Le prix de la douleur: comment indemniser les victimes des attentats de Bruxelles? (enquête)
Devant la cour d’assises, les victimes des attentats du 22 mars ont eu des mots durs à l’égard des assurances. Elles dénoncent un système lent, opaque et froid.
Alors qu’en mars dernier a resurgi, portée par la voix des survivants, la tragédie des attentats de Bruxelles et que l’on retrouve, en les écoutant, le souvenir presque intact de ces heures de sidération, il peut sembler déplacé de poser ces questions: quel prix donner à la douleur? ; quelle indemnisation pour les victimes, pour la la famille d’Yves Cibuabua-Ciyombo, 27 ans, tué dans l’explosion de la station Maelbeek, époux et père de deux enfants? ; quelle réparation accorder à Pierre et Chantal Bastin dont la fille cadette, Aline, 29 ans, est décédée dans la rame? ; laquelle attribuer à Abdallah Lahlali, bagagiste à l’aéroport, amputé de la jambe gauche, qui n’a toujours pas bouclé son parcours d’indemnisation en tant que victime survivante? ; combien vaut un mari, un enfant, une jambe, un équilibre psychique, le sommeil, l’insouciance, un revenu perdus?
Devant la cour d’assises de Bruxelles, où se tient, depuis décembre dernier, le procès des attentats du 22 mars 2016, la thématique a percé d’abord dans un témoignage. Puis un deuxième, un troisième… jusqu’à devenir un fil rouge du récit tissé par les parties civiles, entendues durant quatre semaines. A la barre, rescapés et proches endeuillés ont raconté les sinuosités rencontrées dans leur démarche auprès des compagnies d’assurances, chargées d’indemniser leurs préjudices corporels et psychiques.
Karen Northshield, 37 ans, présente à Zaventem, évoque ses déboires avec les assureurs: «Il est complètement absurde de devoir encore, sept ans après, justifier et prouver mes séquelles, traumatismes, dégâts et dommages par de nouvelles évaluations et expertises, encore et encore.» Elle est la victime qui a passé le plus de temps aux soins intensifs: 79 jours. Et, au total, trois ans et demi à l’hôpital. La bombe lui a pulvérisé la hanche gauche, une jambe, abîmé les intestins, brûlé les mains. Elle a subi l’ablation de la rate et de l’estomac. Des pièces métalliques sont à jamais logées dans son corps. A la violence des faits s’ajoute la violence de son parcours, de son «second combat», celui de l’expertise et de l’indemnisation. «Je fais face seule car trop peu est mis en place pour faciliter un retour “à la vie normale” et aider les victimes dans leur cheminement d’indemnisation.»
Walter Benjamin, 55 ans, présent à Zaventem, parle d’un «abandon». «On nous a mis entre les mains des assureurs, qui continuent à se foutre de nous. Il n’y a aucun suivi, on doit tout faire par nous-mêmes.»
Refermer un chapitre
Les rescapés sont presque unanimes: la prise en charge des victimes par les organismes d’assurances a été une épreuve. Une étape administrative censée les aider et qui, de façon paradoxale, complique leurs tentatives de reconstruction. «L’important, au final, ce ne sont pas les montants des indemnités mais le fait qu’on ne puisse pas refermer ce chapitre, déclare Walter Benjamin. Chaque jour, on nous demande des documents complémentaires pour les assurances.» Amputé, il évoque également sa prothèse, devenue obsolète, qu’il faut remplacer, et le silence, jusqu’à ce jour, de l’assurance de l’aéroport.
Le 22 mars, à Maelbeek, Orphée Vanden Bussche, 40 ans, était à quelques mètres de la bombe. Elle en est sortie la chevelure brûlée, l’audition définitivement diminuée et un bras abîmé. A la présidente de la cour d’assises, elle décrit son sentiment d’avoir été «méprisée» lors d’expertises. «Vous voyez un médecin pour votre main, puis un autre pour votre coude, puis un autre pour votre épaule. Au total, trois médecins pour votre bras, en sachant qu’il faut trois mois pour prendre chaque rendez-vous. Il faut à chaque fois prouver l’état dans lequel je me trouve.»
