« Je vis dans la hantise d’être mordu »: relisez le portrait de Denis Ducarme, visé par une plainte pour harcèlement
L’ancien ministre libéral Denis Ducarme est visé par une plainte pour harcèlement moral, déposée par une ancienne collaboratrice. Relisez le portrait que Le Vif lui avait consacré en 2016.
Selon des informations révélées par Sudinfo, le député MR Denis Ducarme est visé par une plainte pour harcèlement moral, déposée par l’une de ses anciennes collaboratrices (qui est restée anonyme). Cette plainte porterait sur « des cadences de travail infernales, mais aussi un comportement et une communication très dérangeants ».
L’ancien ministre fédéral a réagi dans les colonnes de Sudinfo: « Je m’étonne évidemment que cette plainte arrive aussi tardivement… Je ne suis plus ministre des classes moyennes depuis 3 ans… Mais bon, je ne sais rien de cette plainte ni de la plaignante, je ne vais pas réagir dans ces conditions. Je laisserai ce soin à mon avocat. »
Relisez le portrait que nous lui consacrions en 2016.
Sur les photos de l’école primaire, sa tête émerge systématiquement. Petit, il était déjà grand. Ainsi commence la vie de Denis Ducarme, chef de groupe MR à la Chambre et figure de proue du seul parti francophone du gouvernement.
23 octobre 1973. A l’entame d’une existence, chacun a sa propre valise. Dans celle de ce futur élu, il y a ce père tellement omniprésent qu’aujourd’hui encore, les uns et les autres confondent les deux prénoms. Ce qui n’est pas simple pour le plus jeune. Daniel et Denis Ducarme ne sont pas les mêmes. Mais ils ont en commun une voix, forte et grave, la passion de la politique, une forme de pudeur et… une pareille difficulté à arrêter de fumer.
Un père à ce point omniprésent qu’aujourd’hui encore, on confond les deux prénoms
Daniel Ducarme, c’est le Barberousse de Thuin : un animal politique, surdoué de la communication, président du PRL transformé sous sa houlette en MR, emporté par le cancer à 56 ans. Le père n’a pas aidé le fils, si ce n’est en lui léguant son patronyme – un cadeau, vraiment ? Et en discutant de politique, des heures durant, avec Denis et son frère Lucas. « Il nous disait de ne pas en faire, ou de bien réfléchir avant car ce n’est pas toujours agréable », se souvient Lucas.
C’est que dans cette valise, entre les crêpes englouties devant l’âtre de la maison familiale de Remont, il y a aussi des coups de griffe, des trahisons, des mises à mort. Flotte dans l’air de la campagne thudinienne l’assassine sentence de Jean Gol à propos de Daniel Ducarme : « Il ira loin, son bagage est léger. » En 2004, le père de Denis est contraint à la démission après la révélation d’un sévère redressement fiscal. L’après-midi même, son fils est dans l’hémicycle. « Nous avons été marqués à vie par ces événements », glisse Lucas. Son père a ensuite gagné tous ses recours. Le mal était fait. Au moins sur deux générations. « Je vis avec la mémoire, pas avec la rancune« , assure Denis Ducarme. Mais j’ai vu mon père mordu dans sa meute. » L’homme sait qui a trahi son père. « Je vis peut-être dans la hantise d’être déçu ou mordu, même si j’ai le cuir épais « , lâche-t-il.
Les livres comme une évasion
Entre Daniel et Denis, deux tempéraments, tout n’a pas toujours été simple. Ce n’est pas pour rien que le second a nourri, très tôt, une envie d’évasion. Quand il ne construisait pas de cabanes dans les bois, costumé en Indien, Denis voyageait par les livres, qu’il dévorait. Les avions de chasse le passionnent déjà. Comme l’histoire militaire, marquée par la figure de cet aïeul tué durant la Seconde Guerre mondiale. Denis, totémisé Haflinger, monte aussi à cheval, quand il ne nage pas ou ne joue pas au foot ou au tennis. Même aux marches de l’Entre-Sambre-et-Meuse, il n’a pu résister, costumé en pompier : le son du tambour le subjugue.
