Une dizaine de médecins comparaissent cet automne, accusés de ne pas avoir administré des vaccins qu’ils ont pourtant déclarés. © Hans Lucas via AFP

«On m’a dit qu’elle piquait à côté du bras»: une dizaine de médecins devant la justice pour fraude aux vaccins Covid (Info Le Vif)

L’heure du retour de bâton a sonné pour les architectes de la fraude au Covid Safe Ticket. Une dizaine de médecins de tout le pays comparaîtront bientôt devant un tribunal. Leurs faux patients, en revanche, resteront très majoritairement démasqués.

C’est l’histoire de quelques mots qui glissent dans une oreille indiscrète lors d’un voyage en train, d’une conversation entre collègues à la machine à café, ou d’une publication Facebook qui fait mouche. Un seul point commun rassemble les protagonistes de ces échanges lorsqu’ils ont lieu en 2021: le scepticisme vis-à-vis du vaccin contre le Covid. Sinon, tout les sépare. Travailleur voulant garder son job, infirmière souhaitant tomber enceinte, voyageuse avide de soleil… On parle de 222 personnes qui ont un jour pris contact avec le Docteur D., dans le Hainaut, suite à quelques bons conseils afin que la généraliste leur délivre l’attestation indiquant qu’ils sont bien passés sous l’aiguille sans pourtant n’avoir jamais levé la manche. Un processus connu, mis à nu, et dont les auteurs, une dizaine de médecins généralistes, passent cet automne devant la justice.

Retour en octobre 2021. L’Aviq (l’Agence wallonne pour une Vie de Qualité) lance un audit en croisant ses données. «On a vérifié la concordance entre Doccler, la plateforme de rendez-vous des médecins et Vaccinet, celle où ils doivent encoder les vaccins qu’ils administrent», raconte Lara Kotlar, porte-parole de l’organisme public. Quatre indices permettent de faire ressortir des anomalies statistiques: la différence entre vaccins commandés et administrés, la date et l’heure de l’encodage dans Vaccinet, la fréquence des commandes auprès des chaînes d’approvisionnement, et la répartition géographique des patients.

Illustrons. Si un généraliste liégeois commande simultanément un gros stock de vaccins (alors qu’ils doivent être administrés quelques heures après être sortis de leur frigo) et que ceux-ci sont administrés à un patient montois, bruxellois ou mouscronnois qu’il n’a jamais vu, il y a suspicion. Après l’audit réalisé en octobre 2021 sur les 2.330 vaccinateurs agréés, 31 anomalies statistiques étaient relevées, ce qui ne signifie toutefois pas 31 cas de fraude. Un docteur vaccinant en maison de repos, par exemple, pourrait être une anomalie statistique sans être suspect.

L’étrange productivité du Docteur D.

Le cas du Docteur D. ressort aisément à l’aide de ces critères. Entre mars et décembre 2021, elle commande 494 doses de vaccins, principalement du Pfizer, à son seul point d’approvisionnement dans Hainaut. La moyenne pour les médecins généralistes, sur la même époque, est de 26. En quelques mois, son annuaire de patients se remplit, 222 personnes venues de six provinces (dont 80 n’habitant même pas en région wallonne) se présentent (en tout cas selon les relevés administratifs) à son cabinet. Combien ont reçu le vaccin ? Combien ont fraudé pour retrouver un Covid Safe Ticket vert ? Impossible à dire. Cinq patients ont avoué devant les enquêteurs de police, systématiquement prévenus par l’Aviq lorsque l’audit relevait une anomalie statistique, avoir fomenté avec le Docteur D. un procédé classique.

L’une d’entre elle a appris via un collègue «que le docteur D. piquait à côté du bras». La fausse patiente se présente alors au cabinet du Docteur D., celle-ci l’y attend avec une fiole dont elle vide le contenu dans l’évier en lui expliquant que, elle non plus, n’est pas pour les vaccins. La généraliste récupère l’étiquette sur la fiole et la colle sur l’attestation tout en encodant la vaccination dans le logiciel Vaccinet. En échange, la patiente lui glisse un billet de 100 euros, et s’achète au passage la tranquillité de sa hiérarchie qui lui demandait «tous les jours» si elle était vaccinée, elle qui travaillait dans une unité Covid. Le vaccin Pfizer s’administrant en deux doses, l’opération sera donc répétée deux fois pour obtenir un parcours vaccinal en ordre. Parfois plus pour les immunodéprimés dont l’obtention d’un CST nécessitait trois, voire quatre de doses. Les enquêteurs relèveront que certains patients sont prêts à faire 244 kilomètres au total entre chez eux et le Docteur D. pour accomplir la filouterie.

«Des prétendus vaccinés de partout»

Ce mercredi, la patiente en aveux passait elle aussi devant la Chambre du Conseil de Charleroi. C’est l’Aviq qui a porté plainte contre X et le Docteur D. Le dossier n’est pas un cas à part, une dizaine d’affaires similaires ont été détectées suite au travail de bénédictins de l’Aviq. «Il y a des cas dans tous les arrondissements, y compris Bruxelles, alerte l’avocat de l’organisme wallon, Julien Uyttendaele. Il y a des prétendus vaccinés de partout !»

Au plus fort de la campagne vaccinale, pourtant, le médecin généraliste était représentée comme une figure de confiance, censée rassurer les éventuels citoyens dubitatifs. Comment expliquer ces passages soudains du côté obscur de la médecine ? «La médecine est à la fois un art et une science expérimentale, reconnaît Benoît Dejemeppe, président du conseil national de l’Ordre des médecins. Nous n’avions pas la vérité à 100% sur le Covid quand il est arrivé. Quand est venu le vaccin, alors qu’il faut généralement dix ans pour en voir arriver de nouveaux sur le marché, c’en était trop pour certains médecins. Il s’en sont pris à l’Ordre des médecins, au gouvernement belge et à l’Organisation Mondiale de la Santé, les accusant d’être à la solde de grandes entreprises. Certains nous ont même fait des procès, mais on n’en a perdu aucun.» En 2021, l’Ordre ouvrait 89 dossiers pour médecins «antivax» et sanctionnait 22. En 2022, l’Ordre s’intéressait à 29 généralistes ouvertement opposés à la ligne établie. Cette année-là, Le Vif révélait que 15 d’entre eux étaient sanctionnés.

«Il y a deux profils de docteurs impliqués, révèle Julien Uyttendaele. Des militants « antivax » affirmés et complotistes, et puis des mercantiles, qui veulent faire du chiffre.» Les premiers dossiers commencent à être renvoyés vers le tribunal, les premières audiences au Fond sont attendues pour la fin de l’année 2024. Les peines encourues seront surtout financières pour les patients, et pour les médecins aussi si leurs antécédents sont nuls. Le tribunal n’a, généralement, pas vocation à interdire la pratique du métier. Cela révèle de l’Ordre des médecins qui avait radié un membre ayant délivré 2.018 faux certificats en 2023, mais qui semble d’ordinaire préférer des suspensions temporaires de deux ans maximum. «J’appelle l’Ordre des médecins à prendre ses responsabilités», ponctue Julien Uyttendaele.

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