Nouveaux incidents au procès des attentats de Bruxelles: l’imbroglio est total

Le Vif

La présidente de la cour d’assises de Bruxelles a rendu, jeudi en fin de matinée, dans le procès des attentats du 22 mars 2016, deux arrêts déclarant que les avocats de deux accusés, qui étaient sans mandat, sont désormais commis d’office à la défense de leurs clients. Par ailleurs, la police a confirmé que les fouilles appliquées étaient nécessaires pour la sécurité, ce qu’un avocat de la défense dénonce toujours.

Me Jonathan De Taye, ancien conseil d’Ali El Haddad Asufi, est ainsi désormais commis d’office à la défense de ce dernier. Et Me Stanislas Eskenazi, ancien conseil de Mohamed Abrini, est désormais commis d’office à la défense de celui-ci. Tous deux ont dit respecter la décision de la présidente en ce sens. Le procès peut donc se poursuivre.

   Pour ces avocats, bien qu’ils soient maintenant contraints de continuer à représenter leurs clients, la problématique des conditions de transfert n’est pas résolue pour autant et aura un impact sur le bon déroulement du procès. Depuis le début des débats, les accusés détenus dénoncent être soumis, durant leur transfert de la prison au palais de justice, à des fouilles à nu durant lesquelles ils doivent faire des génuflexions pour exposer leurs parties intimes à la vérification des policiers. Le 29 décembre dernier, le juge des référés a estimé que ces fouilles, si elles sont systématiques et non motivées par une menace spécifique (risque de cacher une arme, risque d’évasion, etc.), sont dégradantes et donc interdites.

   Jeudi, les avocats ont affirmé que la police fédérale n’a pourtant pas produit la notification des fouilles à nu effectuées sur leurs clients mardi, le 3 janvier. Or, la police est désormais contrainte de motiver chaque décision de fouille à nu et de la notifier à l’accusé détenu concerné.

   Pour les 4 et 5 janvier, les notifications de ces fouilles ont bien été envoyées aux avocats, jeudi à l’aube, mais celles-ci sont en néerlandais. Or, le procès se déroule en langue française. Ces pièces sont donc actuellement traduites par un interprète à l’audience.

Les fouilles à nu sont nécessaires pour assurer la sécurité, affirme la police

Les interprètes se sont succédé jeudi matin pour traduire du néerlandais vers la langue de la procédure, le français, les analyses de risques fournies par la police aux avocats de la défense. Une analyse a été réalisée pour chaque accusé détenu, mais pour au moins cinq d’entre eux – les deux derniers devant être lus dans l’après-midi –, la police conclut son rapport par la nécessité d’effectuer des fouilles à nu, les autres mesures existantes ne permettant pas de repérer correctement les éventuels objets cachés dans des cavités corporelles.

Outre les condamnations antérieures des accusés, les risques d’évasion, leur radicalisme et pour la plupart leur agressivité et absence de respect pour la vie humaine, les cinq premiers rapports, des accusés Abrini, Krayem, Abdeslam, Ayari et El Haddad Asufi, font état de certains incidents antérieurs.

Le 7 décembre, lors du transfert depuis la prison de Haren, Mohamed Abrini se serait adressé, en arabe, à deux co-accusés (Krayem et Abdeslam), leur disant qu’il voulait « causer des problèmes ». Ces derniers lui auraient répondu que ce n’était pas « le bon moment » et qu’il devait « attendre la fin de la lecture de l’acte d’accusation », qu’ils agiraient alors simultanément. Le même jour, Abrini aurait parlé de cacher un couteau, et lancé en sortant du box des accusés que « ce n’est pas comme ça qu’on traite les serviteurs d’Allah ». 

Le lendemain, des incidents ont été notés avec Salah Abdeslam et Ali El Haddad Asufi lors des fouilles. C’est ce jour-là que le deuxième avait affirmé avoir subi des violences policières, dont notamment un étranglement. Selon le rapport d’analyse de risques de la police, l’accusé, a d’abord refusé d’entrer dans le local de fouilles, en se tenant à la porte et a simulé une asphyxie. Il se serait ensuite laissé tomber au sol à plusieurs reprises, jusque dans le fourgon de police.

