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Selon les deux associations, les manquements des chasseurs du Conseil cynégétique Spa-Stavelot-Stoumont causent une surpopulation de gibier néfaste pour l’équilibre de la forêt. © BELGAIMAGE

Pourquoi des asbl de protection de l’environnement reprochent à des chasseurs… de ne pas assez chasser

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

La cour d’appel de Liège a rendu un arrêt favorable à deux asbl de protection de la biodiversité. Elles dénoncent le non-respect systématique du plan de tir confié à des chasseurs, engendrant une surpopulation du gibier en Ardenne.

«C’est une première en Wallonie», se félicite Alain Lebrun, l’avocat de deux asbl investies dans la protection de l’environnement, à savoir Ardennes liégeoises et l’Association du Val d’Amblève, Lienne et affluents (Avala). Dans un arrêt rendu ce 14 avril, la cour d’appel de Liège condamne, au pénal, le Conseil cynégétique de Spa-Stavelot-Stoumont à une amende de 3.200 euros avec un sursis de trois ans. Au civil, il confirme le versement d’une somme forfaitaire de 5.000 euros à titre de dommage moral subi par les asbl. Celles-ci reprochent à l’association de chasseurs de ne pas avoir atteint le quota minimal de prélèvements sur l’année 2021-2022, tel que fixé dans son plan de tir. Délivrés par le Département de la nature et des forêts (DNF) à différents titulaires de droit de chasse, les plans de tir visent à réguler la population de gibier.

A première vue, il peut sembler paradoxal que des défenseurs de la biodiversité s’inquiètent d’un manque d’activité de la part des chasseurs. Mais, dans les massifs forestiers de la vallée de l’Amblève, les cervidés et sangliers sont légion. En 2022, la commune de Stoumont s’est d’ailleurs dotée d’un règlement-pilote visant à interdire le nourrissage du grand gibier, qui conduit à une augmentation des populations. Un règlement conforté par le conseil d’Etat qui, en 2023, avait refusé la requête en suspension introduite par le Royal Saint-Hubert Club et le même Conseil cynégétique Spa-Stavelot-Stoumont.

Une menace pour la pérennité des forêts

Bien que l’arrêt de la cour d’appel de Liège ne porte que sur l’année 2021-2022, celle-ci relève que le conseil cynégétique n’a atteint «aucun des plans de tir établis par l’administration au cours des cinq dernières années». En conséquence, «les faits portent une atteinte sérieuse à l’équilibre cynégétique et aux lois de la chasse destinées notamment à assurer l’équilibre des populations de gibier.» De leurs côtés, les asbl ont en effet souligné les multiples nuisances qu’une telle surpopulation peut causer sur l’équilibre et la pérennité de la forêt. Alain Lebrun pointe trois atteintes à la biodiversité: la dévastation des semis naturels, l’écorçage par le gibier des troncs d’arbres en hiver, et les dégâts causés aux branches lorsque les cervidés les abaissent pour manger le feuillage.

Pour les associations, ces nuisances sont significatives: «Alors qu’il y a urgence de transformer nos forêts en forêts résilientes face aux changements climatiques, c’est-à-dire plus diversifiées avec de nouvelles essences mieux adaptées au climat de demain, la surdensité de gibier rend actuellement cette transformation impossible sur une grande partie du territoire du Conseil.» Le déséquilibre entre la grande faune et la forêt entraînerait par ailleurs «des efforts financiers toujours plus grands» pour regénérer cette dernière.

«Il y a beaucoup d’hypocrisie chez certains chasseurs: ils affirment qu’on a besoin d’eux, alors qu’ils ont créé une surpopulation, dans une logique de chasse aux trophées.»

Marc Dufrêne

Professeur au département Biodiversité, écosystème et paysage de Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège)

Une analyse que confirme Marc Dufrêne, professeur à Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège) et expert de la biodiversité wallonne. «Les cervidés, et en particulier les chevreuils, ne mangent pas toutes les espèces végétales avec la même appétence. Ils vont d’abord privilégier des espèces comme les érables et les frênes. Ce n’est qu’en dernier recours qu’ils vont s’orienter vers les hêtres. A Saint-Hubert, dans la vallée de la Masblette, on a dû intervenir pour réinstaurer un équilibre qui, avec une régulation du gibier suffisante, permettra de maintenir une diversité forestière intéressante.»

