L’émir, les armes et la mécanique de l’horreur: ce que le procès des attentats de Bruxelles peut nous apprendre
Le procès des attentats de Bruxelles permettra-t-il de colmater les brèches du dossier et de trouver l’arsenal que les terroristes avaient constitué en prévision d’autres attaques? La seule certitude à ce stade, c’est que nul ne sait entre quelles mains se trouvent ces armes de guerre.
Six ans et demi après les attentats les plus meurtriers qu’a connu la Belgique, la cour d’assises de Bruxelles est enfin prête à entamer l’examen de ce dossier titanesque. Les impératifs logistiques liés à l’organisation d’un tel procès et au nombre de parties concernées l’ont contrainte à déménager sur l’ancien site de l’Otan, à Haren. Et c’est à la juge Laurence Massart que revient la lourde tâche de veiller à la bonne tenue des débats. La présidente de la cour d’appel de Bruxelles n’en est pas à son premier procès «terro». Elle avait déjà présidé celui de l’attentat du Musée juif de Belgique, en 2019, à l’issue duquel Mehdi Nemmouche écopa de la réclusion à perpétuité.
On va lui laisser la dernière adresse qu’on a, ainsi que les armes, vu qu’on va pas les utiliser.
Dans les boxes, neuf accusés font face aux jurés. La plupart d’entre eux – Salah Abdeslam, Mohamed Abrini, Ali El Haddad Asufi, Osama Krayem et Sofien Ayari – ont déjà été condamnés pour leur implication dans les attentats de Paris. Présumé mort, Oussama Attar, le dixième accusé, sera représenté par un avocat.
Le procès, qui devrait durer au moins huit mois, est très attendu par les 960 parties civiles originaires de 19 pays. L’enjeu, pour elles mais aussi pour la société, est de comprendre comment les terroristes sont parvenus à mettre leur plan à exécution et quel a été le rôle de chacun dans la planification, la préparation et la commission des attaques. Les attentats de Bruxelles étant la continuité de ceux du 13 novembre 2015, on a déjà appris beaucoup de la genèse et de l’organisation de la cellule terroriste. Mais certainement pas tout. Au procès de Paris, les accusés ont apporté des explications mais sur certains pans du dossier seulement. Ils ont fourni des aveux, mais incomplets, et formulé des regrets, sans réellement convaincre.
Ce qui échappe encore à la justice, c’est la question des armes. Neuf mois d’audience n’ont pas permis de déterminer la provenance de celles utilisées au Bataclan et sur les terrasses parisiennes. Même embarras dans le dossier bruxellois mais avec une inquiétude particulière puisque ces armes, non utilisées, se sont volatilisées.
Confiées à Imrane
Lors de la perquisition menée, le 22 mars, dans l’appartement conspiratif de la rue Max Roos, à Schaerbeek, les enquêteurs étaient tombés sur dix à quinze kilos de TATP prêt à l’emploi, des bidons d’acétone (précurseur permettant de fabriquer les explosifs), une vingtaine de détonateurs et des munitions de calibres différents, dont celui du pistolet retrouvé à côté du cadavre de Laachraoui. Il ne s’agit là que d’une partie de l’arsenal. Des photos prises par les terroristes attestent de la présence d’armes longues dans l’appartement schaerbeekois, ainsi que de grenades et d’explosifs.
Que sont-elles devenues? Dans un message audio daté du 21 mars, extrait du PC abandonné par les terroristes dans une poubelle de la rue Max Roos et destiné à Abou Ahmed (l’un des surnoms d’Oussama Atar), Najim Laachraoui explique que lui et ses complices doivent «travailler le plus vite possible» car ils n’ont «plus de planque de sécurité». Celui qui actionnera le lendemain l’une des deux bombes dans le hall des départs de Zaventem poursuit son inventaire: «L es armes non utilisées vont être cachées pour toute suite éventuelle et confiées à Imrane», un frère de confiance qui a travaillé avec eux, expose-t-il.
