L'accusé Salah Abdeslam.

« On n’est pas des assassins, nous »: Abdeslam s’emporte au procès des attentats de Bruxelles

L’audience de ce mardi au procès des attentats de Paris était particulièrement tendue.

Les attentats perpétrés le 22 mars 2016 ne sont pas qu’une réaction aux bombardements de la Coalition internationale en Syrie : « l’objectif réel, c’est l’instauration de la charia dans le monde, écraser nos valeurs, c’est la haine de l’Occident, des autres« . « C’est ça, le véritable projet de l’accusé Bilal El Makhoukhi« , a assené mardi Me Olivia Venet, qui représente l’association de victimes Life4Brussels, devant la cour d’assises de Bruxelles.

Dans une ambiance houleuse, l’avocate a déroulé les éléments qui, pour la partie civile, doivent mener le jury à déclarer le septième accusé coupable de participation aux activités d’un groupe terroriste, d’assassinats et de tentatives d’assassinat dans un contexte terroriste.

La pénaliste a dressé le portrait d’une personnalité « inquiétante », qui n’a avoué que ce qu’il ne lui était plus possible de nier et encore complètement plongée « dans son idéologie salafiste« . Pour preuve, Me Venet a renvoyé aux écoutes, notes et témoignages de la Sûreté de l’État (VSSE). Les écoutes téléphoniques, effectuées au sein de la prison de Bruges en 2016, ont permis de faire le lien entre Bilal El Makhoukhi et un certain « Abou Imrane », cité dans des messages audio enregistrés par les kamikazes de l’aéroport Najim Laachraoui et Ibrahim El Bakraoui. C’est à cet Abou Imrane que la cellule a confié ses armes pour de futures actions. « Dans son interrogatoire du 9 avril 2016, Bilal El Makhoukhi avait nié avec arrogance et dédain : ‘Abou Imrane, ce n’est pas le nom sur ma carte d’identité. Enquêtez, faites votre travail. Je n’ai rien à voir avec ça' », a cité l’avocate. L’accusé reconnaîtra finalement que cet alias était bien son nom de guerre en Syrie. « C’est aussi parce qu’il y a des écoutes qu’il avoue avoir pris en charge les armes », a rappelé la pénaliste. « Dans ses aveux, il n’y a aucune spontanéité : il reconnaît ce qui est incontestable, il ne veut pas nous livrer la vérité. »

« L’exact profil du terroriste djihadiste »

Le 29 juin 2022, si l’accusé concède avoir déplacé les armes, il refuse d’indiquer où aux enquêteurs, a repris la pénaliste. « ‘Je ne vais pas vous le dire’. C’est ça, les aveux de M. El Makhoukhi. Alors, imaginez-vous l’angoisse des victimes de savoir que ces armes sont toujours dans la nature », a martelé Me Olivia Venet.

À sa mère, il avoue pourtant ses véritables motivations, a poursuivi la pénaliste : après la Syrie, il continuera à combattre en Palestine et jusqu’à ce que la charia domine le monde. « C’est l’exact profil du terroriste djihadiste.« 

« La défense va tout faire pour décrédibiliser ces écoutes, parce qu’elles sont gênantes », a poursuivi l’avocate. Ce n’est ‘pas carré’, selon M. Abrini. À la Sûreté de l’État, ce sont des ‘incompétents’. (…) Mais qui aurait dû empêcher les attentats au premier chef ? Ce sont eux dans le box ! C’est toujours la faute des autres. Vous qualifiez (les fonctionnaires de la VSSE, NLDR) d’incompétents ? », s’est-elle tournée vers le box. « Moi, je les qualifie d’assassins« , a-t-elle adressé au jury en désignant les accusés.

Une déclaration qui a vivement fait réagir l’accusé Salah Abdeslam. « C’est pas possible d’entendre ça », a-t-il lancé. « Ça fait six mois qu’on nous montre des images qui font froid dans le dos. Tous les jours, on entend : ‘les assassins sont là, les assassins sont là’. Mais on n’est pas des assassins, nous.« 

La pénaliste lui a alors rappelé que les parties civiles avaient leur mot à dire sur la qualification des faits. « Et c’est ce que je fais. Je demande aux accusés de regarder au fond d’eux-mêmes », a-t-elle ponctué.