Séquelles invisibles
D’autres victimes font le même récit. Celles-ci n’ont pas été touchées «physiquement», alors qu’elles étaient «juste à côté». Leurs séquelles sont invisibles. «Les terroristes n’ont peut-être pas réussi à me tuer physiquement mais psychologiquement, oui», déplore Sylvie Ingels, 50 ans. Elle se trouvait dans le hall des départs quand les deux bombes ont explosé. Sept ans plus tard, elle prend encore des antidépresseurs et des somnifères. Elle liste ses troubles: acouphènes, migraines, une inquiétude accrue dans son quotidien. Elle aussi s’est indignée de l’attitude des médecins experts, auprès de qui il faut tout justifier, discuter, prouver. «Ont-ils la moindre idée de ce que le blast (NDLR: le souffle de l’explosion) a comme impact sur le corps humain?», dit-elle, dénonçant le combat sans fin pour la reconnaissance et l’humiliation subie.
«Les terroristes n’ont peut-être pas réussi à me tuer physiquement mais psychologiquement, oui»
Sylvie Ingels, 50 ans
Leila Maron pointe également l’«irrespect» des assureurs «qui ne semblent pas prendre la mesure du préjudice». Survivante de Maelbeek, extraite de la deuxième rame sans blessures apparentes, des symptômes de stress post-traumatique persistants l’obligent aujourd’hui à télétravailler quasi exclusivement. «Leur expertise, c’est de respecter le moins possible les victimes et leurs droits.» Elle livre aussi ces commentaires sur ses difficultés à tomber enceinte alors qu’il aurait suffi «qu’elle arrête de ressasser». Elle souffre également d’acouphènes, d’hyperacousie, de fatigue chronique et porte la culpabilité d’être encore là pour témoigner de tout cela. Cette «chance inouïe d’être vivante», elle la doit à certaines personnes décédées dans la rame qui ont servi de «bouclier humain entre elle et cette foutue bombe».
A la barre, il y a aussi les victimes indirectes, «par ricochet», qui regroupent les proches endeuillés et les témoins des souffrances de l’être aimé. Leurs douleurs sont restées longtemps dissimulées, refoulées. Aujourd’hui, elles sont parfois confrontées à des suivis psychologiques et des conséquences professionnelles lourdes. Loubna Selassi, 40 ans, épouse d’Abdallah Lahlali, raconte qu’ils ont été «examinés sous toutes les coutures et soupçonnés du pire». Durant six mois, son mari restera sans prothèse, les assurances refusant la prise en charge. «Ce n’est pas un traitement digne d’une victime de terrorisme.» Sept ans plus tard, les expertises médicales ne sont pas clôturées. «Cela fait sept ans que nous n’avons pas vu nos enfants grandir, sept ans qu’on balade mon mari pour des expertises comme un rat de laboratoire.» A l’automne dernier, Loubna Selassi a réalisé qu’elle était «à bout», qu’elle avait besoin d’aide. «J’ai honte d’exprimer mon mal-être. Comment pourrais-je me plaindre alors que j’ai encore mes deux jambes?»
Une question de considération
Si la cour d’assises, incompétente sur la question de la réparation financière, n’est pas le lieu, «quand on parle de vérité, on ne peut pas faire l’économie de l’évocation du secteur assurantiel», souligne Valérie Gérard, avocate et membre de Life4Brussels, dont la nièce est décédée à Maelbeek. Ce n’est pas seulement la question financière qui se joue, c’est aussi celle d’une considération. «En droit belge, il n’y a pas d’autre forme de réparation d’un préjudice corporel que l’allocation d’une somme d’argent.» A ce jour, 65,7 millions d’euros ont été versés aux victimes des attentats, dont 56,5 millions pour des dommages corporels et moraux.
En revanche, il demeure des dossiers non clôturés, soit parce que l’expertise médicale n’est pas encore définitive, soit parce que la procédure d’indemnisation amiable se poursuit. Cette réparation financière repose en effet sur un processus de négociations, au cas par cas, avec les compagnies d’assurances. S’il achoppe, la victime peut saisir le tribunal de première instance. Jaana Mettälä, rescapée du métro, était enceinte de six mois lors de l’explosion. Elle a subi de graves brûlures au visage, aux jambes et aux mains mais elle et son bébé ont survécu. En 2019, son pourcentage d’invalidité, octroyé lors de la première expertise médicale, a été revu à la baisse, alors que physiquement, son état ne s’était pas réellement amélioré, et que psychiquement, c’était pire: sa seconde grossesse la replonge dans son traumatisme. Elle entend désormais porter son dossier au civil. Pour elle, il ne s’agit pas d’argent mais de «droits». «Il y a une lourdeur, un effort, parfois une culpabilité, à saisir la justice», ajoute Valérie Gérard.