Colleur d’affiches durant les campagnes électorales, où il découvre la rivalité avec les militants socialistes armés de battes de base-ball, Denis s’initie aussi au théâtre. « Cela m’a défait d’une certaine timidité, raconte-t-il. Et appris à exprimer un message devant un groupe. » C’est toujours utile… Denis prendra très vite le pli de dire ce qu’il pense, quel que soit son interlocuteur. Et de vivre sa vie, en toute autonomie. Ce qui lui vaudra, lorsqu’il sera député, quelques rappels à l’ordre de son chef de groupe Daniel Bacquelaine, pour des sorties non concertées dans la presse ou au Parlement.
Grand adolescent, Denis Ducarme a déjà un tempérament de meneur. Avec quelques amis, il organise le festival rock du pendu à Thuin et lance un journal pour les jeunes, baptisé Vie-Rage. Le député Richard Miller l’a un jour qualifié de » plus belle plume du MR « , ce qui l’a fait rougir. Denis Ducarme a d’ailleurs longtemps songé à devenir journaliste. Ou enseignant. Le virus de la politique l’emporte pourtant lors de ses études en sciences politiques à l’ULB – entamées contre l’avis de ses parents – et de ses combats d’alors contre les groupes d’extrême gauche et la montée du Vlaams Blok. Il aime déjà la castagne politique.
A l’ULB, le Hennuyer fonde, à côté du cercle libéral historique, un nouveau groupe, baptisé Ciel (cercle indépendant des étudiants libéraux), au grand dam d’Hervé Hasquin, président du conseil d’administration. Il monte aussi une exposition de photos à l’occasion du 10e anniversaire de la chute du mur de Berlin.
Denis Ducarme, le pitbull
S’ensuit le tourbillon des jours, l’exigeante conquête d’un électorat et l’ascension résolue au sein de l’appareil du parti. Avant-dernier sur la liste pour les élections communales de 2000, Denis Ducarme devient échevin à Thuin et conseiller provincial du Hainaut. A ce poste, il livrera des batailles homériques contre le socialiste Paul Furlan (aujourd’hui décédé, NDLR). Trois ans plus tard, pas encore trentenaire, il entre à la Chambre. » Certains l’avaient condamné en pensant qu’il n’en sortirait pas sans son père « , glisse un de ses amis. A presque 43 ans, le voilà chef de groupe et conseiller de CPAS à Momignies. Le fédéral le monopolise bien plus que l’action locale, même s’il parcourt en tous sens le Hainaut, et cela sans conduire. Il aurait voulu devenir ministre de la Défense mais la N-VA a pris le poste. Un lot de consolation que d’être chef de file des vingt députés libéraux au Parlement ? » Il fallait un pitbull et il a été choisi pour ça, ce qu’il fait très bien « , lâche le socialiste André Flahaut. Confronté à tous les partis francophones relégués dans l’opposition, Denis Ducarme doit servir de bouclier.
Il prend donc les coups, qu’il ne redoute pas, et ne se prive pas d’en donner. « C’est une bête politique mais il n’est pas fin, affirme un élu écologiste. Il adore quand ça dérape et n’est bon que quand il accroche l’adversaire. » A entendre ses collègues, Denis Ducarme aurait tendance à user et abuser de la puissance de sa voix et de son physique imposant. A adopter des positions carrées peu argumentées, campé sur des principes tout aussi anguleux. « Il n’aime pas faire du mal aux gens, confirme un de ses amis socialistes. Ce n’est pas un méchant, mais il peut en donner l’image à ceux qui ne le connaissent pas. »
Il fallait un pitbull et il a été choisi pour ça, ce qu’il fait très bien
Denis Ducarme a d’ailleurs la réputation d’être, au pire, impulsif, au mieux, spontané. Quitte à offrir des fleurs dans l’heure qui suit à la personne qu’il a pu blesser. « Il était colérique avant, rectifie le député libéral wallon Olivier Destrebecq. Un peu lunatique et fougueux. Ce n’est plus le cas. Il a formidablement muri. » « Balivernes, coupe l’intéressé. Comme si ma fonction de chef de groupe avait pu me transformer d’un coup ! Je suis impulsif intérieurement, mais plus extérieurement », précise-t-il, sans cesser de malaxer une balle antistress.
