© id agency

Violences liées au trafic de drogue: Bruxelles a bon dos, Anvers joue les Calimero

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Anvers étant frappée par des violences liées au trafic de drogue, Bart De Wever rejette volontiers la responsabilité sur le fédéral. Le discours ambiant n’est pas toujours le même lorsque des communes bruxelloises traversent les mêmes difficultés.

«Le fédéral ne peut pas détourner les yeux de ce qui se passe ici. Il doit mettre les moyens sur la table pour mettre réellement à mal les trafiquants de stupéfiants et d’armes.» Ces mots ne sont pas ceux du bourgmestre d’Anvers, Bart De Wever (N-VA), dont la ville est en proie à des violences liées au milieu de la drogue cet été. La déclaration date du 2 juin et est le fait de Catherine Moureaux (PS), bourgmestre de Molenbeek, qui a aussi eu droit à son lot de fusillades en lien avec le trafic de drogue ces derniers mois. Le président des nationalistes flamands s’était bien gardé de critiquer son homologue sur ce coup-là.

La petite musique est pourtant connue. Auprès des nationalistes flamands, notamment, mais aussi dans une part des médias et des réseaux sociaux, un épisode défavorable dans une commune de la Région bruxelloise sera aisément attribué au laxisme ou à l’incompétence des autorités locales. Faites face à une flambée de violences à Anvers et vous en attribuerez aussi facilement la responsabilité à d’autres niveaux de pouvoir, le fédéral en l’occurrence.

Bourgmestre et président

«Personnellement, je considère depuis longtemps que cumuler les fonctions de bourgmestre d’une grande ville et de président de parti n’est pas optimal», commente Dave Sinardet, politologue à la VUB et à l’université Saint-Louis, originaire d’ Anvers. Bart De Wever partage cette spécificité avec Paul Magnette, bourgmestre de Charleroi, soit dit en passant.

Avec, néanmoins, une différence de taille: l’un se trouve dans les majorités régionale, communautaire et fédérale, l’autre est président du principal parti d’opposition au fédéral. «Cette situation peut créer des conflits d’intérêts, alors que le rôle de bourgmestre d’une grande ville s’apparente davantage à celui d’un conciliateur que pour un président de parti.» L’ observation est d’autant plus pertinente qu’à Anvers, la majorité communale est constituée autour d’une alliance avec Vooruit et l’Open VLD, deux partis de la coalition Vivaldi. La double casquette de De Wever lui a valu quelques critiques de l’échevin socialiste Tom Meeuws. En réalité, elle ne facilite pas la conciliation, jusqu’à l’intérieur de son propre collège communal.

© belga image

Au passage, la position du bourgmestre d’Anvers l’incite à quelques «incohérences intellectuelles», comme l’observe Dave Sinardet. Dans ses prises de parole, Bart De Wever oublie sans doute un peu vite que la N-VA a participé au gouvernement fédéral de 2014 à 2018, avec, de surcroît, Jan Jambon au poste de ministre de l’Intérieur.

On se souvient aussi, à Anvers, que Bart De Wever avait fait de la guerre contre la drogue («war on drugs», comme le veut la formule) un de ses arguments de campagne en 2012, qui avait abouti à son accession au maïorat. Une promesse qui avait suscité des attentes, sans doute. Sortira-t-il perdant de cette séquence? «Ce n’est pas à son avantage. Mais globalement, je dirais que ses supporters y voient la confirmation que le fédéral ne fonctionne pas. Et ses détracteurs y voient la confirmation que De Wever rejette la faute sur les autres.»

Cette façon de fonctionner du président de la N-VA ne signifie pas nécessairement qu’il a tort à tous niveaux, insiste Dave Sinardet. «Il est demandeur de plus de moyens pour la police fédérale à Anvers mais aussi de plus d’instruments légaux. Sur ces points, il peut avoir raison» et sa position n’est pas tellement éloignée de celle d’autres bourgmestres, Philippe Close (PS), à Bruxelles, notamment.

Pourquoi alors ce réflexe récurrent qui consiste à égratigner Bruxelles, en tant que centre du pouvoir fédéral, mais aussi ses responsables politiques locaux? De manière générale, ces dernières années, les discours plus offensifs de la N-VA se sont davantage orientés vers la capitale que vers la Wallonie, relève Dave Sinardet. Avec «certaines critiques plus ou moins justifiées. Objectivement, la gestion politique de Bruxelles, capitale bilingue, avec ses 19 communes, son pouvoir régional et ses zones de police est plus complexe que celle d’ Anvers.»

Des récits et des clichés

Ce regard critique envers la gestion politique relève aussi du «framing», comme l’évoque le politologue. «Un événement survenant à Bruxelles ne sera pas nécessairement appréhendé avec le même schéma d’interprétation que s’il était arrivé à Anvers. Et cela n’est pas imputable qu’à Bart De Wever ou à la N-VA, mais aussi à une part des médias et des commentateurs de l’actualité. En grossissant à peine le trait, vu depuis les bancs de l’opposition nationaliste, la lecture des difficultés bruxelloises sera plutôt interprétée à l’aune de la mauvaise gestion des partis de gauche, du laxisme, de l’immigration, etc. A Anvers, les faits sont placés dans un contexte international, le rôle du fédéral est épinglé, etc.»

