Julie Van Espen
Julie Van Espen © Belga

Jeune fille tuée et violée à Anvers: « L’Etat belge peut être condamné comme n’importe quel citoyen »

Celine Bouckaert
Celine Bouckaert Journaliste au Vif

La semaine dernière, les parents de Julie Van Espen, la jeune femme violée et assassinée en mai 2019 à Merksem, Anvers, ont décidé d’attaquer l’Etat belge en justice. Ils estiment que leur fille seraient encore en vie si la justice avait fonctionné correctement. « Les pouvoirs publics ne sont pas hors la loi », rappelle l’avocat spécialisé en droit public Michel Kaiser.

Steve Bakelmans avait traîné Julie Van Espen de son vélo à Merksem le 4 mai 2019. Il l’avait battue, violée et étranglée. D’abord trois fois à mains nues, puis avec un câble électrique. Il avait ensuite enveloppé son corps dans du plastique, l’avait lesté de sable et l’avait jeté dans le canal Albert, où il a été retrouvé deux jours plus tard.

L’assassinat de la jeune femme avait provoqué une importante vague d’émotions et d’indignation, car le meurtrier, aurait dû se trouver derrière les barreaux au moment des faits. Deux ans auparavant, en 2017, il avait été condamné par le tribunal correctionnel d’Anvers à une peine de quatre ans de prison pour des faits de viols. Steve Bakelmans était en outre en état de récidive puisqu’il avait déjà été condamné pour viol en 2004. Mais il avait interjeté appel de sa condamnation de 2017 et dans l’attente d’un jugement en appel, qui n’était toujours pas intervenu le 4 mai 2019, Bakelmans avait été laissé en liberté.

La semaine dernière, les parents de la jeune femme ont décidé d’attaquer l’Etat belge en justice. Selon l’avocat de la famille, l’objectif de l’assignation est que l’État reconnaisse « en droit » qu’une erreur a été commise dans le cadre de la responsabilité gouvernementale, que le lien de causalité avec la mort de Julie soit prouvé, et qu’une indemnisation s’ensuive.

Une réparation de la part de l’Etat

Avocat spécialisé en droit public au barreau de Bruxelles, Michel Kaiser souligne que tout le monde a le droit d’intenter une action en justice contre l’Etat belge. « Le contentieux de la responsabilité civile de l’État devant les juridiction, généralement devant les tribunaux de premier instance, est assez développé. Il est communément accepté qu’à l’instar de tout citoyen ou toute entité privée, lorsqu’un organe de l’État ou d’une autorité publique commet une faute qui engendre un dommage, et que l’on peut démontrer et la faute et l’existence du dommage et un lien de causalité entre les deux, l’État ou l’autorité publique concernée peut être condamnée par un tribunal à réparer le dommage. Bien entendu, cette réparation doit se concilier avec le respect de la séparation des pouvoirs ».

Michel Kaiser cite l’exemple de l’absence de places d’accueil suffisantes pour l’ensemble des demandeurs d’asile, un manquement pour lequel l’Etat belge a été condamné à de multiples reprises.  « Nous avons attaqué l’État belge pour démontrer que son attitude, c’est-à-dire la violation systémique et constante du droit européen et constitutionnel consistant à ne pas donner une place d’accueil à chaque personne qui présente une demande d’asile, était une faute au sens du droit de la responsabilité. L’État belge devait y mettre fin en prenant les dispositifs permettant de se conformer aux exigences du droit belge et du droit européen », explique-t-il.

« Si après un délai de quelques semaines qui suit la signification du jugement, il est encore constaté qu’une personne est toujours à la rue et n’a donc pas obtenu sa place d’accueil, l’État belge est condamné à une astreinte. il s’agit donc aussi d’un contentieux de responsabilité . Et la condamnation, ce n’est pas des dommages et intérêts, mais une obligation de mettre un terme aux dommages, sous réserve de devoir payer une astreinte si le dommage se poursuit » poursuit-il.

Un fondement de l’Etat de droit

L’avocat souligne que cette possibilité d’intenter une action en justice contre l’Etat belge est l’un des fondements de l’état de droit. « Premièrement, c’est la possibilité de voir les dirigeants soumis aux mêmes obligations juridiques que les autres, et donc de devoir répondre de leurs actes en justice comme les autres. Deuxièmement, c’est la possibilité pour tout un chacun, notamment quand il est victime de l’action de l’État, de pouvoir accéder à un juge », déclare-t-il.

Dans le cas de Julie Van Espen, la famille estime que l’Etat belge a failli à son devoir de protéger ses citoyens. La famille est d’avis que la jeune femme serait encore en vie si la justice avait fonctionné correctement. C’est ce que déclare leur avocat, Stijn Verbist, qui a déposé une assignation contre l’État belge. « Il ne s’agit pas d’une chasse aux sorcières, nous ne cherchons pas un bouc émissaire spécifique, affirmait Stijn Verbist à l’agence Belga. Nous constatons un ensemble de responsabilités, y compris historiques : une négligence de la part de la justice. »

Stijn Verbist évoque notamment un manque d’informatisation, de communication et de personnel au sein de la justice, qui ont créé les conditions dans lesquelles Julie Van Espen a perdu la vie. En d’autres termes, le meurtrier Steve Bakelmans n’aurait jamais dû être en liberté au moment des faits, car il avait été condamné en première instance pour un viol, mais était en liberté en attendant le traitement en appel de cette affaire. Ce procès en appel a été plusieurs fois reporté, notamment en raison d’un manque de juges.

« La question de savoir si c’est l’organe judiciaire, l’administration pénitentiaire, voire même une législation qui serait insuffisante en la matière, n’offrant pas suffisamment de garanties par rapport au droit à la vie, au droit à la sécurité, qui sera remise en cause. La deuxième question, c’est le lien de causalité. Qui est à la base de la faute ? », déclare Michel Kaiser.

« L’histoire devait se répéter »

Les parents de la victime dénoncent que d’importantes erreurs continuent d’être commises au sein de la Justice. Ils évoquent l’attentat commis à Bruxelles en octobre, qui a coûté la vie à deux supporters suédois de football. « Le dossier du coupable avait été placé dans la mauvaise armoire et est resté sans traitement pendant des mois, ont déclaré les avocats de la famille Van Espen. Apparemment, la mort de Julie n’était pas suffisante. L’histoire devait se répéter. »

En effet, comme le rappelle le quotidien De Standaard, dans l’affaire Bakelmans, 77 dossiers sont également restés non traités en raison du sous-effectif à la cour d’appel d’Anvers. Un acte qui finalement a été commis par un tiers, en l’occurrence le meurtrier. Pour Michel Kaiser, il n’est pas exclu qu’à moment donné, la famille des deux victimes suédoises se tourne vers un avocat belge pour mettre en cause d’éventuelles défaillances de services belges.

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