Comment expliquer la flambée des violences liées au milieu de la drogue à Bruxelles ? « Cela pourrait s’étendre à tout le pays »
En début de semaine, les quartiers du Midi et de la Porte de Hal ont été secoués par des fusillades à répétition. Ces violences liées au milieu de la drogue sont le reflet d’une concurrence impitoyable entre dealers locaux. Décryptage avec Christian De Valkeneer, professeur de droit pénal et de criminologie à l’UCLouvain.
Quatre fusillades en trois jours. La semaine écoulée s’est avérée particulièrement violente dans les quartiers bruxellois de la Porte de Hal et de la Gare du Midi. Jusqu’alors davantage cantonnés aux faubourgs anversois, les règlements de compte liés au milieu de la drogue se sont importés dans les rues de la capitale depuis plusieurs mois, suscitant colère, indignation et stupeur dans le chef des habitants.
Pour Christian De Valkeneer, professeur de droit pénal et de criminologie à l’UCLouvain, cette récente flambée de violence aux abords de Saint-Gilles est le reflet de la logique concurrentielle qui sévit entre dealers locaux, toujours plus nombreux. Cette compétitivité accrue puise sa source dans plusieurs phénomènes concomitants.
« De l’argent facile »
D’une part, la production de cocaïne n’a jamais été aussi élevée. « En dix ans, on estime qu’il y a eu un doublement de la quantité de cocaïne produite dans le monde, indique Christian De Valkeneer. Elle provient essentiellement d’Amérique du Sud, de Colombie en particulier. » Qui dit augmentation de la production dit chute des prix (un gramme de cocaïne tourne « seulement » autour de 50€ aujourd’hui, contre environ 100€ par le passé) et donc, augmentation de la demande. « Plusieurs analyses menées sur les eaux usées montrent que la consommation de drogue est en hausse importante dans de nombreux pays européens, et singulièrement en Belgique. »
« Plus on se rapproche du consommateur, plus la concurrence est rude»
Le marché de la cocaïne est donc de plus en plus prisé, car la marge bénéficiaire peut y être importante en un temps record, sans trop de complications. « C’est de l’argent facile, reconnaît l’expert de l’UCLouvain. Aujourd’hui, il est devenu plus simple de dealer que de voler. Quand vous vendez 1 gramme de cocaïne à 50€, vous mettez directement cette somme dans votre poche. Quand vous avez volé un ordinateur, il faut par contre encore réussir à le revendre ou passer par un receleur. Si la criminalité contre les biens a chuté ces dix dernières années, c’est simplement parce qu’un grand nombre de voleurs sont devenus des dealeurs. »
« Une zone de repli »
Contrairement au trafic international et aux importations massives, réservés aux véritables organisations criminelles structurées en oligopoles, le marché du deal local est plus abordable et, donc, plus compétitif. « Plus on se rapproche du consommateur, plus la concurrence est rude», expose Christian De Valkneer. Alors que certaines règles prévalent dans le cadre d’activités économiques légales, tous les coups sont permis dans le milieu de la drogue. « Un vendeur de fruits et légumes ne dégainera pas sa kalachnikov pour liquider son concurrent au coin de la rue. Mais dans le deal, la violence est une manière de conserver ses parts de marché et d’asseoir sa domination sur un territoire donné. » D’autant qu’en cas de litige ou de préjudice, les dealers n’ont évidemment pas la possibilité de se tourner vers la justice. La violence se présente donc comme la seule alternative pour conserver son terrain.
Si ces règlements de compte touchent aujourd’hui la frontière entre Saint-Gilles et Bruxelles-Centre, c’est parce que le terreau y est fertile. « La porte de Hal est une zone de repli, une sorte de ‘tampon’ entre la Gare du Midi, fortement fréquentée, et l’Avenue Louise, un quartier huppé (la cocaïne reste une ‘drogue de riches’) avec une activité nocturne importante, et donc un haut-lieu de consommation », insiste Christian De Valkeneer. Mais le criminologue n’exclut pas une multiplication de ces phénomènes à l’avenir. « Cette violence pourrait s’étendre à l’ensemble du pays, car la manne financière est là et de plus en plus de dealers voudront se tailler une part du gâteau. »
Enquête et saisies
Pour lutter contre ces fusillades et autres agressions, Christian De Valkeneer plaide – outre la prévention – pour allouer davantage de moyens au travail d’enquête. « Plus de présence policière dans les rues ne résoudra pas le problème, estime le criminologue. Si un dealer croise un agent en uniforme, il rebroussera simplement chemin. La réponse doit venir de la police judiciaire, avec des enquêtes menées tant au niveau local pour les petits trafiquants qu’au niveau fédéral pour démanteler des grands réseaux. »
L’expert préconise également d’autoriser les saisies sur le produit de la vente de stupéfiants. « Il faut rendre cette activité inintéressante sur la plan économique donc augmenter drastiquement les risques encourus, via les saisies directes sur la vente mais aussi via les saisies par équivalent, insiste le criminologue. Si un dealer qui a vendu pour environ 50.000€ de cocaïne est attrapé, son véhicule ou sa maison doivent pouvoir être saisis. Si on se limite aux quelques liasses de billet qu’il trimballe avec lui, ça ne découragera pas suffisamment. »
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