«On va lui laisser la dernière adresse qu’on a, ainsi que les armes, vu qu’on va pas les utiliser. On va les mettre dans sa cache, si jamais d’autres frères [veulent s’en servir après nous]. […] Donne-lui les instructions qu’est-ce qu’il doit faire avec.» Pour les enquêteurs, ce frère de confiance ne peut être que Bilal El Makhoukhi, l’un des neuf accusés.
Parti pour la Syrie en octobre 2012, Bilal El Makhoukhi a participé aux combats aux côtés d’Abdelhamid Abaaoud. Blessé, il avait dû être amputé sous le genou droit à son retour en Belgique. On sait que Bilal El Makhoukhi s’est rendu dans l’appartement de la rue Max Roos. C’est lui aussi qui serait intervenu auprès de son coaccusé, Hervé Bayingana Muhirwa, pour qu’il accepte de loger Osama Krayem et Mohamed Abrini. Ce qui le désigne également, ce sont les conversations enregistrées par la Sûreté de l’Etat entre Mohamed Abrini et Medhi Nemmouche, alors qu’ils étaient écroués ensemble à la prison de Bruges, en 2016. Celui qui a renoncé à se faire exploser à Zaventem affirme que «Laachraoui a laissé les armes à Abou Imrane». «Et tu sais c’est qui? C’est celui qui a été arrêté avec une jambe en moins.»
Le rôle dans la logistique d’un autre accusé, Ali El Haddad Asufi, doit aussi être clarifié. L’enquête révèle qu’il aurait apporté son aide à Ibrahim El Bakraoui, qui fournissait les armes. Après les attentats de Paris, il a pris contact à plusieurs reprises avec un cousin résidant aux Pays-Bas et actuellement poursuivi pour vente d’armes en relation avec une entreprise terroriste. D’autres pistes encore ont été évoquées mais, à ce stade, elles n’ont rien donné. La seule certitude, c’est que ces armes de guerre sont toujours dans la nature. Nul ne sait entre quelles mains ni à quoi elles sont destinées.
«C’est toi qui décides, émir»
L’exploration du PC retrouvé rue Max Roos a aussi permis d’identifier des cibles potentielles: usines à risque, centrales nucléaires, stade de foot, ainsi que la rue de la Loi (fichier retrouvé dans la corbeille). Des photos de sites tels que la caserne de Flawinne, l’hôpital Militaire de Neder-over-Heembeek, des cafés-concerts ou encore le musée de la radiologie, ont également été retrouvées. D’autres cibles potentielles, situées en France cette fois, sont systématiquement associées à un modus operandi d’attaques (drones, attentats-suicides, fusillades…). Il reste difficile d’évaluer si ces projets étaient déjà sur les rails ou s’ils sont restés à l’état embryonnaire.
Autre zone d’ombre dans ce dossier: le rôle joué par Oussama Atar dans la planification des attentats et des autres opérations que les terroristes envisageaient de mener. Considéré comme mort, sa responsabilité ne peut être confirmée que par les autres accusés et par les quelques éléments recueillis au cours de l’enquête.
Dans l’enregistrement du 21 mars, on peut entendre Najim Laachraoui dire à Abou Ahmed qu’il va lui envoyer leurs testaments. Dans un autre extrait, il lui expose les plans de la cellule, ponctuant son intervention d’un «Après tu vois, c’est toi… Ça reste toi l’émir, C’est toi qui décides». Son nom apparaît en outre dans l’organigramme de la cellule des opérations extérieures de l’Etat islamique. Il aurait par la suite été désigné responsable de la planification des attentats en Europe. Selon Osama Krayem, Atar était en contact direct avec Mohammed al-Adnani, le «ministre des Attentats» de l’EI. Quelques jours avant les attaques de Paris, enfin, Khalid El Bakraoui se serait rendu brièvement en Syrie, où il aurait rencontré Atar et al-Adnani. Une rencontre dont on ne connaîtra jamais les tenants et aboutissants, les trois participants n’étant plus de ce monde.
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