Anne-Sophie Bailly
Procès des viols de Mazan | Non, il n’y a pas viol et viol. Non, il n’y a pas de violeur de bonne foi
En espérant que le jugement du procès de Mazan fasse jurisprudence en faveur des victimes. Pour qu’aucun doute ne subsiste sur le fait qu’un viol est un viol.
Elle avait demandé que le huis clos soit levé. Pour obtenir une médiatisation majeure et que la publicité des débats ouvre hors du prétoire le procès de la soumission chimique. Elle avait accepté de témoigner pour porter la parole de toutes celles qui se réveillent sans souvenirs mais la nausée aux lèvres. Pour rendre plus visibles les victimes de violences sexuelles. Pour montrer, aussi, qu’elle n’avait pas honte de ce qu’elle avait subi, pour dénoncer les abus de ces prédateurs. Et ce, même si ça impliquait pour elle d’être confrontée à des images insoutenables, des vidéos insupportables, l’exposé d’un sinistre modus operandi, des dates, des noms, des visages, des explications, des excuses, du déni.
C’est donc armée de ses convictions que Gisèle Pelicot aborde depuis quelques semaines le procès de son ex-mari, Dominique Pelicot, accusé de l’avoir droguée aux anxiolytiques pour la violer et de l’avoir fait violer, inconsciente, pendant dix ans, par des hommes recrutés sur Internet, ainsi que celui de 50 d’entre eux, identifiés sur les photos et les vidéos pris pendant ces viols.
Et c’est dans ce contexte que Guillaume De Palma, avocat de plusieurs accusés, a lâché cet inaudible «il y a viol et viol». Petit rappel. La loi française qualifie de viol «tout acte de pénétration sexuelle […] ou tout acte bucco-génital […] commis par violence, contrainte, menace ou surprise». Difficile pour la défense de contester la matérialité des faits dans ce cas précis, étant donné la profusion d’images disponibles. Compliqué de ne pas reconnaître la surprise étant donné la camisole chimique dans laquelle était enfermée la victime.
C’est donc une voie étroite que l’avocat a empruntée pour mener la défense de ses clients, à savoir: le viol est un crime, or tout crime suppose une intention. «Il y a viol et viol… et sans l’intention de le commettre, il n’y a pas viol», plaide ainsi Me De Palma, alléguant que le viol ne serait pas avéré si l’auteur n’avait pas eu l’intention de commettre un acte sexuel non consenti. Que finalement, il pouvait y avoir eu erreur de jugement, méprise ou équivoque. Bref, que ces prévenus seraient des violeurs, mais de bonne foi.
Cette rhétorique –outre que le manque d’intention semble difficilement compatible avec la préparation minutieuse et les consignes strictes (ne pas fumer, ne pas se parfumer, attendre dans la voiture que les médicaments fassent effet) mises en lumière par l’enquête et qui précédaient chaque viol– présente au moins deux dangers majeurs.
Un: tenter d’instiller l’idée qu’il existerait une classification des viols, une gradation. Deux: essayer de déplacer la charge sémantique et de laisser à l’accusé le pouvoir de qualifier l’acte.
La France se débat toujours avec l’ajout de la notion de consentement dans la définition du viol. En filigrane du procès de Mazan, la cour du Vaucluse se positionnera aussi sur ce débat juridique. En espérant que le jugement qu’elle rendra fasse jurisprudence en faveur des victimes. Que cette tentative de qualification de rendre certains viols acceptables, défendables, moins graves soit tuée dans l’œuf. Pour qu’aucun doute ne subsiste sur le fait qu’un viol est un viol. Sans mais, sans virgule.
Derrière la stratégie de la défense, l’idée que ces prévenus seraient des violeurs, mais de bonne foi.
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