteur n’avait précisément rien laissé. Selon ses proches, Mohamed Lahouaiej Bouhlel ne priait jamais, « mangeait du porc », « buvait de l’alcool » et « se moquait de la religion ».
L’EI s’est attribué d’autres attaques meurtrières perpétrés par un homme seul sans lien établi avec l’organisation terroriste. Parmi elles, celle de celle de la tuerie de Las Vegas en octobre 2017, qui a coûté la vie à 58 personnes et en a blessé 500 autres. En passant toujours par son réseau de propagande Amaq, le groupe affirme que Stephen Craig Paddock, était un « soldat de l’État islamique ». Une information immédiatement décrédibilisée par les autorités américaines et pour laquelle le groupe n’a présenté aucune preuve. Le FBI n’a pu établir à ce jour la moindre trace de lien entre la mouvance islamiste et le retraité de 64 ans, qui s’est suicidé avant l’arrivée de la police.
Même scénario à Westminster
Scénario identique dans l’attentat de Westminster qui a coûté la vie à quatre personnes et fait plus de 50 blessés, revendiqué par l’EI dès le lendemain. Aucune preuve d’une association entre Adrian Russell Ajao, le tueur, et le groupe terroriste, ni celle d’une radicalisation en prison, mais un intérêt évident pour le jihad.
L’Etat islamique se saisit même des petits « succès », comme celui de l’attentat des Champs-Elysées, en avril 2017, au cours duquel un policier et l’assaillant ont été tués. Le temps de réaction le plus rapide, avec celui des attentats du 22 mars 2016 visant Zaventem et Maelbeek : à peine deux heures et demie après l’attaque contre un bus de police. Si l’identité du « soldat du califat » mentionné par l’EI diffère de celle de l’homme abattu, aucun lien entre Karim Cheurfi n’a pu être démontré par la suite.
Ces « initiatives individuelles permettent à l’EI d’affirmer qu’il y aura encore des incidents, des drames, donc des attentats »
Cinq ans plus tard, l’Etat islamique revendique l’attentat de Bruxelles
Cinq ans plus tard, l’EI s’attribue à nouveau une attaque meurtrière perpétrée par un homme seul sans lien attesté avec l’organisation terroriste. Le tueur se dit « inspiré » par l’Etat islamique. Et cette marque d’allégeance suffit pour que Daech, qui effectue une veille média assidue afin de ne pas commettre d’erreurs dans ses communiqués, revendique les massacres quelques heures plus tard. Une revendication en forme d’adoption. En adoubant l’action de Abdessalem Lassoued, le groupe terroriste montre à ses partisans et ses sympathisants qu’il sait apprécier celui qui agit pour sa cause et qui suit ses instructions.
Une revendication à finalité de stimulation, également. La stratégie semble payante, selon Didier Leroy, par ailleurs professeur à l’ULB, puisqu’elle maintient en vie Daech dans la constellation de la terreur et démontre qu’il possède toujours un pouvoir d’attraction auprès de membres potentiels. Alors que le niveau de la menace terroriste est demeuré relativement bas, ces dernières années, ces « initiatives individuelles permettent à l’Etat islamique d’affirmer qu’il y aura encore des incidents, des drames et donc des attentats, analyse le chercheur de l’ERM. L’espace médiatique s’en fait l’écho, puisqu’ils sont revendiqués au nom de l’EI, et ce faisant, cette caisse de résonance amplifie la relativité des faits ».
L’attaque du 16 octobre coche donc toutes les cases de l’attentat inspiré, que l’EI découvre en même temps que tout le monde. « L’individu se sentait proche de l’Etat islamique au moment des faits. Cela a nécessairement joué un rôle », note Didier Leroy, tout en soulignant que la fascination du Tunisien pour l’EI ne constitue « pas la motivation unique de son geste ». Il s’agit d’une « combinaison de facteurs insondables, une idéologie mélangées aux petites histoires individuelles, aux griefs économiques et socio-politiques du contexte. Dégager ce qui pousse un radicalisé à passer à l’acte reste inaccessible ».
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