Comment Alain Mathot est devenu (à moitié) millionnaire dans l’immobilier (enquête)
En retrait de la vie politique depuis mai 2019, Alain Mathot s’est vite reconverti dans l’immobilier en facturant 25.000 euros brut par mois à son seul client : son ami Erik Van der Paal. La collaboration s’est arrêtée fin août. En tout, un million d’euros brut a été facturé.
Aux abois, fatigué, soupçonné de corruption dans le cadre d’un marché public pour la construction d’un incinérateur en région liégeoise, le député-bourgmestre (PS) de Seraing, Alain Mathot, annonce, le 30 juin 2018, dans un message sur sa page Facebook, qu’il ne se représentera « ni aux élections communales prochaines » (d’octobre 2018), « ni aux élections fédérales à venir » (de mai 2019).
Le jugement en première instance dans l’affaire de l’incinérateur est tombé la veille. La condamnation pour corruption active du patron – en aveux – de la société Inova ayant décroché le marché, faisait de facto d’Alain Mathot, par effet miroir, un corrompu. Alors même que le Sérésien n’a pas participé au procès : son immunité parlementaire n’avait pas été levée par la Chambre, en avril 2016, au terme d’un vote plus que déroutant – la flamingante N-VA venant inexplicablement à la rescousse du sulfureux socialiste wallon…
La patte discrète d’Erik, le « meilleur ami flamand », d’Alain Mathot
Derrière ce soutien contre-nature des nationalistes flamands à un député PS dans les cordes judiciaires, beaucoup voient la patte discrète d’Erik Van der Paal, le « meilleur ami flamand » d’Alain Mathot. Lobbyiste et développeur de projets immobilier à Anvers, Van der Paal est très proche de la N-VA en général, et de Bart De Wever en particulier. Il est le fils de feu Rudi Van der Paal, cofondateur de la Volksunie et grand mécène des partis et mouvements nationalistes flamands de droite et d’extrême droite. Bart De Wever a même juré, en 2010, sur le lit de mort de Rudi Van der Paal, qu’il veillera sur son fils Erik après sa disparition…
Erik Van der Paal était proche de Guy Mathot, qu’il considérait comme son « deuxième père », raconte-t-il. Au milieu des années ’90, Erik fait la connaissance d’Alain, qui a le même âge que lui. Une quinzaine d’années plus tard, en 2009, Alain Mathot présente Erik à Stéphane Moreau, alors à la tête du groupe Tecteo qui deviendra Publifin/Nethys. À l’époque, Moreau est aussi le numéro un du fonds de pension des intercommunales liégeoises, Ogeo Fund. C’est ainsi que naît l’idée d’investir de l’argent d’Ogeo dans l’immobilier à Anvers.
Land Invest Gate
En décembre 2011, Land Invest Group (LIG) voit le jour. Il s’agit d’un partenariat 50-50 entre Ogeo Fund et Elba Advies, une société contrôlée par Van der Paal. Le business model ? Le banquier Ogeo apporte les fonds, tandis que le lobbyiste Van der Paal s’occupe d’obtenir les permis de bâtir auprès du collège communal anversois, qu’il connaît bien. Les succès et déboires de LIG ont été largement racontés par Le Vif et Apache dans la série « Land Invest Gate » publiée dans la foulée du rachat de LIG par Immobel en mai 2018 – un mois donc avant les adieux d’Alain Mathot à ses électeurs.
Après avoir tiré sa révérence politique, Alain Mathot va prendre le temps d’encaisser. Il se changera les idées dans sa villa thaïlandaise financée par son ami Lucien D’Onofrio, puis achèvera ses deux mandats tout en préparant sa succession politique. Le 3 décembre 2018, Alain Mathot cède son écharpe mayorale à Francis Bekaert. Le 26 mai 2019, son mandat de député fédéral s’éteint. La politique, c’est fini : il se reconvertit illico dans l’immobilier en se mettant au service de… son vieil ami Erik Van der Paal. Celui-ci le rémunère à concurrence de 25.000 euros brut chaque mois. « La première facture d’Alain date du 7 mai 2019, et nous avons mis fin à notre collaboration le 1er septembre 2022 », précise Van der Paal après vérifications. À ce tarif-là, Alain Mathot a donc gagné 300.000 euros brut par an en 2020 et 2021.
Mieux que la politique
C’est nettement plus qu’en politique. En 2018, lors de sa dernière année quasi-complète au service du bien commun, Alain Mathot a glané environ 95.000 euros brut comme bourgmestre (11 mois), et 126.498 euros brut comme député fédéral. Soit un total de plus de 220.000 euros brut. En 2019, son mandat de député (5 mois) ne lui a rapporté que 58.093 euros brut, et celui de « gérant » de sa société Almaure, entre 50.241 et 100.480 euros brut (fourchette de rémunération déclarée). Soit un montant brut total situé entre 108.334 et 158.573 euros. Quand on analyse ses déclarations de mandat, c’est la toute première fois, en 2019, qu’Alain Mathot déclare être rémunéré par Almaure.
Au total, d’avril 2019 à août 2022, en trois ans et cinq mois donc, Alain Mathot aurait perçu plus d’un million d’euros brut : 1.025.000 euros exactement, si l’on se fie aux déclarations d’Erik Van der Paal, qui confirment et complètent des informations obtenues auprès de deux autres sources indépendantes.
Au début, Alain Mathot facture au nom de sa société Almaure, qu’il administre avec sa maman, et qui explique ses revenus soudains comme « gérant » en 2019. Pour des prestations effectuées d’avril 2019 à janvier 2020 inclus, Almaure enverra dix factures à Alesia, la société de Van der Paal, qui allonge donc 250.000 euros brut. Puis, début février 2020, Alain Mathot crée Consultam, une fois de plus avec sa maman. Elle possède 5% des parts, lui 95%. C’est désormais cette société à l’objet social « fourre-tout » (elle peut à peu près tout faire) qui facture à Alesia, sa seule et unique cliente. De février 2020 à août 2022, Alain Mathot aurait donc envoyé 31 factures via Consultam, totalisant 775.000 euros brut.
Centrale au gaz en Tunisie
Mais qu’a donc réalisé Alain Mathot pendant ces trois dernières années pour gagner son million ? Lors d’un premier contact téléphonique, Erik Van der Paal est resté assez vague. Il a confirmé qu’Alain Mathot avait travaillé sur un projet d’hôtel à Marbella, sur la Costa del Sol : « L’hôtel de Marbella, on ne l’a pas concrétisé… Mais Alain a bien fait son travail, je n’ai rien à lui reprocher. Il a des contacts à Marbella avec des gens que je ne connais pas bien. Il m’a envoyé un dossier qui était très intéressant mais, à ce moment-là, c’était le Covid et on n’a pas donné suite au dossier. »
Erik Van der Paal a également évoqué des projets immobiliers « à Bruxelles et en Wallonie », mais sans donner d’exemple concret. « Il faut que je regarde ses factures, je ne me souviens plus », s’excuse-t-il alors qu’il descend d’un avion revenant du Qatar. Lors d’un second appel, le lendemain, Erik Van der Paal évoque trois projets immobiliers concrets sur lesquels, dit-il, a travaillé Alain Mathot : un projet de « 60 appartements à Namur » (en attente de permis), un projet de « 300 appartements à Woluwe-Saint-Lambert » (en attente de permis), et un projet de « centrale électrique au gaz en Tunisie avec des industriels wallons actifs dans l’énergie » (en cours).
Contacté à de multiples reprises pour obtenir des précisions sur ses activités immobilières, Alain Mathot n’a pas donné suite à nos sollicitations.
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