Jean-Luc Crucke va-t-il faire éclater le MR? (analyse)
En refusant finalement d’entrer à la Cour constitutionnelle, et en lançant un appel à tous les libéraux de bonne volonté pour sauver le climat, Jean-Luc Crucke mènera-t-il le MR à la scission? En tout cas, un peu partout, on y réfléchit beaucoup…
Il dit qu’il a beaucoup réfléchi.
Il dit que sa parole n’est pas bridée au MR en tant que libéral qui veut rassembler les gens rationnels de bonne volonté.
Et il dit que sa candidature à la présidence du MR en 2023 n’est pas à l’ordre du jour.
Nous, on dit qu’il bluffe, au moins à 33%, et sans doute plus.
Mercredi 8 juin, dans une interview à La Libre, Jean-Luc Crucke surprenait à peu près tout le monde, mais pas son président de parti, Georges-Louis Bouchez, qu’il avait averti.
L’ ancien ministre wallon du Budget avait démissionné début janvier pour rejoindre, en septembre prochain, la Cour constitutionnelle.
A nos confrères, il expliquait avoir changé d’avis.
C’était le début d’une tournée médiatique qui l’amena ensuite à L’Avenir, Sudinfo, la RTBF en radio le matin du 9 juin et en télé plus tard le même jour, RTL-TVI le 12 juin et Bel RTL le 14 juin. C’est peut-être pour ça qu’il n’a pas voulu nous parler: il a parlé partout pour dire les mêmes choses.
«Ces six derniers mois, j’ai rencontré beaucoup de gens, j’ai lu beaucoup. Je n’ai pas envie de me taire», a-t-il encore répété, le 14 au matin, sur Bel RTL.
Il a donc bien réfléchi, a-t-il déclaré partout.
Mais normalement, quand on a bien réfléchi et qu’on change d’avis, c’est qu’on a un plan.
Pourtant, il affirme qu’il n’a pas de plan.
C’est sans doute déjà là qu’il commence à bluffer.
On ne connaît pas ce plan, bien sûr. Mais on dit qu’il bluffe.
Une rumeur qui circule en ferait un candidat à la présidence de son parti, en 2023.
C’est la date à laquelle le mandat de quatre ans de Georges-Louis Bouchez devrait être remis en jeu dans une élection interne.
Cette même rumeur suggère que les «barons» du MR, ceux qui avaient poussé le Montois à la présidence, auraient changé d’avis.
Du moins une partie d’entre eux, parmi les Borsus et Jeholet, les Bacquelaine et Galant, les (nombreux) Michel et Wilmès, les Reynders et De Wolf, les Deprez et Marghem, les Clarinval et compagnie qui avaient pour certains refusé de succéder à Charles Michel lorsque celui-ci le leur avait proposé.
Ils préféraient être ministres, ou espéraient le devenir à nouveau, et ils étaient alors bien contents que quelqu’un d’autre se coltine les réunions de sections locales et les récriminations rarement désintéressées des militants.
Opposition garantie
Il y en a aujourd’hui, parmi ceux-là, qui ont bien réfléchi, c’est sûr.
Ils ne peuvent pas ne pas avoir remarqué que si le MR veut rester/monter dans des gouvernements/des collèges communaux/des collèges provinciaux, il devra nécessairement continuer à pactiser avec d’autres formations, et que celles-ci, particulièrement le PS et Ecolo, se disent offensées par Georges-Louis Bouchez environ deux fois par semaine.
Si bien, d’ailleurs, que ces deux partenaires de coalition en Wallonie, en Fédération Wallonie-Bruxelles et au fédéral, n’excluent toujours pas de remanier ces majorités.
Tous ces «barons» le savent, et certains d’entre eux se disent qu’aller aux élections de 2024 avec Georges-Louis Bouchez leur garantirait de finir leur carrière dans l’opposition.
Certains réfléchissent donc à pousser une candidature, pour le scrutin interne de 2023, moins brutalement incompatible avec l’hypothèse qu’un quelconque parti accepte de fréquenter le Mouvement réformateur.
Surtout s’il ne fait pas les 30% que Georges-Louis Bouchez s’est donné comme objectif: il en est toujours, selon tous les sondages, très loin.
Ce morceau-là de la rumeur est parfaitement croyable. Il est même tout à fait vrai.
Georges-Louis Bouchez, lui, espère que son mandat sera prolongé d’un an, jusqu’aux élections législatives, européennes, régionales, communales et provinciales, de 2024.
Mais dans une interview à Sudinfo, le 11 juin, Willy Borsus, un de ceux qui avaient refusé de reprendre la présidence du parti en 2019, a répété ce que tous les autres déclarent depuis près de trois ans: il veut qu’il y ait des élections internes en 2023.
L’autre partie de la rumeur suppose que ces «barons» lanceraient le plus compatible des leurs avec ceux avec qui il faudrait nécessairement pactiser si le MR veut rester/monter dans des gouvernements/des collèges communaux/des collèges provinciaux.
Donc qu’ils voudraient voir Jean-Luc Crucke remplacer Georges-Louis Bouchez.
On a bien réfléchi à cette partie de rumeur. Et on a lu, regardé et écouté toutes les interviews où, dans la semaine écoulée, Jean-Luc Crucke a dit qu’il avait bien réfléchi.
«Tinne Van der Straeten est formidable»
Il prétend que l’hypothèse de sa candidature à la présidence du MR n’est «pas à l’ordre du jour», et ça peut accréditer cette partie de rumeur.
Mais il affirme aussi qu’il faut encourager Alexander De Croo, que la Groen Tinne Van der Straeten est une formidable ministre de l’Energie et qu’il préfère l’écolo Jean-Marc Nollet au réformateur Georges-Louis Bouchez.