   La lecture des analyses de risques pour les accusés détenus Bilal El Makhouki, seul accusé présent dans le box ce jeudi, et Hervé Bayingana Muhirwa, doit reprendre à 14h.

« Ce qu’il y a dans ces rapports c’est un tissu de contre-vérités » 

L’avocat de l’accusé Ali El Haddad Asufi, Me Jonathan De Taye, a contesté le contenu du justificatif de la fouille à nu de son client réalisée jeudi matin. « Ce qu’il y a dans ces rapports c’est un tissu de contre-vérités », a commenté le pénaliste, jeudi à la mi-journée, lors d’une suspension d’audience au procès des attentats du 22 mars 2016 devant la cour d’assises de Bruxelles.

« Ils prennent même l’agression de mon client comme justificatif de la fouille », a-t-il dit. Le 8 décembre dernier, Ali El Haddad Asufi avait déclaré avoir été étranglé puis jeté au sol par les policiers lors de son transfert de la prison au Justitia. Un médecin légiste avait été requis à la cour d’assises pour constater ses blessures et en faire un rapport oral. Le justificatif de la police fait, lui, état de ce que El Haddad Asufi a simulé une asphyxie et s’est jeté de lui-même au sol.

   Me De Taye a rappelé qu’il avait déposé plainte au parquet de Bruxelles pour ce fait. « J’en suis à cinq rappels au parquet, qui ne bouge pas », a-t-il déclaré.

   De plus, pour l’avocat d’El Haddad Asufi, ces justificatifs contiennent « des fichages qui sont en fait des fichages unilatéraux de la police et ne correspondent à aucune réalité ».

   Enfin, Me De Taye s’est exprimé sur le fait qu’il s’est retrouvé, jeudi, sans mandat pour représenter son client, après quoi la cour l’a alors désigné « commis d’office » à la défense d’Ali El Haddad Asufi. « Vous êtes face à un cas de conscience où, en restant présent en qualité d’avocat vous mettez le cachet de l’État de droit sur la procédure, alors que tout ne va pas bien, qu’on a des accusés qui ne comparaissent pas parce qu’il y a un dispositif policier qui est contraire à la Convention européenne des droits de l’homme et qui ne respecte pas une décision de justice toute récente », a-t-il expliqué.

   « Donc si je suis là, j’ai l’impression d’être complice de la voie de fait du ministre de la Justice. En même temps, si on écoute sa conscience et qu’on part, le procès est paralysé et on va encore pointer les avocats de la défense, alors que le seul responsable c’est le ministre de la Justice. »

« Nous sommes rassurés par l’efficacité de la police » 

L’une des victimes des attentats, Philippe Vandenberghe, s’est dit « rassurée » après avoir entendu les justificatifs des fouilles des accusés, rédigés par la police. Ces justificatifs, dressés en néerlandais, ont été traduits en français à l’audience, jeudi matin, devant la cour d’assises de Bruxelles qui examine le dossier des attentats du 22 mars 2016. Tout document rédigé dans une autre langue que le français doit en effet être traduit. C’est la loi qui l’impose, compte tenu du fait que la procédure se tient en langue française.

« Vu la dangerosité des personnes et vu l’actualité qui a été faite de la police, qui rappelle qu’en effet des choses inquiétantes étaient en préparation, nous sommes rassurés par l’efficacité de la police », a déclaré Philippe Vandenberghe, lors de la suspension d’audience jeudi à la mi-journée.

   « Cela prend du temps pour avoir les justifications des mesures prises [étant donné la traduction], et les explications de la nouvelle directive, mais c’est très éclairant sur les choses qui se sont passées récemment », a-t-il ajouté.

   Ces justificatifs des fouilles à nu, remis par la police fédérale jeudi, font état d’incidents divers au sujet des accusés détenus qui, selon elle, explique donc les fouilles intimes.

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