Procès des attentats de Bruxelles: la défense poursuit la valse des questions et amorce sa stratégie
Les avocats des accusés Sofien Ayari, Ali El Haddad Asufi et Bilal El Makhoukhi ont poursuivi, mercredi matin devant la cour d’assises chargée du procès des attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles, la séance de questions de la défense aux enquêteurs et juges d’instruction entamée lundi par les conseils de Mohamed Abrini, Osama Krayem et Salah Abdeslam.
Après l’habituelle question aux accusés détenus concernant les fouilles à nu et le retour de Mohamed Abrini, Osama Krayem et Salah Abdeslam au cellulaire, l’audience a débuté avec un devoir d’enquête ordonné la veille concernant des doutes sur la datation d’un document contenant un texte attribué à Salah Abdeslam.
Le texte concerné n’a pas pu être daté par les enquêteurs belges, mais se trouve dans la motivation du verdict pour les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et a été daté par les enquêteurs français aux 25 octobre 2015, 22 janvier et 19 mars 2016. Selon les enquêteurs de la Computer Crime Unit (CCU), une « mauvaise interprétation » de la cour d’assises de Paris sur les attentats du 13 novembre 2015 est à l’origine de la confusion.
En résumé, les dates auxquelles il est fait référence concernent l’utilisation du dictionnaire de Word, et non l’utilisation du programme de traitement de texte lui-même, ni le texte final tel qu’il a été reconstruit. Me Isa Gultaslar et Me Laura Severin, les avocats de Sofien Ayari, ont ensuite débuté leur série de questions en demandant notamment aux témoins de confirmer qu’aucun message d’appel à la haine n’avait été retrouvé lors de l’exploitation du compte Facebook de Sofien Ayari, qu’aucun testament de ce dernier n’avait été retrouvé lors des investigations et qu’il n’apparaissait pas sur des photos avec des armes dans les planques bruxelloises.
S’adressant à l’islamologue Mohamed Fahmi, Me Gultaslar a alors posé plusieurs questions concernant les agissements du régime de Bachar al-Assad en Syrie. L’interrogé a confirmé que ce dernier avait recours à la torture, aux viols et à toute sorte de traitements inhumains envers des personnes détenues. « Il existait des sortes de camps de concentration, des camps de mort en Syrie« , a expliqué l’islamologue, précisant que le régime syrien avait tué proportionnellement largement plus de civils que l’État Islamique (EI).
Interrogé sur les exactions américaines lors de leur intervention en Irak en 2003, M. Fahmi a expliqué que l’administration américaine avait commis des abus dans les camps de détention, que des armes prohibées avaient été utilisées et que l’armée américaine avait fait beaucoup de morts dans le pays. Et Me Gultaslar d’enchainer sur plusieurs questions tendant à montrer que l’Occident avait, à plusieurs reprises, soutenu des djihadistes à travers le monde.
L’orientation des interrogations de l’avocat a visiblement laissés perplexes plusieurs de ses confrères défendant les autres accusés. Après une courte pause, Me Jonathan De Taye et Me Jean-Christophe De Block, à la défense d’Ali El Haddad Asufi, ont pris le relais.
Les deux pénalistes ont tenté de mettre l’accent sur le rôle logistique de leur client tout en minimisant son rôle dans les attentats. Ils ont ainsi fait confirmer aux enquêteurs qu’il n’y avait pas d’indices réels concernant une éventuelle radicalisation d’Ali El Haddad Asufi et qu’aucun élément ne laissait penser qu’il ait pu utiliser une fausse identité.
Me Jonathan De Taye a également souligné que l’accusé Ali El Haddad Asufi avait été condamné pour « participation à une association de malfaiteurs terroriste » et non pour assassinat terroriste dans le cadre du procès des attentats de Paris l’an dernier.
La séance s’est poursuivie dans l’après-midi avec de nombreuses questions sur le rôle de l’accusé dans la recherche d’armes pour le compte des terroristes du 22 mars. L’enquête avait révélé qu’Ali El Haddad Asufi aurait aidé Ibrahim El Bakraoui dans la recherche d’armes, via les contacts qu’a son cousin avec des trafiquants d’armes néerlandais. « Il s’agit bien de recherches d’armes » et non d’achat d’armes, a précisé le parquet, interrogé sur la question.
Mes De Taye et De Block ont fait dire aux enquêteurs qu‘aucune arme n’avait été trouvée au domicile de leur client, contrairement à une petite quantité de cannabis. Les avocats ont tenté de jeter le doute sur la signification de messages codés évoquant des « Clios ». L’arrêt de la cour d’assises de Paris a pourtant établi qu’il s’agissait d’armes et non de stupéfiants.
Me De Block a alors évoqué le récépissé d’envoi par fax d’un certificat médical retrouvé dans la voiture de son client au moment de son arrestation, sur laquelle étaient notées les références de deux armes légères. L’écriture est celle d’Ibrahim El Bakraoui, est-il apparu.
Par ses questions, l’avocat a tenté d’établir que les armes mentionnées sur ce papier se trouvaient dans un sac ramené à l’époque par Ibrahim El Bakraoui. Il a également mentionné le dossier d’un homme connu de la justice pour trafic d’armes, un certain Léonardo Polino, et qui s’est trouvé en prison avec un des deux frères El Bakraoui.
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L’individu aurait déclaré que les frères l’avaient sollicité à leur libération pour savoir où se procurer des kalachnikovs, selon les enquêteurs. En fin de journée, les avocats Nicolas Cohen et Virginie Taelman, qui représentent l’accusé Bilal El Makhoukhi, ont à leur tour posé de nombreuses questions sur la situation au Moyen-Orient et le conflit syrien à l’islamologue Mohamed Fahmi. Me Cohen a ainsi demandé à ce dernier de rappeler le contexte du conflit en Afghanistan déclenché par l’Union soviétique dans les années 80 et qui est considéré comme le premier terrain du djihadisme contemporain.
D’autres questions ont orienté l’islamologue vers les maltraitances perpétrées par les Américains dans leurs camps de détention en Irak ainsi que vers le conflit syrien, les agissements du régime de Bachar al-Assad et la manière dont la coalition internationale était intervenue pour combattre l’État Islamique (EI), y compris la Belgique.
De son côté Me Virginie Taelman a demandé des éclaircissements sur une visite pendant la détention de Bilal El Makhoukhi à la prison de Bruges. La pénaliste a ensuite posé plusieurs questions sur les trajets effectués par Bilal El Makhoukhi à l’aide de sa carte Mobib, que les enquêteurs considèrent comme inhabituels.
Elle a terminé par demander des éclaircissements sur la méthodologie de travail de l’islamologue Mohamed Fahmi. L’audience s’est clôturée vers 19h30, la présidente espérant achever les questions de la défense jeudi. Dans le cas contraire, une audience supplémentaire sera organisée vendredi matin.