L’attentat de Bruxelles aurait-il pu être évité? La réponse en 6 questions
Après l’effroi, l’attentat terroriste commis par Abdessalem Lassoued à Bruxelles ce lundi 16 octobre laisse de nombreuses questions en suspens. Il pointe aussi le trou béant laissé par l’Etat dans la lutte contre l’antiterrorisme, délaissée ces dernières années au profit de la lutte contre le trafic de stupéfiants. C’est en tout cas l’avis des syndicats policiers qui dénoncent « une police en faillite ».
Après l’effroi, l’attentat terroriste commis par Abdessalem Lassoued à Bruxelles ce lundi 16 octobre laisse de nombreuses questions en suspens. Pourquoi le Tunisien se trouvait-il encore sur le sol belge ? Pourquoi le niveau d’alerte n’a pas été relevé plus tôt, avant le match Belgique-Suède et après l’attaque au couteau à Arras ? Comment se fait-il qu’Abdessalem Lassoued n’était pas fiché par l’OCAM, l’organisme pour la coordination et l’analyse de la menace ? Pourquoi la police a choisi de ne pas arrêter le terroriste le soir même ?
Toutes ces interrogations circulent dans les couloirs de la Chambre cette semaine. Vanessa Matz, députée pour Les Engagés, ancienne membre de la commission attentats, suit attentivement les débats depuis les bancs de l’opposition. Elle estime que les autorités n’ont pas retenu la leçon des attentats qui avaient touché la capitale en 2016. « On a oublié les bonnes pratiques mises en place à l’époque, car on a détourné le regard de l’anti-terrorisme ». Du côté des syndicats de police, on dénonce un abandon du gouvernement. « Nous sommes quasi en faillite », prévient Thierry Belin, secrétaire national du syndicat national du personnel de police et de sécurité (SNPS). « Le gouvernement a abandonné les services de police », complète son collègue de la CGSP Police Eddy Quaino.
1. Abdessalem Lassoued aurait dû être expulsé du territoire belge
La nouvelle a poussé certains à demander la démission de la secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration Nicole De Moor (CD&V) : Abdessalem Lassoued était en situation illégale sur le sol belge au moment de l’attentat. Et avait disparu du radar des autorités, malgré un ordre de quitter le territoire (OQT) le concernant délivré en 2021. « C’est incompréhensible de ne pas expulser des individus en situation irrégulière et connus de la justice, clame Vanessa Matz. D’autant qu’il avait déjà formulé une demande d’asile en Suède. Selon la Convention de Dublin, on ne peut le faire que dans un seul pays de l’Union européenne ».
Le Premier ministre Alexander De Croo et la secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration ont reconnu que la Belgique avait un problème avec les séjours illégaux. Et assuré qu’ils allaient mettre le sujet à l’agenda européen, lors de la présidence belge du Conseil de l’UE, qui débute en janvier 2024.
2. Le terroriste n’était pas fiché par l’OCAM : comment l’expliquer ?
Abdessalem Lassoued était connu de la justice. Il avait commis des faits de droit commun dans son pays d’origine, la Tunisie. Il avait aussi été signalé pour trafic d’êtres humains, et inculpé de trafic de stupéfiants en Suède. Malgré ces quelques indices, l’individu de 45 ans « n’était pas connu pour des faits d’extrémisme violent », selon le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne, et ne figurait donc pas sur les listes terroristes de l’OCAM. Une justification insuffisante aux yeux de Vanessa Matz. « Je tiens quand même à signaler qu’il y a eu, entre la commune de Schaerbeek et l’Office des étrangers, un échange d’informations au sujet du terroriste. Cela aurait dû leur mettre la puce à l’oreille ».