Le professeur se montre très critique à l’égard de certains conseils cynégétiques qui ne remplissent pas leurs fonctions depuis plusieurs années. «Ces chasseurs ont réclamé de pouvoir s’occuper de la régulation du gibier et désormais, les populations ont doublé, voire triplé. Il y a beaucoup d’hypocrisie chez certains d’entre eux: ils affirment qu’on a besoin d’eux, alors qu’ils ont créé une surpopulation avec le nourrissage et surtout, en tirant essentiellement les mâles, dans une logique de chasse aux trophées, plutôt que les femelles reproductrices.» Dans de nombreuses zones, la chasse s’apparente exclusivement à un business très lucratif, incitant les titulaires des droits à négliger la mission de régulation. En particulier lorsqu’il s’agit de familles de nobles et de grands industriels, dit-il. «Certains sous-louent des journées de chasse, poursuit Marc Dufrêne. Or, si un chasseur a payé 1.000 euros sa journée et n’a pas l’occasion de tirer sur quelque chose, celle-ci aura moins de succès. Il y a cinq ou six ans, j’essayais encore de comprendre, mais maintenant, c’est fini. Quand les plans de tirs ne sont pas respectés, l’administration devrait prendre le relais, ou mandater d’autres chasseurs. Par ailleurs, les associations de conservation de la nature et les représentants du tourisme sont loin d’être représentés dans tous les conseils cynégétiques

Un dommage moral pour les associations

L’intérêt de l’arrêt rendu à Liège ne porte pas tant sur les sommes à verser que sur les grands principes qu’il conforte. C’est visiblement la première fois qu’une cour condamne les manquements d’un conseil cynégétique vis-à-vis des plans de tir. Et bien qu’elle considère que les asbl ne peuvent revendiquer la réparation d’un dommage écologique, qui est un préjudice collectif, elle reconnaît que ces associations subissent un dommage moral. Les manquements du conseil cynégétique auraient en effet nui à leur objet social, à savoir la protection de l’environnement.

L’estimation d’un tel dommage est particulièrement complexe. «En Flandre, les tribunaux recourent à des méthodes d’évaluation, poursuit Alain Lebrun. En Wallonie, cela n’a pas encore été accepté. Dans le cas présent, la cour a peut-être estimé qu’une expertise aurait été trop longue et coûteuse par rapport à l’enjeu.» De son côté, l’avocat avait proposé qu’une somme de 13.200 euros soit retenue au titre de préjudice moral sur la saison de chasse 2021-2022, soit 200 euros pour chacun des cervidés supplémentaires qui auraient dû être abattus (66 au total). Mais la cour d’appel a considéré que la somme forfaitaire de 5.000 euros définie en première instance s’avérait « entièrement satisfaisante »».

Ce jugement n’exclut pas que la Région wallonne, en tant que représentante de la collectivité, demande éventuellement une réparation du dommage écologique en tant que tel. En 2021, la même cour d’appel de Liège avait déjà reconnu le principe de dommage écologique dans un dossier opposant notamment la Région à huit tendeurs. En France, le préjudice écologique est nettement mieux reconnu. Mais le cadre légal évolue peu à peu en Belgique. «Il y a deux mois et demi, une commission fédérale nommée sous l’ancienne législature, composée de juristes de haut vol, a commencé ses travaux pour ajouter la responsabilité pour préjudice écologique au code civil», conclut Alain Lebrun. Un tel changement amplifierait la fin de l’impunité vis-à-vis des dommages causés à la biodiversité, encore bien démunie.

Le Vif a tenté de joindre par téléphone l’avocate du Conseil cynégétique Spa-Stavelot-Stoumont, sans succès. Mais selon les éléments rapportés, ce dernier prévoirait de se pourvoir en cassation.

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