Salah Abdeslam
Salah Abdeslam © BELGA PHOTO JONATHAN DE CESARE

« La Belgique se grandirait en empêchant qu’Abdeslam retourne dans les geôles françaises »

Pour Me Harold Sax, renvoyer Abdeslam en France l’exposerait à des traitements inhumains. Il rappelle que durant sa détention en France entre 2016 et 2022, Salah Abdeslam était filmé 24h/24 dans sa cellule. « La Belgique se grandirait en empêchant qu’il retourne dans les geôles françaises », a également déclaré l’un de ses avocats français.

La Belgique a l’obligation de vérifier si Salah Abdeslam risque ou non de subir des traitements inhumains et dégradants en France avant d’autoriser son transfert là-bas, a avancé Me Harold Sax, devant le tribunal civil de Bruxelles en référé. Pour l’avocat, ce risque existe bel et bien, rappelant que durant sa détention en France entre 2016 et 2022, Salah Abdeslam était filmé 24h/24 dans sa cellule.

Me Delphine Paci, l’avocate de Salah Abdeslam dans le procès des attentats du 22 mars 2016, toujours en cours devant la cour d’assises de Bruxelles, a introduit un recours en urgence devant le tribunal civil, visant à faire interdire à l’État belge de renvoyer Salah Abdeslam en détention en France après le procès d’assises à Bruxelles.

Pour rappel, l’homme a été condamné par la cour d’assises spéciale de Paris en juin 2022 à une peine de prison à perpétuité incompressible, pour son rôle dans les attentats du 13 novembre 2015 dans la capitale française. Il a ensuite été « prêté » par la France à la Belgique, via une convention entre les deux pays, en juillet 2022, afin de pouvoir comparaître à son procès pour les attentats du 22 mars 2016, devant la cour d’assises de Bruxelles.

C’est le collaborateur de Me Paci, Me Harold Sax, qui a pris la parole lundi après-midi devant le tribunal civil en référé. Selon l’avocat, le premier argument en faveur du non renvoi de Salah Abdeslam en France est la garantie de ses droits fondamentaux. Selon Me Sax, c’est la Convention européenne des droits de l’homme qui prévaut sur l’accord qui a été conclu entre la France et la Belgique. Et cette convention stipule notamment que la Belgique a l’obligation de vérifier si un individu risque ou non de subir des traitements inhumains et dégradants dans le pays vers lequel la Belgique souhaite le renvoyer, avant d’autoriser son transfert vers cette destination.

Abdeslam à l’isolement complet

Pour le pénaliste ce risque est évident concernant Salah Abdeslam, au vu des conditions dans lesquelles il a été détenu en France entre 2016 et 2022. L’homme était notamment sous surveillance 24h/24 et à l’isolement complet, sans aucun contact social avec d’autres détenus.

Me Martin Vettes, qui a défendu Salah Abdeslam dans son procès à Paris, a fait le déplacement à l’audience du tribunal à Bruxelles lundi après-midi, pour donner plus de détails sur lesdites conditions d’incarcération. « La France a la ferme intention que sa détention soit la plus cruelle possible. Elle s’assimilerait à une sorte de torture blanche« , a affirmé le pénaliste français. « En Belgique, Salah Abdeslam a des liens sociaux, il a pu faire des activités sportives avec d’autres détenus, et il n’est pas filmé 24h/24. La Belgique se grandirait en empêchant qu’il retourne dans les geôles françaises« , a-t-il dit.

Conditions irréalisables

Pour les deux avocats, c’est aussi la peine à laquelle Salah Abdeslam a été condamné en France qui pose question au regard de la Convention européenne des droits de l’homme. Il s’agit d’une peine de prison à perpétuité incompressible qui ne peut être levée qu’après 30 ans de détention et selon des conditions irréalisables dans le cas d’Abdeslam, selon eux. Le condamné devrait montrer des « gages de réinsertion sociale », or il n’avait aucun contact lorsqu’il était détenu sous haute sécurité à la prison de Fleury-Mérogis en France. Il devrait également démontrer qu’il ne représente plus un « trouble social » et enfin, les victimes auraient le droit « d’émettre un avis » sur une modification de la peine.

De l’autre côté de la barre, Me Bernard Renson, avocat de l’État belge, a tout simplement estimé que « le débat n’a pas lieu d’être », car il ne s’agit pas d’un cas de figure où la justice belge serait amenée à examiner une demande d’exécution de mandat d’arrêt délivré par la France. Ici, il s’agit d’une « remise temporaire » du détenu par la France à la Belgique, selon laquelle il est prévu que celui-ci retourne en France dès la fin du procès d’assises à Bruxelles.

Me Renson a rappelé que, lorsque la Belgique a transféré Salah Abdeslam vers la France en 2016, sur base d’un mandat d’arrêt émis par la France, le concerné a « consenti à sa remise aux autorités françaises » et n’a pas « fait valoir de clause de garantie de retour ».

À cet argument, Me Vettes a rétorqué que Salah Abdeslam avait été mal informé lorsqu’il a accepté sa remise à la France en 2016. Pour Me Sax, le consentement n’est « pas vicié », mais il est par contre incomplet.

« Mon avenir, ma réinsertion, c’est en Belgique »

« Mon avenir, ma réinsertion, c’est en Belgique. Me renvoyer en France, c’est la mort », a affirmé Salah Abdeslam. Invité à s’exprimer en fin d’audience, Salah Abdeslam a tenu à livrer son expérience dans la prison française de Fleury-Merogis. « Imaginez-vous enfermé dans une cellule de 9 m2 avec dans la tête l’idée de ne plus jamais en sortir. Vivre avec ça tous les jours, c’est insupportable! C’est pour ça qu’on vous a sollicitée, madame la présidente », a raconté le trentenaire français.

« On m’a regardé 24h/24 durant six ans, on m’a déshabillé, menotté. Je me souviens de cette fois où un surveillant m’a sauté sur la tête avec ses chaussures de sécu… Depuis que j’ai été médiatisé, c’est un enfer pour moi: ‘on peut faire ce qu’on veut, c’est Abdeslam’. » « Je n’ai vu mon père que cinq fois. Ma famille a dépensé toutes ses économies pour venir me voir et, si on me renvoie là-bas, ils ne pourront plus venir », a terminé Salah Abdeslam. « Pour moi, la vie est un cauchemar ici ou là-bas. Mais ici sera plus vivable. » L’ordonnance concernant le retour éventuel en France de l’homme sera rendu endéans un mois.

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