Le calcul des indemnités
La vie d’un être cher, le quotidien qui ne sera plus jamais le même, tout cela est évidemment irréparable. L’Etat doit pourtant réparer. Il s’y est engagé, avec cette particularité qu’il a transféré cette charge aux assurances privées. Mais qu’est-ce qu’une juste réparation? Comment quantifier l’inquantifiable?
Pour calculer une indemnité, les médecins experts analysent les répercussions (médicales, économiques, sociales…) de l’attentat sur la vie de la personne. Ils passent en revue des «postes de préjudices», définis par la jurisprudence, c’est-à-dire des décisions des tribunaux – une telle liste n’existe pas dans la loi –, liés aux blessures physiques, psychologiques ou encore aux pertes financières résultant de l’explosion. Cette «nomenclature» s’est imposée comme un outil de référence: préjudices temporaires ou permanents, personnel (essentiellement le dommage moral), ménager (l’aptitude à effectuer des activités d’ordre domestique), professionnel, sexuel, esthétique, d’agrément (l’impossibilité de pratiquer une activité sportive ou de loisirs), les souffrances endurées (qui vont perdurer jusqu’à la «consolidation», cet état de stabilisation considéré comme définitif) (lire l’encadré sur le sujet).
«Nous sommes face à des experts froids. Un médecin a jeté un bic à terre pour voir si j’étais capable de le ramasser»
Orphée Vanden Bussche
Pour chaque poste de préjudice, les médecins experts fixent un degré d’invalidité personnelle. De l’avis unanime, son évaluation se révèle l’étape la plus difficile. Un expert est chargé d’estimer le «différentiel», de comparer l’avant et l’après. «Les victimes ne comprennent pas pourquoi il leur parle moins de l’attentat et du trauma que de la vie d’avant», résume Philippe Vansteenkiste, directeur de V-Europe, l’association pour les victimes de terrorisme, dont la sœur est décédée à Zaventem. «Nous sommes face à des experts froids. Un médecin a jeté un bic à terre pour voir si j’étais capable de le ramasser», a ainsi témoigné Orphée Vanden Bussche à la barre. Des victimes à qui l’on dit qu’elles ne vont pas si mal que ça, parce qu’elles ont arrêté les médicaments, parce qu’elles sont parties en vacances ou encore parce qu’elles arrivent à travailler. Face à ces plaintes concernant des experts jugés parfois trop brutaux, Assuralia, la fédération du secteur, s’est engagée à sensibiliser les médecins experts à davantage de transparence et d’empathie.
Ayants droits
Le parcours est long et éprouvant, surtout parce qu’il se répète et que les expertises s’enchaînent. Ainsi, le statut de victime ouvre également un droit à la pension de dédommagement et aux remboursements de certains frais médicaux pour les victimes directes, les ayants droit d’une victime décédée et les victimes indirectes jusqu’au deuxième degré, c’est-à-dire les petits-enfants, les grands-parents, les frères et sœurs, les conjoints des frères et sœurs. Pour justifier sa qualité de victime, tout doit être prouvé et vérifié: sa présence sur les lieux et sa proximité avec les explosions. Un «témoin malheureux» qui a été confronté à la scène ne sera pas considéré comme une victime directe. Dans la loi, le périmètre des ayants droit est soit le conjoint survivant, ou le cohabitant légal ou de fait, et les enfants à charge au moment de l’attentat. Dans la pratique, son application semble complexe et la loi peu connue des victimes. Une mère dont le fils est décédé s’est vu refuser une pension parce qu’elle était sa mère et non son épouse ou sa compagne. Or, le texte n’évoque pas la notion de couple.
A ce jour, le statut de victime d’acte terroriste a déjà été accordé à près de 880 victimes directes et une soixantaine d’ayants droit se sont manifestés. La pension varie de 200 euros à 2 000 euros mensuels, selon le pourcentage d’invalidité.
