cannabis Brussels Airport

Le cannabis des États-Unis surprend les douaniers à Brussels Airport: «C’est une toute nouvelle tendance» (info Le Vif)

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

A Brussels Airport, du cannabis en provenance d’Amérique du Nord atterrit dans des colis postaux, apprend Le Vif. Un nouveau phénomène. Les réseaux qui régissent le trafic de marijuana en Belgique sont en pleine mutation.

De la Californie vers… « une adresse privée » à Etterbeek. Sous quelques enveloppes postales, du cannabis en stock. A Brucargo, partie de l’aéroport de Bruxelles destinée au fret, c’est la tendance. Elle vient fraîchement d’Amérique du Nord, et s’intensifie ces derniers mois. Les douaniers la constatent avec étonnement. Parmi les prises très récentes, dont la douane livre au Vif quelques preuves, les appellations sont parfois trompeuses. Des colis déclarés comme de la literie ou des outils de jardinage ont une drôle d’odeur. Et de fait, à l’intérieur, c’est la « surprise ». Cinq, six, ou neuf kilos de marijuana, directly from the US.

cannabis Brucargo
©DR

« Le cannabis en provenance des Etats-Unis ou du Canada est une toute nouvelle tendance rencontrée par la douane à Brucargo », confirme Florence Angelici, porte-parole du SPF Finances. L’Amérique du Nord comme nouveau territoire fournisseur a d’abord interpelé les autorités. Mais très vite, le phénomène a été cerné. Récemment, plusieurs Etats américains ou canadiens ont en effet légalisé la consommation -voire la production- de cannabis sur leur territoire. Plus facile, donc, de faire rentrer la plante verte dans le circuit de l’économie légale.

Lorsqu’il est saisi à Zaventem, le cannabis n’a pas toujours la Belgique comme destination finale. Il peut être en transit vers d’autres pays européens. Et même si la drogue est légale dans le pays de destination finale, elle sera confisquée par les douaniers belges.

cannabis Brucargo
©DR

Cannabis à l’aéroport de Bruxelles : des quantités impressionnantes

A la police fédérale, on surveille cette nouveauté à l’aéroport de Bruxelles « depuis deux ou trois ans ». « Il s’agit de paquets qui peuvent aller jusqu’à 5 ou 10 kilos de cannabis. Les quantités sont impressionnantes, remarque Marc Vancoillie, chef du service central drogues à la Police Judiciaire Fédérale (DJSOC/Centrex Drogues). En Belgique, la marchandise est principalement dissimulée dans les envois postaux. Mais au Royaume-Uni, par exemple, elle est aussi présente dans les bagages des passagers. »

Le phénomène ne laisse pas les autorités indifférentes. Une équipe spécialisée de la douane est désormais présente à Brucargo. Elle fouille, établit des liens et repère les nouvelles tendances. La tache n’est pas simple. Impossible, en effet, de pouvoir contrôler la masse impressionnante de colis qui passe sur le tarmac de Zaventem. Alors, les douaniers procèdent de manière ciblée. « Via l’analyse de risques, le flair du douanier -parfois bien aidé par son chien renifleur-, le scanning des bagages, ou grâce à des informations reçues de l’étranger, liste Florence Angelici. Le risque accru en provenance des Etats-Unis est aujourd’hui un critère majeur qui joue dans la sélection des colis à contrôler. » 

cannabis Brucargo
Des exemples de saisies de cannabis à l’aéroport de Bruxelles. ©DR

Le « dark number » du cannabis à l’aéroport de Bruxelles

Ce nouvel élan américain sur les pistes bruxelloises n’a pas échappé à la vigilance d’Ine Van Wymersch, commissaire nationale aux drogues. « Ces informations sont en effet confirmées », réagit-elle. Mais « comme le contrôle et le ciblage des colis postaux sont des exercices très complexes, il est impossible de connaître le dark number », précise-t-elle. En d’autres termes, les quantités réelles de cannabis qui passent par Brussels Airport sont difficilement estimables. « Un scanner ne peut pas tout contrôler et la loi sur le secret des courriers ne facilite pas le travail. Il faut des éléments concrets pour déterminer les colis suspects et pouvoir prendre connaissance de leur contenu », souligne Ine Van Wymersch, qui rappelle que des collaborations sont mises sur pied entre la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg pour améliorer le travail d’enquête commun.

S’ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg, les chiffres des récentes saisies permettent toutefois d’obtenir un bon aperçu. La douane indique au Vif avoir confisqué 15 tonnes de cannabis en 2020, 12,5 tonnes en 2021 et environ 3 tonnes en 2022. Quant au cannabis présent dans les envois de courriers à Brucargo, 73kg ont été saisis en 2020, 45kg en 2021 et 177kg en 2022. Selon certains témoignages, 2024 est bien partie pour exploser tous les records.

Par ailleurs, l’aéroport de Bruxelles n’est pas qu’un réceptacle de cannabis, mais aussi un hub de départ important pour la drogue de synthèse (MDMA, ecstasy), produite principalement aux Pays-Bas.