Pour Catherine Moureaux, bourgmestre de Molenbeek, la ministre de l'Intérieur, Annelies Verlinden, doit mettre les moyens afin de résoudre les problèmes liés au trafic de drogue et d'armes.
Pour Catherine Moureaux, bourgmestre de Molenbeek, la ministre de l’Intérieur, Annelies Verlinden, doit mettre les moyens afin de résoudre les problèmes liés au trafic de drogue et d’armes. © belga image

Dans l’opposition à la Région bruxelloise (comme le MR, d’ailleurs), la N-VA a sans doute tout intérêt à renforcer ce «framing», cette petite musique autour de la capitale. Hormis le Vlaams Belang, qui compte six élus sur 55 au conseil communal d’Anvers, cette position est moins évidente à tenir du côté d’ Anvers, où Groen, principal parti d’opposition, se montre moins offensif sur ces thèmes.

En 2021, la police a répertorié 566 588 faits criminels à Anvers.
En 2021, la police a répertorié 566 588 faits criminels en Belgique. © rtl tvi

DEUX METROPOLES, DEUX REALITÉS

Comparer les deux pôles urbains peut sembler quelque peu périlleux. Anvers et Bruxelles, malgré leur proximité géographique, présentent des caractéristiques a priori bien distinctes. «On a, d’une part, une ville qui est un poste de commandement, siège de nombreuses institutions nationales et internationales, un centre de la finance, etc. D’autre part, Anvers est une ville dont l’essentiel des activités sont liées à sa situation portuaire. Elle s’inscrit aussi dans le contexte d’une Flandre plus prospère que la partie francophone du pays», fait remarquer Gilles Van Hamme, qui enseigne la géographie économique à l’ULB.

A entendre le chercheur, il convient néanmoins d’éviter d’établir des différences trop nettes entre Bruxelles et Anvers. «Il s’agit globalement de deux villes aux dynamiques similaires, à savoir un déclin du centre au profit des périphéries, résume Gilles Van Hamme. Elles ne s’en sortent pas trop mal pour leurs performances à l’international, tout en étant confrontées aux mêmes problèmes. Il s’agit, par exemple, du chômage des jeunes et des peu qualifiés. Je dirais néanmoins que ces problèmes sont plus accentués à Bruxelles qu’à Anvers. Toutefois, dans les grandes lignes, ce sont deux villes confrontées aux mêmes enjeux que ceux des autres villes du nord de l’Europe.»

Dans les grandes lignes, Anvers et Bruxelles sont confrontées aux mêmes enjeux que ceux des autres villes du nord de l’Europe.

Des tailles différentes

Les deux métropoles se distinguent par leur taille. Bruxelles-Ville comptait 188 737 habitants au 1er janvier 2022, tandis qu’on en dénombrait 1 222 637 dans la Région de Bruxelles-Capitale et ses 19 communes, selon les données de Stabel. A Anvers, ville la plus peuplée de Belgique, on recensait 530 630 habitants. L’arrondissement d’Anvers, avec sa trentaine de communes, comptabilise 1 064 277 âmes.

Quant à la densité de population, elle est plus importante en Région bruxelloise, avec 7 511 habitants/km2, sur une superficie de 162 km2. La commune la plus dense de Belgique est d’ailleurs Saint-Josse, avec 23 371 habitants/km2 au 1er janvier 2021, contre 5 649 habitants/km2 pour la ville de Bruxelles. C’est nettement supérieur à Anvers, qui compte 2 591 habitants/km2, contre 1 055/km2 pour l’arrondissement.

De meilleurs revenus à Anvers

En 2019, le revenu moyen net imposable des Belges s’élevait à 19 105 euros, mais 20 501 euros en Flandre, 17 949 euros en Wallonie et 14 973 euros en Région bruxelloises.

Compte tenu de ces spécificités régionales, les revenus nets imposables fournis par Statbel permettent d’observer une différence sensible entre les réalités vécues à Anvers et en Région bruxelloise. Le revenu moyen net était de 13 353 euros dans la ville de Bruxelles. Les trois revenus les plus faibles du pays concernaient des communes de la région bruxelloise: 9 883 euros à Saint-Josse, 10 881 à Molenbeek et 12 019 à Anderlecht.

Le revenu net moyen s’affichait par contre à 16 784 euros dans la ville d’Anvers, 19 616 euros dans son arrondissement et à 20 053 euros dans la province.

Criminalité des chiffres comparables

Les chiffres des saisies de cocaïne dans le port d’Anvers par les douanes permettent de mesurer l’accroissement de la problématique: 4,7 tonnes en 2013, mais 65,5 tonnes en 2020 et 89,5 tonnes en 2021, dans le contexte de l’opération Sky. 35,8 tonnes ont déjà été saisies au cours du premier semestre 2022.

Le 4 août, la police fédérale publiait ses statistiques de la criminalité pour 2021, avec 566 588 faits criminels répertoriés sur l’année. Des chiffres qui doivent être interprétés avec prudence, une augmentation statistique ne traduisant pas nécessairement une augmentation du phénomène à proprement parler, et ces chiffres demeurant globaux.

En Région bruxelloise, 152 131 faits (124,4 pour 1 000 habitants) étaient répertoriés, dont 58 604 (212,5/1 000 habitants) dans la zone de police Bruxelles-Capitale/Ixelles. Quelque 131 885 faits criminels (123,9/1 000 habitants) étaient comptabilisés dans l’arrondissement d’Anvers et 59 413 (112/1 000 habitants) dans la zone de police – donc la ville – d’Anvers.

Les faits de stupéfiants se chiffraient à 55 520 en Belgique l’an dernier. Il y en a eu 8 873 (7,2/1 000 habitants) dans la région de Bruxelles-Capitale, dont 3 637 (13,2/1 000 habitants) dans la zone Bruxelles-Capitale/Ixelles. Par contre, 9 746 (9,2/1 000 habitants) dans l’arrondissement d’Anvers et 3 897 (7,3/1 000 hab) dans la ville d’Anvers.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire