Prisons en grève: de l’espoir à la déception, pourquoi Haren n’est pas une solution pour la surpopulation carcérale
Les gardiens de prisons, craignant pour leur sécurité, entameront une grève ce dimanche. Pourtant, les budgets alloués à la justice ne cessent de grossir. Comme un symbole, les gardiens de la flambant neuve prison de Haren seront les premiers à débrayer. De quoi réfléchir au sens de la prison.
Il sera 22 heures, ce dimanche, lorsque les gardiens de prison de Haren entameront une grève de 24 heures durant laquelle ils seront rejoints par leurs collègues de tout le pays. Le fait que ce mouvement de grogne émane du nouveau village pénitentiaire du nord de Bruxelles n’est pas anodin. Initialement, le complexe inauguré en 2022 devait permettre aux détenus de bénéficier d’une plus grande autonomie afin d’être mieux préparés à la réinsertion. «Un échec», résume sèchement le délégué syndical CSC Mohamed Bercha, car si ses collègues débrayent ce dimanche, c’est suite à la mise à feu «préméditée» de la voiture d’un agent de l’institution après des tensions avec les détenus.
Les grévistes réclament donc une meilleure protection, y compris dans leur vie privée, à l’administration et au ministre de la Justice, Paul Van Tigchelt (Open-VLD). Il faut dire que les semaines écoulées ont marqué la profession de plusieurs actes de violence jusqu’à la porte de leur foyer calcinée par un cocktail molotov.
Les prisons plus surpeuplées en Flandre qu’en Wallonie
Ce n’est pas un scoop, les prisons belges sont trop peuplées, et les gardiens trop rares. Entre 200 et 500 travailleurs manquent à l’appel, dont entre 100 et 150 uniquement pour Haren. La nouvelle prison est en «recrutement permanent», admet son directeur Jurgen Van Poeck. Sur 25 équivalents temps plein requis pour faire fonctionner correctement la cellule psychiatrique, seuls 3,5 sont endossés. Le secteur médical a besoin de 32 équivalents temps plein, seuls neuf sont remplis. «La prison de Haren n’est pas complètement ouverte car nous n’avons pas tout le personnel, admet le SPF Justice. Actuellement, il y a 1.147 détenus pour une capacité de 1.035 places.»
Côté détenus, justement, la nouvelle «méga-prison» devait permettre de donner de l’air en dégageant, selon le rapport du SPF Justice sur les prisons de 2023, 620 places en plus (1.200 une fois totalement finie). Les prisons de Forest et Berkendael, et Saint-Gilles, vétustes, devaient en échange fermer mais cette dernière est finalement restée ouverte. Au total, la Belgique compte 11.044 places disponibles pour 12.582 détenus, selon un rapport de la Direction Générale des établissements pénitenciers daté du 15 janvier 2025. Cela revient à une surpopulation carcérale d’environ 14%, soit l’un des parcs pénitenciers les plus surpeuplés d’Europe, selon le site Prison Insider.
Il manquerait donc 1.538 places en détention dans le pays, soit environ 150% de la capacité de Haren. L’obligation d’exécution des plus courtes peines n’y est peut-être pas pour rien, les 35% de prisonniers en détention préventive et 8% d’internés non plus. Au premier septembre 2022, 490 détenus purgeaient une peine de moins de trois ans. Ils sont 1.764 aujourd’hui.
Un rapide coup d’œil sur les données fournies par le SPF Justice à propos du taux d’occupation des prisons délivre un curieux constat. A quelques exceptions près, les prisons sont plus surpeuplées en Flandre qu’ailleurs. Certes, Dinant a le plus gros taux d’occupation (180% en 2023, 187% aujourd’hui selon un autre document de la direction générale des établissements pénitentiaires). Certes, c’est à Lantin que l’excédent de détenus est le plus important (285 personnes incarcérées au-delà de la capacité initiale fixée à 744 places). Mais les cellules d’Anvers, Malines et Gand sont remplies entre 150 et 190% au-dessus de leur taux d’occupation. Le 17 janvier dernier, Bruges comptait 219 détenus en trop, Hasselt tentait de pousser les murs pour accueillir 129 détenus au-delà de sa limite. Anvers faisait de même pour 259 prisonniers malgré ses 439 places. En Belgique, le 15 janvier, 156 prisonniers dormaient sur un matelas posé à même le sol.
