Comment les activités obscures du Hamas désarçonnent la Belgique: « Ne rien faire est un message politique désastreux »
Organisations-écrans, soutien déguisé, « idiots utiles »… Oui, l’organisation terroriste du Hamas est active en Belgique. Elle récolte des fonds via des associations à but non lucratif. Le ministre de la Justice Paul Van Tigchelt l’a confirmé, tout en précisant qu’il manquait de base légale pour agir. De quoi faire sursauter certains députés.
Le ministre de la Justice Paul Van Tigchelt (Open-vld) l’a lui-même confirmé : le Hamas est actif en Belgique par le biais d’organisations obscures à but non lucratif. Ces dernières agissent non pas pour semer la terreur, mais pour mettre le Hamas en valeur et récolter des fonds, sous couvert de la cause palestinienne. Les organisations visées ne sont pas nommées (la Sécurité de l’Etat ne communique jamais sur des dossiers précis) mais le fait que Van Tigchelt déclare qu’il ne peut pas faire grand-chose contre ces associations -dès lors qu’elles n’ont pas été reconnues coupables d’un crime- a de quoi interpeller. Car l’arsenal législatif en Belgique lui permet d’agir.
« Un message politique désastreux » face au Hamas
Ces dernières semaines, un débat très agité a eu lieu à la Chambre concernant l’attitude que devait adopter la Belgique à l’égard du conflit au Proche-Orient. Il a étrillé les membres de la majorité, avant de finalement déboucher sur un texte qui demandait notamment d’interdire la présence de colons israéliens violents (qui sévissent en Cisjordanie) sur le territoire belge.
Suite à quoi le député fédéral Georges Dallemagne (Les Engagés) a estimé que si l’on interdisait la présence de colons israéliens sur le territoire, il fallait en faire de même avec les membres du Hamas. Certains d’entre eux ont été signalés récemment. Comme Majed Al-Zeer, patron de la PAC (Palestinians Abroad Conference). « Ce n’était pas une préoccupation abstraite, cela répondait à la présence de membres confirmés du Hamas en Belgique, commente Georges Dallemagne. De manière étonnante et choquante, mon amendement a été rejeté par les membres de la Vivaldi, regrette-t-il. Cela envoie un message politique catastrophique, désastreux. Parce qu’on semble banaliser, tolérer, voire légitimer la présence du Hamas, une organisation terroriste, en Belgique. »
De manière étonnante et choquante, mon amendement a été rejeté par les membres de la Vivaldi. Cela envoie un message politique catastrophique, désastreux. Parce qu’on semble banaliser, tolérer, voire légitimer la présence du Hamas, une organisation terroriste, en Belgique.
Georges Dallemagne, député fédéral Les Engagés
Ainsi, pour le député centriste, les communistes du PTB, en particulier, participent à une forme de banalisation et de tolérance à l’égard du Hamas. « Ils estiment que c’est une organisation de résistance. Cette position crée un climat qui légitime la terreur du Hamas. Et c’est sur base de cette atmosphère très particulière à la Belgique que des associations estiment pouvoir mener des combats plus militants et récolter des fonds », déplore Georges Dallemagne.
Quelques associations sous le radar
Si elle n’est pas nommée explicitement par le ministre de la Justice Paul Van Tichgelt, l’association Eupac (European Palestinian Council for Political Relations), qui vient d’être créée récemment, est soupçonnée d’être en réalité une organisation-écran au service du Hamas. Elle est régulièrement accusée de récolter des fonds pour la cause terroriste.
Les responsables d’Eupac, dont certains sont actuellement en Belgique, ont été actifs en Angleterre dans le cadre du Palestinian Return Center (PRC), qui a été elle-même reconnue par l’Allemagne comme une organisation écran pour le Hamas. « En Belgique, on assiste à une forme de tolérance qui inquiète. Car la récolte de fonds et les campagnes de lobbying sont essentielles pour le Hamas, avance Georges Dallemagne. Ces actions de propagande permettent de banaliser leur action, de la légitimer et de répandre des fake news. »
Malgré l’apparente fatalité affichée par Paul Van Tigchelt, des lois sont prévues en Belgique pour interdire l’apologie du terrorisme. « Des textes et des mécanismes existent, rappelle Gilles Vanden Burre, député fédéral Ecolo. Les écologistes n’ont aucune réticence à ce que ce genre d’interdictions soient appliquées. Mais attention aux généralisations ou des chasses aux sorcières. Il faut des actions fortes et ciblées, qui s’appuient sur un travail d’enquête factuel, plaide-t-il. Il revient donc à la justice de faire son travail. »
Si des associations ou des personnalités financent le Hamas sur le sol belge, ou participent à son financement via le Qatar, il faut évidemment trouver un moyen de bloquer leurs activités. Nous sommes très clairs sur le sujet.