3. Pourquoi n’avoir pas relevé le niveau d’alerte de la menace ?
Alors que les autorités belges étaient au fait des autodafés de Coran qui se sont déroulés en Suède, elles n’ont pas choisi de rehausser le niveau d’alerte de la menace à l’occasion du match de qualification Belgique-Suède. Le pays scandinave était pourtant devenu « la cible prioritaire » de plusieurs pays musulmans après les autodafés. Mais, début d’année, un rapport de l’OCAM préconisait de ne pas relever le niveau de la menace, malgré la situation en Suède. « Je ne sais pas s’il fallait le relever, mais plusieurs éléments auraient dû sauter aux yeux des autorités », estime Vanessa Matz. La députée fédérale cite l’attentat perpétré 48 heures avant à Arras, en France, « qui donne des idées à certains, qui peuvent imiter après ». L’OCAM avait, pour rappel, relevé le niveau d’alerte de la menace au maximum après qu’Abdessalem Lassoued ait ouvert le feu sur deux supporters suédois.
4. Il aurait pu être arrêté le soir même de l’attentat
Mardi, on apprenait aussi, par la ministre de l’Intérieur Annelies Verlinden, que le terroriste aurait pu être arrêté le soir de l’attentat, 1h30 après son passage à l’acte. Mais, ne voulant pas mettre la sécurité des agents en péril, la hiérarchie leur a demandé de ne pas intervenir et d’attendre du renfort, tout en suivant les pas d’Abdessalem Lassoued. Une décision controversée, puisque les deux policiers en question ont perdu sa trace, retrouvée le lendemain par hasard grâce à l’appel d’un citoyen ayant croisé sa route dans le café où il sera finalement retrouvé.
Les policiers auraient-ils dû intervenir ? Difficile de savoir comment cela s’est passé en interne. « Dans ce genre de cas, explique Thierry Belin, c’est la sécurité des agents qui passe avant tout. Ils feront usage de leurs armes seulement si l’individu est sur le point d’ouvrir le feu. On parle alors de légitime défense ».
5. Une commission de suivi jamais mise en place
L’élément d’explication principal concerne le sous-investissement dans les services de police. Après les attentats de 2016, une commission de suivi des personnes risquant de commettre un attentat avait été évoquée. « Nous revenons avec le sujet sur la table depuis 2 ans, mais ne sommes pas entendus », déplore Vanessa Matz. Les syndicats policiers dressent le même constat. « On manque de personnel au niveau local pour suivre la situation sur le terrain », indique Eddy Quaino. Et ce, alors qu’Abdessalem Lassoued, que les autorités disaient avoir perdu de vue, habitait un appartement de Schaerbeek avec sa femme et ses enfants, et se rendait régulièrement à la mosquée. « Si on avait eu une meilleure police de proximité, note l’ancien policier, on aurait été au courant de tout ça ».
6. Un désinvestissement de l’antiterrorisme à la police fédérale
La Belgique a connu une relative période d’accalmie après les attentats de Zaventem et Maalbeek en 2016, qui avaient forcé les autorités à donner plus d’argent pour lutter contre le terrorisme. D’année en année, l’Etat islamique s’est affaibli. Ce qui a mené le gouvernement à désinvestir le terrain de l’antiterrorisme, disent d’une même voix nos 3 interlocuteurs. « L’unité spéciale DR3 contenait en 2018 167 personnes. Aujourd’hui, il n’y en a plus que 87, avec seulement 70 enquêteurs spécialisés », regrette Eddy Quaino. « Et quand vous devez suivre 600 à 700 personnes sur le terrain, c’est mission impossible ». Une situation catastrophique, alors que le commissaire général de la police fédérale Eric Snoeck demande d’avoir 750 enquêteurs spécialisés (!).
Vanessa Matz trouve aussi que la police fédérale manque cruellement de moyens. « On a siphonné les moyens alloués à la lutte contre le terrorisme, pour les rediriger vers la lutte contre le trafic de drogue ». Une situation qui pousse la police judiciaire fédérale à demander l’aide des agents de police locale, au vu du manque d’effectifs. Thierry Belin résume bien la situation : « On a que la police qu’on mérite ».
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