L’aéroport de Bierset (Liège), lui aussi spécialisé dans le cargo, est pour sa part moins impacté par le cannabis américain, car il rallie surtout la Chine. « On y observe davantage une criminalité liée à la contrefaçon ou à la sous-évaluation (déclarer des marchandises à une valeur inférieure, NDLR) », précise Florence Angelici.

cannabis Brucargo
Des exemples de saisies de cannabis à l’aéroport de Bruxelles. ©DR

Diminution de la production de cannabis sur le sol belge

L’accumulation du trafic de cannabis à Brucargo pourrait expliquer une autre tendance, à savoir une baisse de la production en Belgique. « Depuis deux ans, on constate une claire diminution de la culture de cannabis sur le sol belge, assure Marc Vancoillie. C’est assez étonnant. Avant, environ 1.000 plantations étaient saisies chaque année. L’année passée, on se situait autour de 500 », chiffre-t-il. Le rapport annuel de la police fédérale va dans le même sens : 864 saisies liées à la production de cannabis ont été effectuées en 2020, contre 679 en 2021 et 533 en 2022.

Les capacités de recherche de la police, davantage orientées vers la cocaïne à la suite de l’enquête SKY ECC, pourraient également expliquer cette baisse de cas pour le cannabis. Mais selon Marc Vancoillie, « la cause principale peut résider dans la croissance explosive des envois postaux ».

Par ailleurs, le boom de la cocaïne ne doit pas faire oublier que le cannabis reste la première drogue consommée en Europe. Et si sa production semble diminuer sur le sol belge, « il n’a pas disparu, loin de là. Des démantèlements de laboratoires se font aussi par la police locale, et pas que fédérale », rappelle Ine Van Wymersch.

Le trafic maritime, s’il est davantage concerné par la cocaïne, n’est pas non plus épargné par le cannabis. Là aussi, l’identité de l’expéditeur varie de plus en plus. L’année dernière, une saisie de 4 tonnes de haschisch a été effectuée au port d’Anvers, en provenance du… Pakistan. Un autre container, du Canada, transportait 366 kg de cannabis. « C’est vraiment inhabituel, le Maroc étant la route maritime la plus fréquente pour le cannabis, observe Marc Vancoillie. Cela confirme clairement cette tendance à l’exportation depuis l’Amérique du Nord. » La question, selon le chef de service, est désormais de déterminer « si ce cannabis provient directement de l’économie légale, ou toujours du marché noir ».

Apparition de nouveaux réseaux

Le trafic de cannabis en Belgique, souvent relié aux Pays-Bas, n’est plus la tendance dominante. De nouveaux réseaux apparaissent. « Depuis trois ans, 50% des plantations de plus de 250 plantes sont détenues par des groupes criminels albanophones, estime Marc Vancoillie. C’est très spécifique à Bruxelles et la Wallonie. On redoute qu’ils utilisent les bénéfices du cannabis pour ensuite investir dans la cocaïne. »

« Les Albanais jouent un rôle important dans la culture de cannabis », confirme Ine Van Wymersch (commissaire nationale aux drogues).

En octobre 2022, la police fédérale de Gand a découvert, à la suite d’une enquête judiciaire, l’envoi de 680 paquets de cannabis en 20 mois, via des colis postaux depuis l’Espagne. Cela représentait au total 3.500 kilos de marijuana. A la source de ce réseau, une organisation… chinoise. « Les réseaux chinois sont très présents sur le territoire européen », atteste Ine Van Wymersch.

Face à cette diversification, un projet a été mis en place, en 2019, pour identifier les auteurs impliqués dans le trafic de drogue via les envois postaux. « Le but est de réaliser un vrai suivi d’enquête, avec Europol. Les résultats sont encourageants », indique Marc Vancoillie. « La stratégie est toujours de mettre des barrières dans la chaîne logistique », ajoute la commissaire nationale aux drogues.

A la police locale de Liège, -dont la proximité avec les Pays-Bas représente un grand défi dans la lutte contre les stupéfiants-, on estime que « la résine de cannabis est en grande partie importée via le Maroc ou l’Espagne », avance Jadranka Lozina, porte-parole de la zone de police locale. Depuis plusieurs années, la police de Liège observe aussi une augmentation des réseaux néerlandais qui s’implantent en Belgique, même si tous ne sont pas liés cannabis. « Cela trahit une concurrence féroce entre vendeurs et une guerre des prix. »

Outre ces nouvelles réalités, la Cité Ardente constate aussi « le glissement de jeunes qui appartenaient aux bandes urbaines -actifs dans les braquages ou agressions- vers les stupéfiants, qui impliquent moins de risques et assurent plus de rentabilité ». Les achats via les réseaux sociaux tels que Snapchat est une autre nouveauté qui préoccupe la police liégeoise car « l’identification des comptes est complexe et pas forcément productive. »

Dans sa chasse aux cultures, la police locale fait face à une professionnalisation des montages. « Les productions sont de mieux en mieux isolées pour échapper à la détection. Les pontages électriques sont même parfois enterrés, décrit Jadranka Lozina. Ici aussi, la mafia albanaise s’est emparée du marché. On retrouve des cultures de plus petites tailles, mais multiples. »

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