Il dit encore qu’on en est loin, des 30%, et que sa formation est en train de s’isoler.
Il dit surtout qu’il veut favoriser le regroupement des gens qui sont conscients de l’urgence climatique, et des bonnes volontés qui savent qu’il faudra changer beaucoup de nos habitudes, donc nuire à pas mal d’intérêts.
Et aussi de ceux qui en ont marre des invectives sur Twitter.
Il ajoute à cet égard qu’il n’aime pas la ligne droitière qu’a prise son parti sous la présidence de Georges-Louis Bouchez.
Il lance une initiative favorable à ce regroupement, qu’il a baptisée «Clés», pour Cercles libéraux écologiques et sociaux.
Tout ça rend la rumeur plus croyable du tout.
Parce qu’on ne peut pas gagner un scrutin interne au suffrage universel des membres d’un parti de droite démocratique au XXIe siècle en trouvant que le parti est trop à droite, et qu’on ne risque pas d’enthousiasmer beaucoup de militants MR avec une candidature parrainée par Jean-Marc Nollet.
Surtout pas contre Georges-Louis Bouchez en 2023. En 2019, ce dernier avait reçu le parti d’en haut. Depuis, il dépense son énergie à le garder par la droite.
Les militants qui arrivent au MR y entrent par la droite, ceux qui en partent sortent par le centre.
Le Montois a déjà une longue maîtrise des élections perdues de loin, par exemple contre Jacqueline Galant fin 2016 à la fédération d’arrondissement, comme de celles gagnées de peu, par exemple contre Catherine Hocquet fin 2011 à la section locale de Mons.
Il y a déjà deux ans et demi qu’il se prépare à celle de 2023, tout en essayant vainement de l’éviter. S’il se présente contre Jean-Luc Crucke en 2023, il la gagnera de beaucoup.
Donc si Jean-Luc Crucke trouve cette partie de la rumeur crédible, c’est qu’il a très mal réfléchi, ou alors qu’il est très bête. C’est la même chose pour les «barons».
Mais comme il dit qu’il a bien réfléchi, et qu’on ne les pense pas très bêtes, les «barons» et lui, c’est qu’ils doivent avoir autre chose en tête. Quoi qu’il en soit, Jean-Luc Crucke ne fait pas ça pour prendre le parti.
Il fait ça pour aider à le prendre, peut-être. Ou bien plus sûrement pour le quitter.
A la question «Vous vous sentez à l’aise au Mouvement réformateur?», Jean-Luc Crucke a bien veillé à répondre «je suis parfaitement à l’aise en tant que libéral», mardi 14 juin sur Bel RTL, avant d’encore répéter qu’il ne voulait pas qu’on le fasse taire, et qu’il y avait des libéraux ailleurs qu’au Mouvement réformateur.
Il va tenir cette ligne provocatrice envers la présidence en attendant que quelque chose se passe, d’ici à 2023.
Soit que Jean-Luc Crucke aille seul à l’élection présidentielle, la perde, quitte le MR parce que sa parole de libéral qui veut rassembler les gens rationnels de bonne volonté est bridée, et rejoigne tout seul un mouvement visant à rassembler les gens rationnels de bonne volonté, dont le libéral Jean-Luc Crucke.
Conservateurs querelleurs
Soit qu’un des «barons», d’accord avec la plupart des autres, dise que c’est allé trop loin et qu’il faut rassembler les libéraux de bonne volonté du Mouvement réformateur, dont Jean-Luc Crucke, pour y battre les conservateurs querelleurs, rangés derrière Georges-Louis Bouchez.
On pense à Willy Borsus, chef de file au gouvernement wallon, on pense à Pierre-Yves Jeholet, chef de file au gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, on pense à Sophie Wilmès, chef de file au gouvernement fédéral, actuellement en congé pour raisons personnelles.
On sait qu’ils ont bien réfléchi et qu’ils ne sont pas bêtes. Ils sont toujours en train de bluffer, là.
Cela provoquerait au MR un bordel invraisemblable, et peut-être même une scission, sur la droite ou sur le centre, en fonction de qui gagnerait le scrutin présidentiel de 2023.
Soit qu’un des «barons», d’accord avec certains autres, dise que c’est allé trop loin et qu’il faut rassembler les libéraux rationnels de bonne volonté en dehors du Mouvement réformateur, dont Jean-Luc Crucke, pour n’y laisser que les conservateurs querelleurs, rangés derrière Georges-Louis Bouchez.
Des libéraux hors du Mouvement réformateur, on en trouve pas mal, en Belgique francophone.
Mais spécifiquement chez DéFI, qui réfléchit bien à comment se redéployer en rassemblant les gens rationnels de bonne volonté, et tout aussi spécifiquement chez Les Engagés, qui ont bien réfléchi à comment se redéployer en rassemblant les gens rationnels de bonne volonté. Dont Jean-Luc Crucke.
On sait qu’ils ont bien réfléchi et qu’ils ne sont pas bêtes. Ils sont toujours en train de bluffer, là.
Mais ils sont tous en train d’y penser. Peut-être même déjà de s’en parler.
A Namur et à Bruxelles, les autres partis francophones des gouvernements, le PS et Ecolo, s’amuseraient beaucoup de ce regroupement au centre-droit, qui leur permettrait d’expulser le MR des majorités futures, voire des actuelles, pour n’y garder qu’un grand regroupement de libéraux et autres gens rationnels de bonne volonté.
Cette scission ne provoquerait pas un bordel invraisemblable qu’au MR.
C’est pour ça qu’ils y réfléchissent si bien, tous. Dont Jean-Luc Crucke.
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