« Absence totale de prise de conscience »

Dès lors, qu’on ne vienne pas dire à l’avocate que Bilal El Makhoukhi a agi « en réaction aux actes de la Coalition », a-t-elle repris. « Il y a sans doute de ça, mais, l’objectif réel, c’est l’instauration de la charia dans le monde« . Quand il passe aux aveux, « il change radicalement de posture » pour adopter une nouvelle ligne de défense, qualifiée d' »opportuniste » par la pénaliste. « Il se drape dans la légitimité du défenseur des veuves et orphelins qui souffrent en Syrie. Mais ce n’est absolument pas ce qu’il dit avant d’être convaincu par ses avocats de reconnaître » qu’il est bien Abou Imrane. « Et ça montre une absence totale de prise de conscience de la gravité de ses actes. Même quand c’est lui, ce n’est pas lui : c’est la faute des bombardements et des gouvernements impliqués dans ces bombardements en Syrie. »

Quand l’avocate a argumenté que la guerre en Syrie ne pouvait justifier la pose de bombes dans le métro et à l’aéroport, l’accusé est sorti de ses gonds. « Vous êtes une menteuse », lui a lancé Bilal El Makhoukhi. « Nous, on est les monstres ; elle, elle est la gentille », a-t-il ironisé, tout en étant rappelé à l’ordre par la présidente de la cour.

« Ils ont voulu aller en Syrie, c’est leur choix », a répliqué Me Venet. « Ils sont allés jouer les cowboys pour trouver un sens à leur vie. Les parties civiles, elles, n’ont pas eu le choix : ils leur ont imposé la violence. » L’État islamique a aussi commis des crimes de guerre en Syrie, a en outre pointé la pénaliste. « Plutôt que d’affronter sa responsabilité, on se pose en combattant, en défenseur des opprimés. Ce n’est pas facile de se regarder dans un miroir après les actes qu’ils ont posés. Mais sept ans après (les attentats, NDRL), il serait temps. »

Une poste de défense « insupportable »

L’avocate a ensuite renvoyé au rapport psychologique de Bilal El Makhoukhi. « Il n’a aucune empathie et très peu de capacité d’introspection. Et ça m’a frappée, car encore aujourd’hui, alors que les parties civiles l’ont appelé à présenter des excuses ou regrets, il a été incapable de le faire. » « Le seul moment où l’émotion a jailli, c’est quand on a parlé de sa mère : ‘ne parlez pas de ma mère’, a-t-il ordonné. Et les parents qui ont perdu des enfants, les enfants orphelins (du 22 mars 2016, NDLR), ça ne le touche pas ? Non, tout tourne autour de lui, de sa famille, de son monde. »

Bilal El Makhoukhi « justifie qu’on massacre des ‘mécréants’ pour rétablir la balance des atrocités« , a dénoncé Me Venet. « Cette posture de défense est insupportable, inaudible, indécente pour les victimes. » « Tuer des innocents choisis au hasard et instrumentalisés politiquement. C’est ça, leur proposition ? Et on s’arrête quand ? », s’est interrogée la femme de loi. « Mesurez ce que cela dit d’eux », a-t-elle lancé au jury.

Durant la plaidoirie, la présidente a dû intervenir à plusieurs reprises pour ramener le calme parmi les accusés. Le premier, Mohamed Abrini s’est agité alors que l’avocate citait une de ses déclarations. « Parlez d’El Makhoukhi », lui a-t-il enjoint. En fin de plaidoirie, l’homme au chapeau s’est encore échauffé. « Pourquoi vous ne concluez pas en parlant des victimes ? », a-t-il tout à coup lancé.

Sans se laisser démonter par les interventions intempestives de trois accusés, Me Venet a souligné que, quand viendrait le temps de parole dédié aux accusés, « on les écoutera attentivement. Et on ne les interrompra pas ».

Contenu partenaire