Pénurie de psychiatres en prison: « On fait surtout en sorte que tout tienne, que les choses n’explosent pas »
Alors qu’une grève du personnel a marqué le milieu carcéral belge en début de semaine, la question de l’augmentation de la population dans les prisons est au cœur des revendications. Pour beaucoup, cela pourrait aggraver les problèmes de santé mentale déjà très présents chez les détenus, marqués par une pénurie de psychiatres.
«La demande en matière psychiatrique pour un détenu en régime ordinaire est très très importante, par le seul fait d’être incarcéré, d’être privé de sa liberté, c’est très compliqué à vivre, et cela peut entraîner des séquelles psychologiques», constate le Dr Dimitri Martinez Serruys, psychiatre à l’Établissement de défense sociale (EDS) de Paifve. Entre l’enfermement, le partage des cellules et la vie avec les codétenus, il peut arriver que certains problèmes mentaux surviennent ou persistent dans les prisons, comme des angoisses, des envies suicidaires, de la dépression ou des difficultés à dormir.
Alors que depuis le 1er septembre, le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne a annoncé que les courtes peines de prison de moins de deux ans seront exécutées, ce qui amènerait plus de détenus dans les établissements carcéraux, plusieurs acteurs s’inquiètent quant à la santé mentale des prisonniers, qui est déjà problématique.
Une santé mentale fragile
«En tant qu’agent pénitencier, je suis surpris du nombre de détenus qui sont sous prescription médicale de psychotropes, c’est énorme», s’étonne Grégory Wallez, secrétaire fédéral du CGSP Prisons.
En 2017, un rapport du Centre Fédérale d’Experts des Soins de Santé (KCE) indiquait que plus de 37% de la population carcérale avait des antécédents de pensées suicidaires, contre 11% au sein de la population générale. Le rapport souligne la quantité élevée de médicaments prescrits en prison. Parmi eux, 43% étaient des psychotropes, qui avaient donc un impact sur le système nerveux, notamment pour des angoisses et des troubles du sommeil.
«En prison, il n’y a qu’une personne sur deux qui se considère en bonne santé, explique Marion Guémas, de l’ASBL I.Care, qui vient en aide à la santé des détenus. Il y a une forte prévalence de troubles psychiques et psychiatriques.»
Aujourd’hui, les problèmes de santé mentale persistent dans les prisons, alors que le rapport annuel de 2022 du Conseil central de surveillance pénitentiaire (CCSP) indique que «de plus en plus de détenus souffrent de problèmes psychologiques ou psychiatriques.»
Pour Jérôme Englebert, professeur en psychologie à l’ULB et l’UCLouvain, spécialiste du milieu carcéral, il est important d’inclure le paramètre de la toxicomanie. «La prison est un lieu où beaucoup de drogues circulent et les psychotropes permettent de produire un effet psychique légalement admis.»
Ce n’est pas toujours évident de s’adapter à un milieu compliqué. La prison peut être loin du domicile, il n’y a pas toujours de la place pour travailler, il faut faire avec des horaires parfois difficiles, et il faut arriver à travailler avec des agents pénitenciers, ce dont on est peu habitué en médecine.
Dr Dimitri Martinez Serruys, psychiatre à l’Établissement de défense sociale (EDS) de Paifve
Même si prescrits pour des raisons médicales, ces médicaments peuvent servir comme un moyen de continuer à consommer, ou comme produit de substitution, dans le cas d’un sevrage.
Dimitri Martinez Serruys précise tout de même que des actions sont menées pour limiter la prescription de psychotropes. «On est très attentif à éviter les médicaments qui entraînent des dépendances et qui doivent être prescrits sur une courte durée. Les médecins, et notamment les plus jeunes, ont été formés à faire très attention à ça et nous sommes en train de l’implémenter.»
Un suivi psychiatrique difficile
«Il n’y a clairement pas assez de psychiatres pour tous les détenus, il y a des institutions pénitentiaires qui ont plusieurs centaines de personnes emprisonnées, et on a un psychiatre qui va venir faire une vacation par semaine d’une ou une demi-journée», indique Marion Guémas.
La pénurie d’effectifs de psychiatres et psychologues est d’ailleurs mise en lumière par le rapport 2022 du CCSP qui souligne le manque de prise en charge nécessaire au niveau de la santé mentale. Pour Dimitri Martinez Serruys, plusieurs raisons peuvent expliquer la pénurie de psychiatres dans les prisons ordinaires. D’abord, un manque de promotion de ce milieu pendant les formations «à l’époque où j’ai été formé, j’ai voulu faire mon stage dans une prison, mais cela n’a pas été possible.»
Le travail de psychiatre n’est pas des plus faciles dans les centres pénitenciers, un environnement qui peut parfois décourager.
«Ce n’est pas toujours évident de s’adapter à un milieu compliqué. La prison peut être loin du domicile, il n’y a pas toujours de la place pour travailler, il faut faire avec des horaires parfois difficiles, et il faut arriver à travailler avec des agents pénitenciers, ce dont on est peu habitué en médecine», souligne Dimitri Martinez Serruys, en ajoutant toutefois que des progrès ont été faits et que plus de psychiatres travaillent aujourd’hui en milieu carcéral.
Les thérapies psychologiques et psychiatriques sont par contre installées dans des institutions pénitentiaires, comme l’EDS de Paifve, qui ont des détenus internés reconnus irresponsables de leurs actes en raison d’une maladie mentale. Dans ces prisons, le personnel psychiatrique et psychologique est employé à temps plein et assure un suivi plus régulier.
Quand vous êtes enfermés 23 heures sur 24 dans une cellule à deux ou trois, et qu’il n’y a pas toujours des activités ou du travail, cela joue sur le mental.
Marion Guémas, de l’ASBL I.Care
«En prison, ce n’est pas un endroit où on part du principe qu’on va faire de la thérapie pour rendre les gens mieux, on essaye surtout de faire en sorte que tout tienne et que les choses n’explosent pas. On agit souvent à l’urgence», note Jérôme Englebert, qui avait lui-même travaillé dans le passé comme psychologue clinicien à l’EDS de Paifve. C’est utopiste de penser que l’on offre les mêmes services de soins dans les prisons que dans la société.»
Les prisonniers bénéficient aussi souvent de services externes, non financés par le gouvernement, à l’instar d’I.Care, pour un accompagnement psychosocial et une aide à la réinsertion.
Surpopulation dans les prisons
Ce début de semaine, une grève du milieu carcéral de 48h battait son plein. La raison : une décision du ministre de la Justice de l’exécution des courtes peines en prison.
Pour de nombreux travailleurs et intervenants carcéraux, cette décision pourrait bien aggraver la surpopulation et la pénurie de personnel au sein des prisons belges. Un changement qui pourrait bien impacter les problèmes de santé mentale.
«Quand vous êtes enfermés 23 heures sur 24 dans une cellule à deux ou trois, et qu’il n’y a pas toujours des activités ou du travail, cela joue sur le mental», assure Marion Guémas.
Le partage des cellules avec des personnes qui ont des problèmes de santé mentale est parfois problématique. Le CCSP indique également que de nombreux prisonniers avec des problèmes psychologiques et psychiatriques étaient, en 2022, détenus dans des cellules ordinaires, et non adaptées à leur besoin. Pour les codétenus qui ne souffrent pas des mêmes problèmes, cela peut être particulièrement pesant mentalement, ce qui amène parfois à des tensions.
Pour la porte-parole de l’administration pénitentiaire, Valérie Callebot, il est important de noter que le problème de la surpopulation ne repose pas que sur le dos des prisons. «C’est une problématique plus générale, c’est toute la chaîne pénale qui doit être envisagée. Les détentions préventives sont assez longues, les condamnations peuvent prendre du temps. C’est multicausal et on ne peut pas pointer du doigt un seul des acteurs.»
Le manque d’agent pénitentiaire impact aussi la santé mentale des prisonniers. «Il n’y a pas assez d’agents pour faire toutes les tâches du quotidien, donc il y a régulièrement des préaux et des douches qui sautent et des repas distribués une fois par jour plutôt que trois, et tout ça agit sur la santé mentale», confirme Marion Guémas.
Pour pallier la surpopulation, quatre nouvelles prisons devraient voir le jour en Belgique d’ici 2030, ainsi que l’ouverture de maisons de détention et de transition. Au niveau du manque de personnel, Valérie Callebot rappelle qu’une campagne de recrutement est en cours pour embaucher des agents et des travailleurs de la santé dans les prisons belges.
Lila Maitre
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