Justice : « Il faut sortir du cycle de la vengeance »
Quelle mouche a piqué le brillant pénaliste Bruno Dayez de vouloir libérer Marc Dutroux ? Cet homme de conviction mène un combat de longue date. Il s’en explique au Vif/L’Express avec un espoir : susciter le débat.
Encouragements, soutiens, mais aussi injures et messages de haine… Sa démarche ne laisse personne indifférent. Bruno Dayez a créé la stupéfaction, il y a un mois, en annonçant s’atteler à la libération conditionnelle de Marc Dutroux qu’il envisage pour 2021. A 57 ans et déjà une belle carrière derrière lui, cet avocat de haut vol en fait, avant tout, une question de principes. Mais quels principes ? Il prend le temps de s’expliquer.
Que voulez-vous défendre à travers le cas de Marc Dutroux ?
Je veux consacrer le reste de ma carrière à mener sur le terrain un combat que j’ai toujours poursuivi en tant que prof et dans mes écrits : abolir la perpétuité, fixer le maximum d’une peine effective de prison à 25 ans, changer les règles de libération conditionnelle et améliorer les conditions de détention. Dutroux est le héraut, malgré lui, de ces questions qui dépassent son cas individuel. La perpétuité est une peine dont la charge symbolique est forte, mais qui se révèle hypocrite car elle n’a pas vocation à s’appliquer réellement. C’est juste pour satisfaire la vindicte populaire. Pour moi, à l’échelle d’une vie humaine, 25 ans de prison, soit près de 10 000 jours, c’est déjà énorme et cela constitue une ligne d’horizon qu’on ne devrait jamais franchir.
Vous voulez réformer la libération conditionnelle dont le gouvernement Di Rupo a durci les règles en 2013, malgré les vives critiques du monde de la justice. Vous espérez encore changer la donne ?
Je veux en tout cas secouer le cocotier, en ayant des relais au sein des associations de magistrats et d’avocats, voire de certains partis politiques. La situation est devenue absurde, avec des règles si contraignantes, qu’une majorité de détenus préfèrent désormais aller à fond de peine plutôt que de demander une libération conditionnelle. Le tribunal d’application des peines est devenu l’exécutant d’une volonté politique de caresser l’opinion dans le sens du poil, à savoir que la peine subie corresponde à la sanction prononcée par le juge.
Des relais au sein de partis, dites-vous. Mais il y a un consensus sur le cas Dutroux. Même au PTB : on l’a vu avec l’exclusion de Christian Panier qui loge Michelle Martin. Dutroux est un tabou politique ?
Oui. Dutroux a focalisé sur sa personne une telle haine collective qu’aucun politique ne prend le risque de se confronter à cela. Seules des personnes qui n’ont pas de responsabilité politique, comme des magistrats ou des avocats, se le permettent. J’ai conscience de combattre des moulins. Mais rester assis, c’est admettre que la prison est un mouroir. Je ne peux m’y résoudre.
Pourquoi les Belges ne parviennent-ils pas à sortir du traumatisme Dutroux ?
C’est la pugnacité des parents des victimes qui a donné son retentissement à l’affaire Dutroux. Je les comprends, bien sûr. Ils se sont attirés une sympathie hors du commun. Puis, l’instruction judiciaire du dossier a été interminable et le procès très tardif, ce qui a maintenu l’ébullition pendant des années. Avec la médiatisation, tout cela a contribué à attiser les passions jusqu’à aujourd’hui. Ce n’est pas le cas d’autres affaires tout aussi choquantes, comme les tueries du Brabant qui sont plutôt tombées dans l’oubli alors que près de trente personnes ont été tuées. Qui manifeste encore pour ces victimes ?
Libérer Dutroux ne revient-il pas à dire aux criminels qui commettent les pires actes qu’ils seront libres un jour ?
Il faut sortir du cycle de la vengeance. L’Etat n’est pas censé traiter les criminels comme ceux-ci ont traité leur victime. La punition doit avoir un sens, comme l’ont compris depuis longtemps les parents et éducateurs. On me demande souvent ce que je ferais si j’étais le père d’une des victimes. Bien sûr, à la place de Gino Russo, j’aurais la tentation de régler moi-même son compte à Dutroux. Mais la peine prononcée par la justice n’est pas calculée à l’aune de la douleur des victimes ou de leur famille. Ce n’est pas la vocation du système pénal. Il y a une étanchéité des rôles qui fait qu’on a confisqué aux victimes le soin de juger elles-mêmes les criminels, et ce pour échapper justement au cycle de la vengeance. Sinon, on en arriverait à rétablir la peine de mort. Pour une victime, aucune peine ne sera jamais suffisante.
Vous dénoncez aussi, et surtout, le système carcéral.
Je dénonce l’inutilité de la prison. Elle n’assure pas notre sécurité. Croire qu’on est davantage protégé en incarcérant les criminels est un leurre. Dans les conditions actuelles, avec des budgets dérisoires consacrés à la réinsertion, la prison est une usine à récidive car elle crée de la rancoeur et du déclassement, notamment chez les jeunes radicalisés. On met la poussière sous le tapis. Si, au bout de la peine, la prison n’a pas réussi à faire en sorte que le criminel se soit amendé et ne récidive pas, elle a raté sa mission.
L’amendement, justement : tous les condamnés peuvent-ils être réinsérés, sans exception, même les psychopathes purs et durs qui n’ont aucune empathie pour leurs victimes ?
Le critère de la dangerosité prévaut. Si un individu constitue une réelle menace pour la société, on ne peut pas le relâcher. C’est le rôle des experts de l’évaluer. Mais voilà une vraie question. En privant un individu de sa liberté, l’Etat doit assumer sa décision, tout faire pour le resocialiser. Si le système carcéral est inadapté à remettre en selle certains criminels, qu’on considère alors comme irrécupérables, est-ce leur place d’être en prison ?
Mais les tueurs en série, comme Dutroux, sont déclarés responsables de leurs actes…
On est dans un système binaire. Si on est déclaré irresponsable, on est traité en psychiatrie. Si on est déclaré responsable, et c’est le cas des psychopathes, on rentre dans le système carcéral. On est alors susceptible d’amendement lorsqu’on arrive au bout de la peine effectuée. L’amendement est d’ailleurs une condition de la libération conditionnelle. Considérer que Dutroux n’est pas capable de s’amender et donc de bénéficier d’une libération conditionnelle est une abdication qui reflète la faillite de notre système carcéral. Il est temps de changer.
Avez-vous l’espoir de libérer Dutroux un jour, avec le nouveau cadre légal créé pour rendre justement sa libération impossible ?
Je vais avancer pas à pas. Je m’apprête à essuyer une série d’échecs. Mais je ne veux pas arrêter ce métier en oeuvrant dans un système qui soit pire que celui dans lequel j’ai débuté et qui reste encore aujourd’hui préhistorique. Je ne suis pas seul. Christian Panier s’est levé avant moi, avec un immense courage. Il y en aura d’autres.
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