Ils sont pourtant nombreux, dans la majorité comme dans l’opposition, à évoquer d’abord son côté ingérable puis cette maturité nouvelle. « Son avis pèse au bureau de parti, assure Richard Miller. Il est en train de réussir sa mission. » Notamment pour fédérer ses troupes. Avec autorité et parfois violence, disent les uns, au point de faire peur à certains. Sans jamais être cassant, assurent les autres. « Il accompagne ses députés », ajoute le député MR David Clarinval. Et il peut changer d’avis si on lui prouve qu’il a tort. « A chaque remaniement ministériel, on avait peur qu’il s’en aille du gouvernement », sourit Philippe Pivin.
Même les pas qu’il pose pour se rendre à la tribune font partie du spectacle, au même titre que sa virilité assumée. « De la testostérone de Lidl », ricane un centriste. Peut-être. Mais rares sont les élus à avoir participé à des défilés de mannequins comme le fit jadis Ducarme Junior… Au perchoir, donc, l’homme délivre les formules qu’il a bichonnées et dézingue à l’ironie, visant plus souvent qu’à leur tour les socialistes, Laurette Onkelinx en tête, sa meilleure ennemie. « C’est un des rares à pouvoir dire beaucoup de choses sans que personne ne sache de quoi il a parlé« , sourit un libéral bruxellois, à l’abri de l’anonymat. Micro à la main, il est dans son élément. Et il savoure.
Une valeur sûre
Comme Denis Ducarme cogne, personne ne lui fait de cadeau. On l’attaque donc aussi sur le fond, pointant sa maîtrise un peu limite des dossiers. « Discuter de tel ou tel article de loi ne l’intéresse pas : il n’est pas technocrate, souligne-t-on dans les rangs du CDH. Sur le fond, il sonne creux. Il lit la note déposée sur son bureau, aboie et puis s’en va. » Faux, réplique-t-on côté MR : on ne tient pas le coup dans le débat parlementaire si on n’a pas le fond. « Certes, il n’est pas technocrate, admet une proche. Mais il n’y a pas qu’un modèle d’homme politique. » Plusieurs libéraux assurent que Denis Ducarme est prudentissime et qu’il ne s’avance jamais à découvert. Il a assez encaissé de coups pour ne pas prendre de risques inutiles.
Au-delà des apparences, l’homme est jovial et apprécie l’humour. Il veille à soigner les relations, dans et hors du milieu politique. Son amitié est indissoluble dans le temps qui passe. Il voit, tous les deux mois environ, son petit cercle d’amis inoxydables, avec lesquels il ne parle pas politique. Il évoque plutôt ses derniers chemins de marche avant d’attaquer avec eux, au choix, une entrecôte à l’os ou une sole.
A la Chambre, Denis Ducarme salue les uns et les autres, prend des nouvelles et se manifeste en cas de coup dur. Intuitif, il sait d’emblée le genre de personne qu’il a en face de lui. Et sa valeur. « C’est quelqu’un de profondément humain, assure une parlementaire de l’opposition. En privé, il pourrait apporter des nuances à ce qu’il dit. » « Il est plus fragile qu’on ne le croit, embraie Olivier Maingain. C’est une personnalité très attachante, avec une grande sensibilité derrière une carapace de géant. »
Il fulminerait s’il savait que certains le comparent aux élus de la N-VA, et d’autres à Nicolas Sarkozy : lui ne se dit pas de droite, mais libéral et démocrate, proche des idées de Manuel Valls. Denis Ducarme connaît en tous cas suffisamment le prix de l’ambition pour ne pas y laisser sa peau. D’ailleurs, il surveille son poids et carbure aux légumes. Il ne compte pas finir sa carrière en politique. « J’espère avoir la force de partir, souffle-t-il dans une bouffée de fumée électronique étiquetée « café-tartines rôties ». Il y a autre chose que la politique dans l’existence. » L’envie de vivre normalement, par exemple. Et de préparer à nouveau sans hâte ces savoureuses coquilles Saint-Jacques de Carteret qui avaient fait, jadis, fondre son exigeant marmiton de père.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici