Georges-Louis Bouchez a déclaré à Sudinfo qu’un consommateur de drogues qui ne veut pas se soigner doit encourir des sanctions pénales allant jusqu’à une peine de prison © BELGA

Grève dans les prisons : «Georges-Louis Bouchez n’a jamais lu les statistiques pénitentiaires européennes»

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Belgique

Les gardiens de prison sont en grève. En cause : la surpopulation carcérale. Et le président du MR voudrait y rajouter les consommateurs de cocaïne. « Invraisemblable », selon Me Marc Nève qui analyse la crise carcérale actuelle

C’est une grève à durée illimitée que les gardiens de prison ont engagée. Ils en ont ras la casquette de leurs conditions de travail au sein d’établissements remplis à bloc de détenus qui se retrouvent parfois à trois dans une cellule de neuf mètres carré. La Belgique est championne en terme de surpopulation carcérale. Ce n’est pas nouveau. L’allongement des congés pénitentiaires n’a rien arrangé. Et les déclarations du président du MR Georges-Louis Bouchez qui veut aller jusqu’à incarcérer les consommateurs de cocaïne ne font qu’attiser des braises déjà bien rougeoyantes. Qu’en penses Marc Nève. Cet ancien avocat du barreau de Liège est le président du Conseil central de surveillance pénitentiaire, un organe de contrôle indépendant des prisons et des conditions de vie des détenus.

Les gardiens sont en grève principalement à cause de la surpopulation carcérale. C’est un vieux problème. Plus grave encore aujourd’hui?

C’est la surpopulation et aussi le manque de personnel. Voyez la nouvelle prison de Haren : on ne peut y ouvrir certaines grandes sections car il n’y a pas assez de surveillants disponibles. Et donc on transfère des détenus vers la prison de Saint-Gilles. C’est invraisemblable.

Le problème de manque de personne est-il surtout problématique depuis 2016 lorsque l’ancien ministre de la Justice Koen Geens a réduit les effectifs de 10 %?

Oui, c’est assez ancien. En 2021, la Cour des comptes a publié un rapport fort complet sur la pénurie de personnel pénitentiaire à laquelle neuf prisons sur dix étaient confrontées, pointant un taux d’absentéisme grandissant et des arriérés de congé importants. Ce rapport était accompagné d’une série de recommandations clés, mais visiblement il est tombé dans un tiroir. La Cour a déjà aussi rédigé une rapport sur la surpopulation, en 2011. Cela date un peu, mais le constat est toujours valable. Du côté du Parlement et cabinet de la Justice, personne n’a saisi l’occasion donnée par la Cour des comptes.

La surpopulation s’est-elle aggravée avec la décision de rendre les courtes peines de prison effectives?

Cette décision est le fruit d’un consensus de la majorité fédérale en place, mais cette mesure n’a pas abouti dans le sens où il était prévu d’ouvrir des maisons de détention pour y effectuer les courtes peines, c’est-à-dire des lieux voués à la réinsertion. Sur les quinze établissements prévus, il n’y en que deux qui ont vu le jour: un à Courtrai et l’autre à Forest. Si vous allez visiter celle de Forest, vous verrez que les détenus ne veulent pas en sortir. Ils sont nourris, logés, blanchis en plein Bruxelles. Ils savent qu’autrement ils n’ont pas les moyens d’être autonome, de se prendre en charge dans la capitale. Ils suivent des formations, font des stages, mais ne veulent surtout pas quitter la maison de détention qui montre, à l’évidence, ses limites.

Quelles seraient les solutions alors pour les courtes peines?

Il faut déjà détricoter le discours de l’ex-ministre VLD Van Quickenborne qui a mis en route ces maisons de détention en affirmant que les courtes peines n’étaient pas exécutées, donnaient lieu à un sentiment d’impunité et accroissait la récidive. Or, c’est faux et nous le lui avons dit: pour les courtes peines, il existait des alternatives à la détention, comme le bracelet électronique. Et, en ce qui concerne la récidive, le ministre n’a jamais pu avancer le moindre chiffre permettant de prouver ce qu’il avançait.

Avez-vous eu un dialogue avec l’actuel ministre CD&V Paul Van Tigchelt?

Oui. Visiblement, il ne sait pas négocier. Fin février, il nous a reçu, mais aussi les directeurs de prison et bien sûr les syndicats de gardiens. A tous, il a répété qu’il ne prendrait aucune initiative pour faire baisser la surpopulation. Comprenez: surtout aussi peu de temps avant les élections… C’était clair. Finalement, face au refus de plusieurs prisons flamandes d’encore accueillir des détenus, il a tout de même rallongé les congés pénitentiaires, à deux reprises.

Les déclarations du président du MR Georges-Louis Bouchez qui voudrait qu’on mette en prison les consommateurs de cocaïne, cela ne contribue-t-il pas à jeter de l’huile sur le feu?

Il faut savoir que la Belgique est déjà la championne des 46 pays du Conseil de l’Europe en matière d’incarcération pour des faits de stupéfiants. Je crois que Georges-Louis Bouchez n’a jamais lu les statistiques pénitentiaires européennes. C’est invraisemblable de dire des choses pareilles, surtout qu’on vient de voter la réforme du code pénal disant clairement que la peine de prison doit devenir l’ultime recours des juges.

Cette réforme permettra-t-elle à terme de désengorger les prisons ? Ne peut-on pas déjà prendre des mesures concrètes grâce à cette réforme?

Oui, cette réforme peut être une porte ouverte pour une mesure de grâce ou de libération pour bonne conduite donnant droit à une réduction de peine. La première n’est plus envisagée depuis l’affaire Dutroux. La seconde, pourtant simple à appliquer, n’existe pas chez nous. L’Italie l’a pourtant utilisée, alors qu’elle avait été mise sous surveillance du Conseil de l’Europe à cause de la surpopulation dans ses prisons. Et cela a permis de soulager considérablement les établissements pénitentiaires. On pourrait aussi imaginer que l’obtention d’un certificat d’études en prison donne droit à une éventuelle réduction de peine. L’octroi de congés pénitentiaires est déjà soumis à des conditions très strictes. Quant au congé prolongé, il faut avoir obtenu quatre congés de 36 heures pour en bénéficier. Les détenus pour mœurs et pour terrorisme en sont exclus. Et, comme le ministre actuel était directeur de l’OCAM ? les détenus qui sont surveillance de l’OCAM ne peuvent pas non plus bénéficier de la mesure.

La surpopulation est-elle toujours plus importante dans les maisons d’arrêt, qui accueillent les détenus en préventive, que dans les établissements de peine pour les détenues condamnés?

Oui, tout à fait. D’ailleurs, quand donne le chiffre de surpopulation moyenne de 115 % dans les prisons belges, il faut savoir que dans certaines maisons d’arrêt, on atteint 180 voire 200 %. Récemment, le drame vécu par un détenu de la prison d’Anvers, qui a été soumis à des graves sévices de la part de ses codétenus, c’est à cause de la surpopulation : il partageait une cellule avec cinq autres personnes, alors que celle-ci était prévue pour trois. Le taux de suicide, plus élevé que la moyenne dans les prisons, est plus important dans les maisons d’arrêt que dans les maisons de peine.

La Belgique est la championne des 46 pays du Conseil de l’Europe en matière d’incarcération pour des faits de stupéfiants

Marc Nève

Président du Conseil central de surveillance pénitentiaire

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