Didier Reynders est soupçonné d’avoir blanchi de l’argent pendant des années en se servant de produits de la Loterie Nationale. © BELGA/BELPRESS

Affaire Reynders: 1 million d’euros potentiellement blanchi et 7.000 en cash découverts lors de la perquisition

Clément Boileau Journaliste
Thierry Denoël Journaliste au Vif

L’ancien Commissaire européen a été auditionné et perquisitionné mardi. La méthode de blanchiment présumé, via un produit particulier proposé par la Loterie nationale, charrie son lot de questions. Le montant enquêté est tenu secret. Mais, selon plusieurs sources, on parlerait d’un millions d’euros.

Jusqu’il y a peu, Didier Reynders était rien moins que le Commissaire européen en charge de la Justice, un poste qu’il aura occupé cinq ans, après avoir été, notamment, ministre belge des Affaires étrangères. Blanchissait-il de l’argent au même moment, via des e-tickets, des «bons» ne pouvant dépasser les 100 euros disponibles dans tous les points de vente de la Loterie nationale ou via Internet?

Ordinairement, ce produit, dont la validité est limitée dans le temps, permet au joueur d’alimenter «instantanément» son compte ouvert auprès de la Loterie (maximum 500 euros par semaine), et à partir duquel il peut miser en ligne. En somme, c’est un moyen de transfert plus rapide qu’un virement à partir de son compte courant, et qui peut par ailleurs se faire au moyen de cash.

Des dizaines voire des centaines de milliers d’euros

Dans le cas de Didier Reynders, il semble que la fréquence et la masse d’achats d’e-tickets, puis le transfert (après que l’argent a été misé) des gains éventuels vers le compte de l’ancien Commissaire, ont fini par alerter la Loterie nationale et la Cellule de traitement des informations financières (Ctif). Celle-ci a transmis l’information au Parquet de Bruxelles, qui a jugé les éléments suffisamment probants pour ouvrir une enquête en toute discrétion courant 2023, menée par le conseiller-instructeur de la Cour d’appel Olivier Leroux. Avec, en point d’orgue, les perquisitions des résidences de l’ancien chef de file des libéraux, suivies de longues auditions, pour lui et son épouse, comme l’ont révélé mardi nos confrères du Soir et de Follow The Money.

L’environnement de la Loterie nationale n’est pas attractif pour les milieux cherchant à blanchir de l’argent.

Communiqué de la Loterie nationale suite à la perquisition des résidences de Didier Reynders, soupçonné de blanchiment.

«Au cours des cinq dernières années, la Loterie nationale a effectué un seul signalement auprès des autorités compétentes dans le cadre d’un comportement suspect qui pourrait être lié à du blanchiment d’argent», a par aileurs indiqué la Loterie nationale par voie de communiqué mercredi — actant implicitement que ce cas précis est bien celui de Didier Reynders.

Reste à savoir de quelle somme présumément blanchie on parle exactement. Selon la RTBF, il s’agirait d’un montant tournant approximativement autour d’un million d’euros. Un chiffre dont nous avions obtenu l’information d’une source jeudi, mais sans pouvoir l’étayer plus avant. Le million semble donc se confirmer. Le Vif a, par ailleurs, appris que Didier Reynders achetait pour 500 euros par semaine d’e-tickets. S’il l’a fait pendant une dizaine d’années, comme cela a été évoqué à la Chambre ce jeudi, on parlerait d’un montant total dépassant les 200.000 euros investis dans la Loterie. Laquelle n’aurait jamais connu pareille somme d’achats (NDLR : de e-tickets) en cinq ans.

Quant aux 800.000 euros restants, toujours d’après la RTBF, ceux-ci auraient été introduits dans le système bancaire, en de multiples versements étalés sur des années. Les premiers mouvements récurrents seraient antérieurs à 2010. Ces versements ont également fait l’objet d’une déclaration de suspicion de la part des banques concernées à la Ctif. Selon nos informations, 7.000 euros en cash ont aussi été découverts lors de la perquisition au domicile des Reynders.