Et voilà, rebelote pour calculer le degré d’invalidité. Car pour que la pension soit accordée, il faut un taux minimal d’invalidité de 10%. La victime doit alors à nouveau subir des expertises médicales auprès des médecins conseils de l’Office médico-légal de l’Etat. Les expériences sont, là aussi, parfois rudes. A la cour d’assises, Roberto Spitzer, présent dans la zone 11 lors des explosions, a témoigné de violences durant ses échanges médicaux. «Ils nous ont traités de menteurs. Ils étaient toujours très agressifs et pas compréhensifs. Mais les victimes, on n’est pas des menteurs, on vient de traverser l’enfer. On ne souffre pas d’une grippe.» Sept ans plus tard, il souffre encore de problèmes urinaires et la douleur est «toujours vive». Au bout de plusieurs procédures, un taux d’invalidité de 13% lui a été octroyé.
Les oubliés du 22 mars
C’est une question récurrente: jusqu’où est-on victime des attentats? Peut-on aller au-delà du lien de parenté ou d’alliance? Jusqu’au deuxième degré inclus, cela s’applique sans trop de contestation. Indemniser la cousine, le neveu, l’ami, la petite amie endeuillés? D’autres personnes peuvent en effet revendiquer une indemnisation s’il est «établi qu’elles avaient un lien affectif spécifique avec la victime». C’est une bataille, c’est compliqué et on n’obtient rarement gain de cause. En revanche, un sauveteur occasionnel qui n’a pas été blessé et qui a porté assistance a le droit de se constituer partie civile. C’est le cas de Gaëtan Meuleman. Ancien infirmier urgentiste, il a été intervenant volontaire au poste médical avancé installé à l’hôtel Thon, à proximité de la station Maelbeek. Ce «témoin courageux» a pu également solliciter une aide financière auprès du SPF Justice. L’aide financière est une indemnisation qui permet de couvrir le dommage moral, la perte de revenus, les soins de santé, les frais d’avocat ou encore les frais funéraires.
Les victimes directes – qui, elles, doivent une fois encore se soumettre à une expertise médicale –, indirectes et les sauveteurs occasionnels y ont droit. Elle est plafonnée à 125 000 euros mais, surtout, elle est subsidiaire. La commission d’aide financière ne garantit pas une indemnisation complète. Elle tient compte des possibilités d’indemnisation par d’autres organismes, comme les assurances et les mutualités. A ce jour, 1 645 demandes d’aide financière ont été introduites. Le montant est estimé à 1 892 000 euros d’aide urgente et 4 323 083 euros d’aide principale.
«Il faut simplifier le parcours, faire en sorte que la victime n’ait pas à réclamer ses droits»
Valérie Gérard
Les victimes se perdent souvent en allers-retours entre les organismes d’assurances, la mutuelle, l’assurance soins de santé et indemnités (Inami), l’Office des pensions, etc. D’autres ignorent ce à quoi elles ont droit. «Ce qui manque, c’est un meilleur accompagnement dans le parcours administratif des victimes. Il faut simplifier le parcours, faire en sorte que la victime n’ait pas à réclamer ses droits», déclare Valérie Gérard, qui pointe par ailleurs des victimes oubliées. D’abord, les enfants blessés ou orphelins de parents. Pour ceux-là, il n’existe aucun statut ni reconnaissance, à l’inverse de la France, où ils sont désormais «pupilles de la nation». Jusqu’à 21 ans, ce statut procure des moyens d’existence et un soutien moral. Ensuite, les premiers intervenants, secouristes, pompiers ou policiers qui, bien souvent, demeurent à jamais marqués psychologiquement. L’Etat ne leur a accordé ni statut ni indemnisation complémentaire. «Aujourd’hui, je suis conscient que j’ai fait du mal à ma famille, confie Gaëtan Meuleman. Je me suis séparé de ma compagne, la mère de mes enfants. Je suis devenu asocial, j’ai perdu contact avec tous mes amis de l’époque. Il a fallu qu’un psychologue mette les mots sur ce que j’avais, à savoir un stress post-traumatique. Personne n’est sorti indemne des attentats…»
Quel montant pour quel dommage?
Chaque poste de préjudice doit trouver un équivalent monétaire. A défaut d’une loi, les assureurs, les juges et les avocats disposent pour l’estimer d’un «tableau indicatif», établi par l’Union des magistrats de première instance et par l’Union royale des juges de paix et de police. Celui-ci n’est pas contraignant ; c’est une sorte de baromètre. On peut aller au-delà, selon la situation personnelle, et c’est ce qu’ont fait les assureurs, selon Assuralia. Ainsi, pour la perte d’un (e) partenaire, le dommage moral s’élève à 15 000 euros, celle d’un fils aussi, mais moins s’il avait quitté le domicile parental, c’est-à-dire 6 000 euros. Celle d’une sœur «vaut» deux fois moins: 3 000 euros, si la fratrie vit ensemble, sinon, c’est 1 800 euros.