C’est une hypothèse, mais selon le président de la branche belge de l’Observatoire International des Prisons (OIP) Harold Sax, ce déséquilibre entre le nord et le sud du pays pourrait être imputé à la force du… secteur associatif. «La mobilisation citoyenne et militante est plus active en Wallonie. Les décisions de justice sont peut-être moins sévères ou les peines préventives aménagées. (…) Les avocats flamands semblent également moins enclins à introduire des recours sur les conditions de détention.» Le SPF Justice réfute une telle idée. «Ce qui est certain, c’est que l’administration essaie de répartir au mieux la population pénitentiaire et qu’il n’y a pas, au regard de la population, de différence flagrante entre région, affirme la porte-parole du service public, Valérie Callebaut. Il faut tenir compte de très nombreux facteurs comme, par exemple, le nombre de détenus préventifs, la langue des jugements prononcés, les décisions de modalité d’exécution de la peine, le lieu de réinsertion des détenus. Sur 100.000 citoyens, il n’y a d’ailleurs pas plus de détenus en Flandre qu’en Wallonie.»
Haren, l’école des matons
«A la base, Haren n'avait pas vocation à être une prison où l'incarcération était repensée, se souvient Harold Sax. A la fin des années 90, le ministre de la justice Stefaan De Clecrck (CVP, ex-CD&V) avait posé le constat de l'échec de la politique carcérale. Il soutenait l'idée qu'il fallait moins interner, parce que c'était contre-productif.» Et puis, l'affaire Dutroux est passée par là et a bouleversé le système judiciaire de tout le pays, voire plus. «Depuis, tous les pays européens ont augmenté le nombre de places en détention pour lutter contre la surpopulation, mais cela n'a jamais réglé le problème.»
Tous les quatre ans depuis 2008, les Masterplans se succèdent pour augmenter les places dans les prisons belges. Et c'est dans l'un de ceux-là que l'idée de Haren, longue et coûteuse malgré sa construction en partenariat public-privé, a germé. «Les gouvernements ont voulu faire une méga prison, la plus grande du pays et l'une des plus grandes d'Europe, poursuit le président de l'OIP. Il y a eu beaucoup de critiques, notamment par des scientifiques hollandais reconnus. Le discours a changé dans le champ politique et c'est comme ça qu'est née l'idée d'un village pénitentiaire.» «Haren a fait la moitié du chemin avec ces petites unités de détention à la place d'un seul grand bâtiment, complète Manuel Lambert, conseiller juridique à la Ligue des Droits Humains. Mais ce chemin s'est fait au milieu d'une méga-prison. Il fallait ouvrir le contact avec la société. Or, ici, c'est complètement isolé.»
Sophie Rohonyi, président de DéFI, connaît bien la prison de Haren. La Rhôdienne a visité le complexe peu après son ouverture, et une seconde fois ce vendredi 24 janvier. «En février 2022, j’alertais déjà le ministre sur la nécessité de recruter et former du personnel. C’est le problème le plus criant dans cette prison. Aujourd’hui, les détenus qui doivent être internés sont entre la maison d’arrêt et l’annexe psychiatrique. Le manque de personnel implique des retards de sortie, de visites… Cela crée de la frustration pour le détenu qui, quand il sort, devient une bombe à retardement.»
Pour le directeur de l’établissement, la fermeture (comme c’était normalement prévu) de la prison de Saint-Gilles et la libération des 200 agents qui y travaillent ne serait pas forcément la solution facile. «On en récupérerait une partie, mais ça provoquerait également le départ de certains vers la province. Mais il y a bon nombre de gardiens expérimentés qui sont restés à Saint-Gilles. Nous, on a beaucoup de jeunes, ils sont plein de bonne volonté mais ont peut-être trop vite trop de responsabilités.» Puis travailler à Haren serait souvent une désillusion. Ceux qui sont venus à Haren dans l’objectif d’ajouter une touche sociale à leur métier n’ont pas le moyen de le faire, se dit-il. Si bien qu’aujourd’hui, un tiers des agents du complexe sont en contrat de stage, souligne Harold Sax.
Le nombre de prisonniers ne cesse d’augmenter, la profession n’attire plus, la charge de la détention d’un prisonnier est passé de 55.000 à 62.000 euros en deux ans et le budget des établissements est passé de 613 à 714 millions d’euros sur la même période. Le temps n’est-il pas venu pour désengorger les prisons, et réfléchir à un autre système carcéral ? «Si le gouvernement Arizona continue cette politique pénale, on va droit dans le mur, prévient Manuel Lambert, conseiller juridique à La Ligue des Droits Humains. L’administration elle-même parle de situation catastrophique. Si le politique ne fait rien, ça relève de l’aveuglement.»
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