Beaucoup de questions, des premières réponses

D’où provient tout cet argent? À l’heure d’écrire ces lignes, personne ne le sait. S’il s’agit d’argent «propre», Reynders ne devrait pas avoir de mal à le prouver. Mais si l’origine est illégale, et au cas où l’ancien Commissaire ne coopérerait pas, la charge reviendrait aux enquêteurs et à la justice de le prouver — ce qui rend les affaires de blanchiment particulièrement compliquées à mener à bien, d’autant que tout blanchiment est lié à une infraction de base qui reste à étayer. Reynders devra néanmoins expliquer l’origine des fonds en cash versés en banque et investis à la Loterie. Pour l’heure, il nous revient qu’une justification de l’intéressé, concernant ses achats d’e-tickets, serait qu’il est un joueur compulsif. Mais cette défense ne paraît pas convaincre les enquêteurs.

En attendant, dans l’hypothèse où l’on se trouverait devant un cas avéré de blanchiment, plusieurs spécialistes en la matière, y compris du côté de la magistrature, se tapent le front: comment l’ancien Commissaire —qui fut par ailleurs, par le passé, le ministre en charge de la Loterie nationale — a-t-il pu penser qu’il passerait entre les mailles du filet? Et ce, alors même que «l’environnement de la Loterie nationale n’est pas attractif pour les milieux cherchant à blanchir de l’argent», prévient celle-ci, précisant au passage que «dans les cas rares où un tel comportement est tenté, la cellule Forensic de la Loterie nationale le détecte et rapporte ces faits auprès des autorités compétentes»… Idem pour les sommes en cash versées sur ses comptes en banque. Etonnant de la part de l’ancien ministre des Finances qui, en mars 2003, tenait un exposé lors d’un colloque sur « dix ans de lutte contre le blanchiment d’argent en Belgique »…

Ce que dit sa déclaration d’intérêts

Ironiquement, la dernière déclaration d’intérêts fournie par Didier Reynders en tant que Commissaire européen figure parmi les plus complètes de l’ancien collège. Qu’il s’agisse de son patrimoine (une résidence principale et une résidence secondaire en Belgique), ou des montants de ses divers comptes bancaires. Ainsi sait-on qu’en février 2024, le Commissaire disposait d’un compte épargne garni de 268.000 euros, d’une épargne-pension dotée de 67.281 euros et d’un placement Sicav (Société d’Investissement à Capital Variable) de 158.313 euros. En revanche, et parce qu’il ne dégage pas d’intérêts, aucune information n’est disponible sur son (ou ses) compte à vue , où auraient atterri les sommes transférées depuis son compte à la Loterie nationale et celles des 800.000 euros cash.

Présumé innocent, Didier Reynders jouit par ailleurs de diverses immunités, en tant qu’ex-Commissaire et ex-ministre fédéral. Celles-ci peuvent bien évidemment être levées — par la Commission elle-même, et par la Chambre des représentants au niveau fédéral — si suffisamment d’éléments à charge, ou sans rapport avec la fonction de Commissaire européen, se font jour.

Didier Reynders réfute les faits dont il est soupçonné

Ce vendredi, Didier Reynders a contesté la qualification pénale de blanchiment et réfute tout lien avec ses mandats politiques.

Par la voix de son avocat André Renette, M. Reynders promet de fournir au magistrat en charge de l’enquête « les explications utiles et relatives à la gestion de son patrimoine privé ». Selon son conseil, les mandats politiques qu’il a exercés ne sont en rien concernés par l’affaire.

« La qualification pénale donnée aux faits telle qu’elle est présentée dans la presse est donc formellement contestée, tant en fait qu’en droit », indique Me Renette dans un communiqué dans lequel il rappelle également le principe de la présomption d’innocence. L’avocat précise par ailleurs que M. Reynders ne s’exprimera pas publiquement sur le contenu du dossier « à ce stade », dans le respect des règles de la procédure et de l’exercice de ses droits de la défense, conclut le communiqué.

(Belga)

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