Gilles Vanden Burre, député fédéral Ecolo
Selon Gilles Vanden Burre, Ecolo a été le premier parti à demander des sanctions financières l’encontre des colons israéliens, coupables de crimes de guerre, mais aussi des terroristes du Hamas. Un texte semblable avait été voté pour pénaliser la Russie. « Si des associations ou des personnalités financent le Hamas sur le sol belge, ou participent à son financement via le Qatar, il faut évidemment trouver un moyen de bloquer leurs activités. Nous sommes très clairs sur le sujet. »
« Aberration » et arsenal législatif pour contrer le Hamas
Pour Georges Dallemagne, il est surprenant d’entendre le ministre de la Justice affirmer que l’arsenal législatif est insuffisant pour agir contre ces organisations écran. « La loi en matière de terrorisme est considérablement renforcée suite aux attentats de 2016. L’incitation, le soutien et le financement du terrorisme sont des infractions pénales », insiste-t-il.
En réalité, le nombre d’associations suspectes sous le radar des autorités belges est faible. Le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) l’a précisé à la Chambre. Contrairement à la Russie, pour laquelle on sait qu’il y a des intérêts et des flux financiers assez importants. « Il faut réfléchir à la manière dont on pourrait élargir nos enquêtes et notre devoir de vigilance au niveau du Qatar, plaque tournante du financement du Hamas, reconnaît Gilles Vanden Burre. Il est important qu’il n’y ait pas de mécanismes qui permettent de financer directement le terrorisme sur le sol belge. »
Il faut réfléchir à la manière dont on pourrait élargir nos enquêtes et notre devoir de vigilance au niveau du Qatar, plaque tournante du financement du Hamas.
Gilles Vanden Burre, député fédéral Ecolo
Pour Georges Dallemagne, il est par exemple difficilement compréhensible qu’une organisation comme le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France), interdite en France, ait pu transférer ses activités en Belgique. Avec, à sa tête, les mêmes responsables, le même objet social, et les mêmes cibles. Son organisation sœur, le CCIB, est notamment financé par des fonds publics belges. Une « aberration », pour le député Les Engagés.
« En France, on interdit des organisations qui, en Belgique, sont carrément financées par des fonds publics. C’est aberrant, car la Belgique a une histoire tragique en matière de terrorisme. Nous sommes le pays, par rapport à sa population, qui a envoyé le plus de terroristes dans les rangs d’Al-Qaïda et de Daech, en Syrie et en Irak. Sur les 700 individus qui sont considérés par l’Ocam comme une menace pour l’Etat et la population, 600 le sont pour islamisme radical, chiffre Dallemagne. Que faut-il de plus pour prendre ces questions au sérieux ? ».
En France, on interdit des organisations qui, en Belgique, sont carrément financées par des fonds publics. C’est aberrant.
Georges Dallemagne, député fédéral Les Engagés
Comment le Hamas agit-il ?
Dans son plan d’action, le Hamas souhaite, via ces associations, donner l’image d’une organisation de résistance. « Elle a besoin d’avoir des soutiens, des « idiots utiles », ou des militants engagés, qui vont transformer son image en Europe, l’améliorer, édulcorer ses crimes…, liste le député centriste. Cela fait partie des armes de guerre dans l’ensemble des conflits actuels. La Russie le fait également. Il faut donc mettre en place des moyens qui permettent de mieux nous protéger contre ce type d’activités, qui ne sont pas sans conséquence sur le plan de notre sécurité. »
Pour le chercheur Didier Leroy (CESD), spécialiste de l’islamologie, il est « inévitable » qu’une partie des fonds récoltés via des associations de soutien à la cause palestinienne finissent d’une manière ou d’une autre dans les mains du Hamas. « Dans la mesure où le Hamas a la main haute sur tout ce qui se déroule dans le bande Gaza. L’organisation terroriste incarne la gouvernance à Gaza à partir de 2006. Il est donc assez logique de penser qu’une partie des fonds récoltés pour la Palestine passent entre leurs mains. C’est même inévitable », assure-t-il.
Il est assez logique de penser qu’une partie des fonds récoltés pour la Palestine passent entre les mains du Hamas. C’est même inévitable.
Didier Leroy, chercheur CESD
Des investissements variés
En revanche, il serait erroné de croire que le financement via des organisations-écrans représente le business majeur du Hamas. Ce ne sont pas les dons via des ASBL en Belgique qui constituent le noyau dur du financement. « Aujourd’hui, un acteur comme le Hamas a su, à travers des personnes intégrées dans le domaine de la finance, générer des portefeuilles d’investissement dans toute une série de domaines : immobilier, cryptomonnaies, import-export (légal et illégal) », avance Didier Leroy.
Des investissements variés aussi bien par leur nature, que dans leur répartition géographique, via des « hubs » bien déterminés. « Les derniers bastions dans lesquels le Hamas a encore une assise, ou une zone de confort, c’est le Qatar à l’échelle du golf, la Turquie à l’échelle du bassin méditerranéen, et l’Angleterre à l’échelle de l’espace européen », situe Didier Leroy. Istanbul a souvent été évoquée comme l’endroit où résiderait la plupart des financiers du Hamas. Londres arrive juste après. »
La plupart des figures proches des Frères musulmans contraints à l’exile, qu’ils soient d’origine égyptienne ou autres, ont en effet convergé vers Londres, qui est devenue, avec le temps, une sorte de base logistique du Hamas connue de tous. « Les britanniques ont des liens historiques forts avec le Moyen-Orient, qu’il s’agisse de la matrice égyptienne des Frères musulmans, ou des acteurs palestiniens de l’espace golfien », précise enfin Didier Leroy.
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