Revenge porn: un homme condamné à une astreinte de 420 000 euros
En Flandre, un homme de 38 ans a été condamné à une astreinte sans précédent de 420 000 euros pour avoir diffusé des images pornographiques de son ex-petite amie et ne pas les avoir retirées à temps, rapportent nos confrères de Knack.
Le cauchemar de la victime commence en septembre 2020, peu après la rupture du couple. « Rétrospectivement, c’était une relation très toxique », confie la victime, Sanne*, à Knack. « Sven* voyait toujours son ex-femme, était très méfiant, possessif et manipulateur. Il m’a aussi isolée de mes amis et de ma famille ».
A un moment donné, Sven suggère à Sanne de prendre des photos sexuellement explicites. Sanne accepte, à condition que tout reste privé. Sven, qui travaillait dans l’informatique, crée un compte sur Google Drive lié à une nouvelle adresse e-mail. Là, les images resteraient privées.
Quelques semaines après la fin de la relation, Sanne reçoit un message WhatsApp d’une amie. « Sanne, je reçois des messages étranges d’un homme qui dit qu’il y a des images de toi nue en ligne. Il t’a envoyé un message via Instagram pour te prévenir, mais tu ne l’as pas encore ouvert. Il a vu que nous sommes amies et m’a demandé de te contacter ».
« Mon monde s’est arrêté »
« J’ai ouvert ce message », raconte Sanne à Knack. « Mon monde s’est arrêté. Il y avait des photos de moi très explicites sur Internet, avec mon nom, mon âge, mon adresse, mon employeur, le nom de mes amis, de mes parents… J’ai évidemment su tout de suite d’où venaient ces images, car dans mes relations précédentes, on ne m’avait jamais pris en photo. J’ai également remarqué qu’il n’y avait que des photos de moi, et non de Sven et moi ensemble. Je l’ai contacté sur-le-champ, et il m’a dit qu’il avait été piraté. Je l’ai cru, aussi parce qu’il a promis de m’aider à retirer les photos d’Internet ».
« Je me suis rendue à la police pour porter plainte contre des inconnus. Sven a été également interrogé. Peu de temps après, une nouvelle série de photos a été mise en ligne, entraînant à nouveau un grand nombre de messages d’hommes. Et à chaque fois, bien sûr, j’étais stressée à l’idée que mon employeur le découvre. Ou les élèves de mon école. Si un inconnu marchait derrière moi la nuit, je me demandais toujours si ce n’était pas quelqu’un qui m’avait trouvée à cause des photos et qui voulait m’agresser », raconte-t-elle.
Quelques semaines plus tard, Sven avoue qu’il a partagé les images avec d’autres personnes et qu’il les a diffusées sur des sites pornographiques. Néanmoins, même après cette déclaration, une nouvelle série d’images apparaît en ligne.
Le 4 décembre 2020, Sanne et ses avocats, Geert Lenssens et Aline Umwali, saisissent le tribunal de première instance de Gand d’une requête unilatérale contre Sven et Google. Le même jour, le tribunal ordonne aux deux parties de faire retirer toutes les images, sous peine d’une amende de 10 000 euros d’astreinte par chaque infraction.
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Google dans le collimateur
Sanne et ses avocats ont donc également pris Google à partie pour n’avoir pas, selon eux, fait suffisamment d’efforts pour rendre les images introuvables. Fin 2020, Google envoie une lettre recommandée affirmant que Sanne n’avait pas suivi la procédure appropriée, mais même après cela, le tribunal de Gand ordonne au géant de la technologie de supprimer toutes les images pornographiques.
Cependant, début septembre 2021, un huissier constate qu’il y a toujours 42 photos de Sanne en ligne. L’avocat de Sanne demande une saisie de 420 000 euros, plus spécifiquement sur la maison de Sven. Un an plus tard, le juge des saisies donne raison à Sanne. Il estime que Sven n’a pas fourni suffisamment d’efforts pour retirer les images.
Interrogé par Le Vif, l’Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes n’a pas connaissance d’autres condamnations de ce type. « C’est une décision assez unique, surtout que le montant de l’astreinte est très important. C’est un dossier que nous avons eu au départ à l’Institut, mais l’avocat et la victime ont finalement décidé de ne pas suivre la procédure que nous avons mise en place », explique Véronique De Baets, porte-parole de l’Institut.
Suite à la loi sur le revenge porn votée en 2020, l’Institut pour l’Egalité est en effet habilité à prendre contact avec les différentes plateformes en ligne pour faire retirer les contenus problématiques. Celui-ci a d’ailleurs élaboré un manuel qui explique comment procéder pour signaler des images auprès des plateformes afin de les faire supprimer.
Un cas qui fera date
« Ici, ce qui est exceptionnel, c’est que la victime et ses avocats sont allés au civil pour attaquer directement Google. C’est un cas qui fera date dans l’histoire du revenge porn et du rôle de plateformes comme Google, Facebook », ajoute Véronique De Baets, qui espère que la décision du tribunal des saisies augmentera la sensibilisation à la question du revenge porn.
Geert Lenssens, avocat de la victime, estime également que la décision du tribunal des saisies revêt une valeur importante de précédent. « Cette décision prouve que les victimes de revenge porn peuvent agir efficacement. Les auteurs courent le risque de devoir payer des amendes très élevées, et même de se voir saisir un bien pour le mettre en vente publique. Ces astreintes reviennent entièrement à la victime, indépendamment des dommages et intérêts, qui seront abordés plus tard. C’est un signal important aux victimes de revenge porn, qui n’osent pas toujours agir » confie-t-il à Knack.
Entre le 1er juillet 2020 et le 31 décembre 2021, l’Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes a reçu 153 signalements de revenge porn. Dans 30 cas, il s’agissait de voyeurisme et dans 38 cas de sextorsion. Lorsqu’on considère uniquement les chiffres de 2021, ces nombres étaient de 95, 15 et 26. Comme les chiffres portent sur une année complète, on ne peut pas parler d’une augmentation par rapport à 2020.
1% des Belges ont été déjà été victimes de revenge porn
Selon l’Institut, 1% des Belges ont déjà été victimes de revenge porn. 15% des femmes et 3% des hommes ont déjà subi des pressions les poussant à prendre ou à faire prendre des photos dénudées. 15% des femmes et 7% des hommes ont déjà reçu des photos dénudées non sollicitées.
Selon l’Institut pour l’Egalité, les victimes de revenge porn sont en outre régulièrement en proie au victim-blaming: ce serait de leur propre faute si elles ont réalisé elles-mêmes les images et fait confiance à quelqu’un qui s’est avéré ne pas en être digne.
*prénoms d’emprunt
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