Le préjudice esthétique, lui, est variable. Tout dépend de la localisation de la blessure, de l’âge, du sexe ou encore de l’activité professionnelle. Plus on est jeune, plus on est indemnisé et, évidemment, plus le préjudice est estimé grave, plus on est dédommagé. Cela varie donc de 115 euros à 30 000 euros. Pour une année scolaire perdue, le tarif est de 400 euros si on est écolier, 2 500 euros si on est étudiant. Mais si cette année perdue entraîne une déprime, une frustration, on peut demander plus et c’est 3 750 euros – et, le plus souvent, on l’obtient. On peut aller plus loin si cette perte cause un retard dans la progression de la future carrière professionnelle. L’incapacité ménagère se monte à 20 euros par jour, 27 euros si on a un enfant, 34 euros, si on en a deux.
Vide juridique et taxe «attentat»
Face aux critiques concernant la procédure d’indemnisation longue et éprouvante, Assuralia, l’union professionnelle des entreprises d’assurances, a réagi en promettant d’indemniser à l’avenir le préjudice moral au plus tard un an après l’attentat, y compris en cas de lésions complexes. Elle s’engage également à simplifier et à accélérer le processus. Désormais, un seul organisme centralise l’expertise médicale, afin que les victimes ne doivent plus enchaîner d’examens médicaux auprès de différents assureurs.
Dans les cartons, un avant-projet de loi se dessine également. En 2018, le gouvernement s’est, lui aussi, engagé à ce que toutes les victimes blessées et les proches de victimes décédées soient indemnisés par une assurance, quel que soit le lieu de l’attentat et le modus operandi des terroristes. De fait, si les rescapés de Maelbeek et de Zaventem ont pu être indemnisés, c’est parce que tant la Stib que l’aéroport ont l’obligation d’assurer le lieu accessible au public contre l’incendie et l’explosion. Mais si les terroristes avaient tiré sur la foule, rien. Jusqu’à ce jour, rien n’est en effet prévu si des kamikazes devaient tirer sur la foule à la Kalachnikov un samedi sur la Grand-Place de Bruxelles, par exemple. Peu de personnes seraient sur le chemin du travail (ce qui permet la qualification en accident du travail). Et les victimes ne seraient pas indemnisées par une compagnie d’assurances. Elles ne pourraient se tourner que vers l’aide financière du SPF Justice, plafonnée à 125 000 euros. Suffisante en cas de blessures légères, assurément maigre en cas de lourds dommages. Aussi les proches des quatre victimes de l’attentat au Musée juif de Belgique, à Bruxelles, n’ont-elles pu prétendre à la moindre indemnisation auprès d’un assureur, parce que Mehdi Nemmouche avait utilisé une arme à feu. De même, lors de la fusillade à Liège, en 2018, les proches des deux policières ont été indemnisés, parce qu’elles étaient au travail, comme les proches du jeune homme tué dans sa voiture, par le biais de son assurance automobile. Mais si ce dernier avait été tué sur le trottoir, ils n’auraient pu s’adresser à aucun assureur.
En revanche, la principale demande des victimes du 22 mars n’est pas entendue: celle d’un fonds public d’indemnisation géré par l’Etat. Pour elles, c’est l’Etat, à travers ces innocents, qui est attaqué. Surtout, elles craignent que les victimes d’actes terroristes futurs soient seules face aux assureurs et doivent accepter des indemnisations moins importantes. L’Etat, lui, estime ne pas avoir les moyens. Faux, répondent V-Europe et Life4Brussels, soutenus par des avocats, DéFI ou encore Les Engagés. Ce fonds existe en France et dans d’autres pays européens. Et ce fonds, ce sont les citoyens qui l’alimentent par un prélèvement forfaitaire obligatoire sur tous les contrats d’assurance de biens: 5,90 euros par an. C’est la «taxe attentat». Ou dit autrement, «un effort de solidarité légitime et justifié, car le terrorisme est, en soi, aveugle», selon Philippe Vansteenkiste, directeur de V-Europe.
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